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16 mai 2023

Communautarisme

Denis Collin

Dénoncer le communautarisme ? Soit. Le problème est d'abord de se mettre d'accord sur le sens du mot. La "polis", la cité grecque, est une communauté "politique". Nous vivons tous dans des communautés, professionnelles, amicales, locales, d'affinités d'idées. La république est une communauté. La négation des communautés est la société réduite à des individus menant des existences séparées, la "société liquide", la société qui n'est pas une société ("there no society" comme disait Thatcher). Ce à quoi nous avons affaire n'est pas la montée des "communautés", mais la société liquide : chaque individu excipe de ses particularités pour se soustraire à la communauté politique. Ce qu'on appelle "communautarisme" n'est, le plus souvent que l'exacerbation de la décomposition des communautés sous les coups de boutoir du mode de production capitaliste. Il y a aussi dans ce "communautarisme" une réaction contre ce même processus. Puisque la famille n'est plus cet ultime refuge dont parlait Lasch, il faut s'inventer des tribus avec leurs signes d'appartenance – la généralisation du tatouage est aussi un signe de ce tribalisme...

7 mai 2023

La liberté, une valeur en perte de vitesse

Denis Collin

Les discussions auxquelles je participe sur FB, notamment à partir des sanctions prises contre deux professeurs de philosophie, révèlent à quel point est fragile l'idée de liberté. On trouve mille et une bonnes raisons pour sacrifier la liberté des professeurs, comme hier on trouvait mille et une bonnes raisons pour justifier les assassins de Charlie ou ceux de Samuel Paty.
La liberté est une valeur en perte de vitesse. Pris entre les administrations et les censeurs privés des divers groupes communautaires, on n'a plus le droit de parler, ou du moins ce droit se rétrécit dangereusement.
Voici encore un extrait ** La longueur de la chaîne ** (2011)
Résumons : la critique est interdite, de l’esclavagisme, de l’antiesclavagisme, du colonialisme et de l’anticolonialisme, du judaïsme, de l’islam, du christianisme, d’Israël, des États-Unis et des États arabes… Silence dans les rangs. Vous avez cependant le droit de dire tout le mal que vous voulez de Cuba, de l’Iran, de la Corée du Nord, et par un vieux réflexe vous pouvez même vous en prendre à la Russie ! Sans doute ces derniers pays méritent-ils d’être sévèrement jugés, mais on ne sache pas que les droits humains soient plus maltraités à Cuba qu’en Arabie Saoudite, que les droits des femmes soient mieux respectés dans les Émirats arabes qu’en Iran ou que la Corée du Nord soit vraiment plus dangereuse pour la paix que le Pakistan.
On pourrait ainsi multiplier les exemples, en nous tenant à la France : il n’est pas besoin d’aller aux États-Unis pour voir comment la pensée unique, le conformisme de masse, le puritanisme le plus ridicule et le plus tatillon exercent leurs ravages dans une démocratie transformée en jouet des groupes de pression et des oligarchies en tout genre. De la part de la droite française, cette hostilité à la liberté d’expression n’est pas vraiment surprenante. Seuls les jeunes gens peuvent ne pas savoir quel pesant conformisme faisait régner le gaullisme, à l’époque où l’adaptation, par Jacques Rivette, de La Religieuse de Diderot tombait sous les coups de la censure, à l’époque où François Maspero – en raison des ouvrages politiques qu’il publiait – et Jean-Jacques Pauvert – pour ses œuvres érotiques – croulaient sous les procès. Le « parti de l’ordre » est dans son rôle.
Plus inquiétant et plus étonnant semble le ralliement d’une partie de la gauche à la répression tous azimuts. Mais quand on y regarde de plus près, ce n’est pas si étonnant. Si la droite défend la propriété bien plus que la liberté, la gauche a été plus souvent qu’à son tour élitaire et autoritaire. Il n’est guère d’organisations aussi peu démocratiques que les syndicats et partis de gauche, mis à part les partis de droite ! Le succès français du « centralisme démocratique », ce produit d’exportation russe semblait peu compatible avec le tempérament qu’on dit volontiers frondeur et un peu anarchiste des Français. Pourtant, pendant plusieurs décennies, le Parti Communiste a réussi à imposer une formidable discipline des consciences à des centaines de milliers de citoyens, majeurs, indépendants, qui se sont essayés à la servitude volontaire. Il n’en va guère mieux avec le parti socialiste – sous ses divers avatars – qui, sans la force et l’efficacité du PCF, a une solide tradition de parti bureaucratique avec des mœurs semi-féodales.
Au fond, cette gauche française qui a renoncé depuis longtemps à secouer le joug du capital et de l’État et n’a rien d’autre à proposer que mettre des fleurs sur les chaînes de l’oppression et de la domination, est fondamentalement portée à mépriser la liberté. Tant que la droite et la gauche s’opposaient frontalement (selon la logique de la guerre froide), il restait à la liberté un espace dans ce conflit lui-même. Mais avec la fin des espoirs, des illusions ou des mystifications du « socialisme à la française », une fin qu’on peut faire remonter à l’automne 1981, pour ne pas dire au 21 mai de la même année, jour de la prise de fonction du président Mitterrand, l’exténuation du conflit droite-gauche conduit progressivement la vie publique au conformisme, au triomphe complet de la langue de bois. C’est ainsi qu’il est devenu impossible de distinguer par le style et le vocabulaire les textes des congrès des partis de droite de ceux des partis de gauche.

