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5 juillet 2025

Anne-Sophie Chazaud
5/7/2025

Chers Amis,
C'est avec un peu de beauté et de fraîcheur (dont je ne révélerai toutefois pas le lieu paradisiaque caché) que je voulais d'une part remercier ceux d'entre vous, fidèles à travers les ans numériques, qui m'ont souhaité mon anniversaire il y a quelques jours, et d'autre part vous souhaiter pour ma part un bel été tout en vous donnant quelques nouvelles.
Depuis plus de 10 ans que j'ai découvert les réseaux sociaux, au départ avec une grande réticence immédiatement suivie d'une sorte de compulsive addiction (pour des raisons multiples ayant trait à la période de ma vie où cela se situait), mes interventions et ce qui m'a lié à vous portait principalement sur mes observations et parfois mes analyses étayées de la vie publique française. Je suppose qu'après des décennies de couvercle mitterrandien puis post-socialiste, je trouvais ici, comme beaucoup de ceux de la génération X, enfin un exutoire et un lieu qui nous permettait de donner du sens et de partager ce que nous avions traversé et subi politiquement pendant tant de temps dans une relative solitude au milieu du troupeau. Qui ne manqua pas de bêler...
Je ne regretterai jamais cette formidable bouffée d'oxygène et d'expression enfin libérée que cela nous a permis de construire et de partager ensemble.
Depuis, beaucoup de choses se sont produites.
L'on a assisté à un double-mouvement : le foisonnement de la parole, un foisonnement jamais connu dans les années antérieures et qu'elles que soient les pulsions liberticides du pouvoir et des maîtres-censeurs. Et dans le même temps, nous vivons, en direct, un effondrement civilisationnel comme on n'en avait jusqu'alors lu que dans les livres d'Histoire.
Cet effondrement, particulièrement perceptible en France en raison du haut degré de décomposition, de nuisible médiocrité, de corruption de ses "élites" et du travail de sape effectué depuis des décennies en profondeur contre le pays lui-même par ceux qui avaient pour mission officielle la "fabrique du citoyen", a pris depuis l'élection de la Créature macronienne une tournure tout à la fois catastrophique et grotesque. On retrouve cet effondrement avec différentes spécificités locales sur le nuancier européen.
Pour ma part, j'ai déjà eu l'occasion de vous faire partager mon profond désarroi depuis la reconstitution du bloc des baltringues lors des dernières législatives. Qu'on me comprenne bien, mon souci n'est pas l'échec du RN, a fortiori lorsqu'on constate ce qu'est devenu cette formation désormais à peu près semblable à l'UDF de Giscard d'Estaing. Non, ce que je n'ai pas encore bien réussi à mentaliser, c'est le niveau de débilité d'un peuple qui cautionne pour la soixantième fois l'alliance de Retailleau, de Raphaël Arnault et de François Bayrou, en une sorte d'immonde et répugnant Centipède Humain.
Une chose est certaine, j'ai ressenti alors avec une grande violence le fait que je ne me sentais plus faire partie de ce peuple, un sentiment de sécession intérieure qui est allé, me concernant, jusqu'à la langue elle-même, que je ne parvenais plus vraiment à utiliser car je sentais que plus rien ne nous liait les uns aux autres dans ce fatras chaotique et que, normalement, c'est à cela que sert le Logos.
J'ai donc, comme vous l'avez constaté, déserté ce champ du Logos, n'y trouvant plus la matière commune d'un groupe (un peuple) aux valeurs élémentaires partagées.
J'aurais pu, bien sûr, continuer de m'indigner du matin au soir, au sacrifice de la vraie vie et de mes proches, j'aurais pu penser que j'avais pour mission auto-instituée de porter Dieu sait quelle parole collective au milieu de ce fatras. J'ai fait le choix de la vie et de la préservation du temps de vie (qui nous est compté) pour ceux et ce que j'aime plutôt que celui de la dilution de soi dans le chaos.
Les réseaux sont emplis de gens qui du matin au soir, dimanches et jours fériés inclus, s'indignent, se toxifient jusqu'à l'écœurement du spectacle de cet effondrement collectif et qui, au prétexte de l'analyser sans relâche, y contribuent par l'exposition continuelle d’un profond vide intérieur. Je parle d'expérience...
