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16 mai 2025

ALLO ROME, ICI PARIS

Gabriel Nerciat
16/5/2025

- Très Saint Père, pardonnez-moi parce que je n'ai jamais péché. J'ai fait le mal souvent, bien sûr, et même avec un plaisir certain, mais c'était par excès d'innocence. Comme tous ceux de ma race, je ne peux pas descendre de Caïn ni même de Nemrod. Le sang d'Abel ne retombera pas sur moi, Votre Sainteté.
- C'est beaucoup de présomption, Monsieur le Président. Abel ne portait pas un gilet jaune, mais mon nonce apostolique de Paris m'a raconté la détresse des éleveurs de brebis du Limousin, que votre soumission à la politique de libre-échange décidée à Bruxelles est en train de condamner à mort.
- Mais Très Saint Père, il ne s'agit pas de ça. Les drames des peuples n'ont pas plus de conséquence pour moi et les miens que les plaintes des âmes du Purgatoire sur le chant des archanges de la Hiérarchie céleste. C'est autre chose que je vous demande.
- Quoi donc, Monsieur le Président ?
- Je vous demande de me bénir sans m'absoudre. De rien. Je le vaux bien, non ?
- Cela m'est impossible, Monsieur le Président. Vous savez que je suis le Vicaire du Christ, et le fils de Dieu ne m'a pas donné le pouvoir d'orienter les bienfaits réparateurs de sa Providence en faveur des mortels qui se croient égaux à lui.
- Mais je ne suis pas l'égal du Christ, Votre Sainteté ! Je suis son juge. Quelque chose de moi était déjà présent à la cour de Hérode Antipas le soir du Jeudi saint, et c'est ce qui fut à l'origine de ma destinée si glorieuse. Si nous n'étions pas là pour livrer le Christ à ses bourreaux, qui le ferait, permettant ainsi l'avènement de la Passion et de la résurrection ? Grâce à moi, la crucifixion du monde et celle de la fille aînée de votre Eglise continuent tous les jours, et c'est ce qui justifie le maintien de votre trône. Cela vaut bien une bénédiction pontificale, je crois.
- Vous êtes trop retors pour moi, Monsieur le Président. Contrairement à mon prédécesseur, je n'appartiens pas à l'ordre noir de saint Ignace et je n'en prise pas les subtilités perverses. Autrement dit, je ne peux rien pour vous, sinon vous prévenir que votre obstination à intensifier la guerre en Ukraine et à légaliser l'euthanasie va faire courir d'immenses dangers au salut de votre âme. Renoncez-y.
- Eh bien, alors, je me passerai de votre bénédiction, Votre Sainteté. Après tout, rien ne m'empêche de me bénir moi-même. Ma regrettée grand-mère me l'avait appris, quand je passais des vacances avec elle dans sa jolie maison de la région de Bigorre. "Ne t'agenouille pas, me disait-elle, même devant Dieu. Ne prie jamais personne d'autre que moi. Si tu ignores toute forme d'humilité, tu pourras faire semblant de croire que la mort ne te concerne pas. Bénis-toi toujours toi-même en mémoire de moi."
- Je vous laisse, Monsieur le Président, car tout ce que vous me dites m'afflige au plus haut point. Je prierai pour vous après avoir servi la messe à la Basilique Saint-Jean-de-Latran, je vous le promets. Même si je sais déjà que cela ne sert à rien.