27 avril 2023

Néolibéralisme

Denis Collin

Le terme "néolibéralisme" est un des exemples typiques de la confusion qui règne dans les cervelles qui se disent de gauche. Le libéralisme est une vieille doctrine sociale et politique qui n'a pratiquement plus aucune réalité nulle part. Le préfixe "néo" fait croire à une sorte de renouveau du libéralisme. En fait, il s'agit de déplorer aujourd'hui au profit d'un hier largement mythifié. On regrette l'État du "welfare", le New Deal, le Front populaire et le programme du CNR et on croit que tout cela était bien. En fait, ce fut une phase particulière du fonctionnement du mode de production capitaliste (un mode de régulation fordiste-keynésien, disent certains économistes) qui s'est terminée quand ses effets furent épuisés (1971 pour donner une date) et les capitalistes s'engagèrent dans une autre voie, non pas d'un retour au libéralisme d'avant 1914, mais de ce que l'on pourrait appeler un "keynésianisme antisocial". Il n'y a pas moins d'intervention de l'État, au contraire même, mais ces interventions visent surtout à détruire toutes les protections sociales des travailleurs et à gonfler les profits des capitalistes qui ont fait main basse sur l'administration. Le "capitalisme vert" est un des moyens utilisés.
Le terme "néolibéralisme" permet d'éviter de désigner le problème de fond : le mode de production capitaliste. Que des gens qui se disent marxistes tombent dans ce travers est assez étonnant.
Pour conclure, on rappellera que la "concurrence libre et non faussée" fait partie du traité de Rome de 1957 ! Quelque temps plus tard, le SPD, au congrès de Bad-Godesberg répudiait le marxisme et se prononçait pour la libre concurrence et la liberté de l'entrepreneur, pour "l'économie sociale de marché", formule que la démocratie chrétienne faisait volontiers sienne. Tout cela donnait le "la" des années qui venaient.

11 avril 2023

Denis Collin

On entend un peu partout que Macron prépare la victoire de Le Pen. Si je comprends bien, le pire des reproches qu'on ait à lui faire est celui-là. Par la même occasion, on énonce 1. que Le Pen est pire que Macron et 2. que, le moment venu, on choisira quand même le "moindre mal". Cela prouve à quel point les cervelles "de gauche" sont devenues de la bouillie, car 1. Macron est pire que tout, Le Pen compris (c'est la position que nous avions défendue dans "La Sociale" lors de la dernière présidentielle) et 2. C'est Le Pen qui soutient Macron, notamment se contentant de "faire peur" sans rien faire que servir d'alibi aux couardises de la "gauche".
Si j'avais été dirigeant de gauche, de la NUPES par exemple, je me serais adressé à Marine Le Pen, aux électeurs du RN pour leur dire : Macron détruit notre pays ! Macron détruit notre modèle social ! Comme vous, nous savons que la discipline de l'UE nous étrangle, alors, ensemble, manifestons et agissons pour virer ce nuisible !
Mais pour tenir ce discours, il eût fallu que notre "gauche" ne fût point composée de décérébrés, de petits arrivistes et de francs idiots, il eût fallu qu'une partie d'entre eux ne fût pas préoccupée de ne surtout pas rompre toutes les amarres avec le macronisme (n'est-ce pas M. Roussel ?). Bref, il eût fallu que fût résolu le problème principal : quelle alternative populaire, capable de fédérer toute la nation contre le capital et ses sbires ?