Je n'ai pas souhaité participer, poursuivre et surenchérir à cette agitation continuelle, non pas pour me complaire dans quelque distance prétentieuse et vaguement détachée, non, mais parce qu'il m'a semblé que ce n'était pas là que j'allais trouver ou donner du sens aux choses.
J'ai par ailleurs acquis la totale conviction que cette agitation continuelle en forme d'opposition systématique à TOUT (et Dieu sait que les sujets ne manquent pas vu le niveau de déchéance ambiant) loin de changer quoi que ce soit au cours des choses, y contribuait, et j'ai souvent eu l'occasion de dire que dénoncer le spectacle en y rattachant son existence de tous les instants, c'était encore en faire partie. Je suis enfin totalement convaincue que très peu de gens changent d'avis et d'opinion à la lecture des analyses des uns et des autres. J'ai d'ailleurs observé qu'en dépit de ses nombreuses qualités, ce qu'on appelle par facilité la "réinfosphère" produit elle-même ses propres poncifs, ses lieux-communs, ses indignations réflexes et son prêt à penser, exactement comme le "mainstream" auquel elle croit s'attaquer. C'est en tout cas la raison pour laquelle j'ai, personnellement, cessé d'y intervenir, puisque je ne m'y retrouvais plus en dépit de la sympathie, du soutien ou de l'estime que je peux avoir pour tel ou tel de ses membres.
Le pas de côté géographique que ma vie personnelle me permet de faire, m'a par ailleurs fait mesurer quelque chose dont il est devenu difficile de se souvenir en France : il existe encore des pays où les élus, certes imparfaits, œuvrent pour l'intérêt général et dans le respect de leur peuple. Oui, ça peut paraître fou, mais c'est la réalité.
Le dézoomage est donc d'utilité publique en termes d'espérance.
Alors s'est posée pour moi la question de "que faire?" : continuer de publier des textes sur le mode antérieur m'est apparu comme dénué de sens au regard de tout ce que je viens d'exprimer. Dire le chaos, railler la médiocrité, énoncer l'effondrement, certains en ont empli leur quotidien, ils le font parfois de bonne et utile manière, je l'ai moi-même abondamment pratiqué, mais je n'ai pas, pour ma part, envie que mon existence consiste désormais en cela.
En divorçant de mon pays, j'ai par ailleurs ressenti une profonde tristesse, au-delà du mépris de surface, et le sentiment de chagrin de lâcher la main de tous ceux qui, pour lui, pour ce pays qui m'a faite, sont morts. J'avais le sentiment, quoi qu'il en soit, de les abandonner et de les trahir.
Pour ces différentes raisons, j'ai pris la décision de suspendre mon site dans sa forme antérieure, afin de lui en donner une nouvelle, une nouvelle impulsion. Plutôt que de décrire l'effondrement, je veux valoriser ce qui est beau, ce que j'aime, ce qui demeure positif, ce qui me plaît ou me passionne. Je souhaite par conséquent aller vers une narration à rebours de l'effondrement, non pas dans une forme d'optimisme niais, mais qui décrive un autre réel que celui de la déchèterie qu'est devenue la vie publique française.
Je veux parler de ce que j'aime, de ce qui est beau, de ce qui réussit, je veux reprendre dans la mienne la main de ceux qui, morts pour nous, nous regardent depuis la tombe les yeux écarquillés et incrédules, en nous demandant des comptes sur ce que nous avons fait de leur héritage.
Je prends donc l'été pour redéfinir cette manière d'aborder les choses, et je reviendrai vers vous à la rentrée avec cette fois-ci une forme d'expression et des sujets qui, je l'espère, vous apporteront du plaisir, de l'intérêt, de l'émotion, des vibrations et de la joie, qu'il s'agisse de rencontres, de lieux, de sports, de musique, de métiers d'art, de gens qui font des choses qui marchent, de sciences, de techniques, bref, ma part de résistance à la déréliction du régime se situera en marge des lourdes et bavardes joutes théoriques et j'irai tremper ma plume dans quelque élan vital non toxique plutôt que de nager dans la Seine boueuse (ce qui m'apparaît comme le meilleur symbole de la vie publique cloacale actuelle).
Je vous donne donc rendez-vous à la rentrée pour ceux qui me feront l'amitié de me suivre encore malgré mes longues absences et infidélités, et je vous embrasse.
Prenez soin de vous.
ASC