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6 juin 2025

Valérie Boivin

-6/6/2025- Ce que le psychothérapeute ne dit pas, mais qui crève les yeux à qui connaît un peu la clinique de l’enfance et de l’adolescence, c’est que la plupart de ces jeunes n’ont pas été aimés (je ne veux absolument pas dire que j'excuse leur comportement). NI CONSTRUITS dans le respect DE LA LIMITE ET DE L'AUTORITÉ. Ils évoluent dans ce que l’on appelle en psychanalyse la toute-puissance infantile, un état psychique archaïque où le désir ne rencontre jamais de cadre, jamais de non, jamais de tiers.
Souvent, l’image du père est absente dès le début. Le père a pu fuir ses responsabilités, être évincé par une mère toute-puissante, ou encore être là sans l’être, sans jamais incarner une figure d’appui, de Loi, de limite. Parfois, c’est la mère elle-même qui laisse sa propre mère (la grand-mère) prendre le rôle parental, créant une confusion des places qui empêche toute structuration psychique claire.
Dans ces cas-là, l’enfant ne rencontre pas de barrière symbolique. Il n’y a pas d’interdit fondateur. Il n’y a pas de tiers pour lui dire : « ça suffit », ou « tu n’es pas tout ». Et dans ce vide, l’adolescent grandit sans foi ni loi, avec une colère sourde qu’il retourne contre la société toute entière.
À l’adolescence, cette carence devient explosive. L’enfant entre dans la tempête œdipienne sans carte ni boussole. Il ne sait pas où sont les limites, ni même qu’elles existent. Alors il agit, il teste, il brûle, il casse. Il met en scène la toute-puissance qu’on n’a jamais su contrer symboliquement.
Le Dr Berger, qui travaille avec ces adolescents, parle d’enfants incapables de jouer, incapables de « faire semblant ». Ils n’ont pas de jeu symbolique, seulement des actes : voler, détruire, frapper. Ce ne sont pas des actes politiques, ce sont des jeux réels de ceux qui n’ont jamais appris à penser, ni à transformer leur agressivité en parole.
Et ce n’est pas seulement un déficit culturel ou social : c’est un effondrement psychique.
Ces adolescents sont incapables de rêver, de se projeter, de symboliser. Ils ne reconnaissent pas les émotions sur les visages, ne savent pas lire l’autre. L’empathie est absente car l’Autre ne leur a jamais été présenté comme un sujet – juste comme un obstacle ou un ennemi.
Leurs journées sont vides. Ils s’ennuient. Et dans cet ennui, l’acte vient combler le vide : casser, brûler, transgresser. Non pas pour revendiquer, mais pour exister.
Et c’est là le drame : faute de pensée, vient la violence. Faute de cadre, vient l’explosion. Faute d’amour, vient la haine.
Ce n’est pas une question de morale, ni même uniquement de politique : c’est une catastrophe éducative, affective, transgénérationnelle. On a voulu tout déconstruire, et l’on découvre aujourd’hui ce que devient une partie de la jeunesse sans construction.