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7 mai 2025

Alexis Bourla
Psychiatre

-5/5/2025- Je ne sais pas si on devient tous un peu parano ou si nos députés ont vraiment décidé de désosser un à un tous les remparts éthiques... mais à la lecture du texte voté à l’Assemblée sur la fin de vie, j’ai été saisi d'un sérieux doute.
J'ai un avis réservé sur l'euthanasie dans un pays ou les soins palliatifs sont sous-développés. J'ai un avis très tranché sur l'euthanasie pour raison psychiatrique (qui est une aberration éthique, logique, morale et médicale). J'ai également un avis très clair sur les remparts "minimaux" nécessaires.
Mais la lecture des posts de Claire Fourcade (et hier par Geneviève Henault) semble montrer que les 4 piliers éthiques et moraux censés rendre cette loi à peu près compatible avec un minimum de sens commun ont été littéralement dégagés du texte.

AS1015 : Vérifier que le discernement du patient n’est pas altéré.
Rejeté.
Concrètement cela veut dire qu'on pourrait accéder à l'euthanasie sans que soit garanti qu’on est en pleine possession de ses capacités, qu'on est capable de prendre une décision ?

AS1110 : S’assurer que le demandeur n’est soumis à aucune pression financière, sociale ou familiale.
Rejeté.
Donc on accepte l’idée qu’un vieil homme seul, pauvre, ou dépendant puisse être “incité”, même indirectement, à choisir la mort plutôt que d’être un poids ?

AS97 : Créer un délit d’incitation à demander une aide à mourir (pression, manœuvre, influence indue).
Rejeté.
Pas de garde-fou juridique contre la manipulation ?

AS14 : Affirmer qu’aucun soignant, quel qu’il soit, n’est tenu de participer à une euthanasie ou un suicide assisté.
Rejeté.
Donc pas de clause de conscience finalement ?

Ce ne sont pas des détails techniques...
On récapitule : un patient dont le discernement n'aura pas été évalué, qui aura pu subir des pressions externes, pourra se faire euthanasier par un soignant qui n'a pas envie de le faire mais sera tenu de le faire, et les gens qui auront mis la pression (au patient et au soignant) n'auront rien à craindre même si on démontre qu'ils ont mis la pression ?
Mon espoir c'est que tous ces points sont déjà “traités ailleurs dans le texte” (mais où ?) et qu'on s'excite pour rien.
L'autre hypothèse c'est qu'ils ne veulent pas de ces remparts. Et dans ce cas, ce n’est pas une loi sur la fin de vie, c’est une déconstruction éthique méthodique.
Vous imaginez ce que ça veut dire, dans un contexte de dépression, de troubles cognitifs, de perte d’élan vital, d’anosognosie ? Vous imaginez le nombre de patients qui diront “je veux mourir”, alors que tout leur cerveau crie en réalité “je suis malade, aidez-moi” ? J'ai aussi vu passer un amendement (adopté lui...) créant un délit d'entrave qui dit que quelqu'un qui essaye d'empêcher une euthanasie peut être poursuivi.
Bon courage aux psychiatres dont c'est le boulot principal.
Les Pays-Bas et la Belgique sont en train de revenir sur certaines dérives.
Nous, on les légalise.
La mort devient une option thérapeutique parmi d'autres.