9 avril 2023

Denis Collin

Pouvons-nous sauver les acquis de la civilisation européenne ? Pouvons-nous espérer transmettre quelque chose à ceux qui naissent après nous ? Peut-être. Mais à condition de rompre radicalement avec tous les régimes d'empire, en premier lieu celui dont nous sommes les laquais, USA et UE. À condition de défendre notre indépendance et d'en payer le prix : produire chez nous ce dont avons besoin, être souverain militairement et nous appuyer sur une défense civile, assimiler les immigrés (ceux qui ne le veulent pas pourront retourner d'où ils viennent). Et surtout virer la clique qui nous gouverne depuis bien trop longtemps.

6 avril 2023

Si vous aimez le nouveau monde qui se dessine [Iran]

Denis Collin

"Enlever son voile équivaut à être hostiles à nos valeurs". Le chef de l'autorité judiciaire iranienne, Gholamhossein Mohseni Ejei, a prévenu que les femmes non voilées seraient poursuivies "sans pitié", selon des propos rapportés par les médias iraniens ce samedi.
"Celles qui commettent des actes si anormaux seront punies", a-t-il ajouté, sans donner de détails sur ce que pourrait inclure cette punition. Il a par ailleurs déclaré que les forces de l'ordre étaient "obligées de signaler les crimes évidents et toutes formes d'anomalies contraires à la loi religieuse et se produisant en public aux autorités judiciaires. Ni recul ni tolérance."
Plusieurs déclarations allant dans le même sens ont été faites ces derniers jours. Dans un communiqué publié jeudi, le ministre de l'Intérieur a décrit le voile comme étant "l'une des fondations civilisationnelles de la République islamique d'Iran" et qu'il n'y aurait "aucun recul, ni tolérance" sur le sujet.
Ce samedi, le président iranien Ebrahim Raisi a une nouvelle fois appelé les Iraniennes à porter le voile par "obligation religieuse".

30 mars 2023

Denis Collin

Se prépare, tranquillement, une nouvelle vague de destruction massive d'emplois et cette fois il s'agira des emplois les plus qualifiés et les mieux payés. L'IA sera le tsunami qui emportera les classes moyennes et moyennes supérieures et transformera les pays capitalistes développés en pays du tiers monde. La vie ressemblera ce qu'on voit dans les vieilles BD de Bilal.
- il n'y a plus besoin de radiologues, mais seulement d'auxiliaires pour guider les patients vers les machines dont les images seront analysées par une IA qui pourra même rédiger en bon français le compte-rendu. On pourrait très bien imaginer des IA pour orienter les patients et renvoyer avec du doliprane ceux qui n'ont pas besoin d'un médecin. Après tout, la première IA, MYCIN, était une machine à diagnostiquer les infections bactériennes et à proposer des traitements (1976).
- il n'y a plus besoin de services juridiques dans les entreprises. Accessoirement, on pourrait résoudre le dramatique manque de personnel dans la justice.
- les programmeurs peuvent commencer à se reconvertir (en éboueurs ou en livreurs de pizzas) car les IA sont de plus en plus performantes pour produire du code.
- les services clients peuvent être considérablement allégés. Déjà les "chatbot" tendent à prendre le relai. Mais on n'a encore rien vu.
- les journalistes peuvent préparer leur reconversion en travailleurs du BTP.
- les professeurs deviennent largement inutiles pour corriger les copies et dispenser l'enseignement minimaliste "utile".
Comme dirait le préfet de police, ça va taper ! La transformation de la masse en plèbe, comme sous l'empire romain, qu'il suffira de distraire (circenses) et de nourrir à minima (panem). Voilà le projet des 0,1%, appuyé sur des cons d'intellectuels prétentieux, prêts à scier la branche sur laquelle ils sont assis.

25 mars 2023

Denis Collin

N'en déplaise aux antifas professionnels (aussi bêtes que méchants), le danger fasciste (si on tient à tout prix à parler de fascisme) n'est pas du côté de Mme Le Pen, mais bien de l'équipe de millionnaires corrompus qui nous gouverne et transforme les forces de l'ordre en garde prétorienne des puissants. Macron, cependant, n'est même pas un fasciste (pour cela il lui faudrait une colonne vertébrale... pour parler poliment). Il est arrogant, méprisant, dépourvu de tout sens moral, menteur comme un arracheur de dent, prêt à trahir tout le monde, mais pas un fasciste. Un laquais des milliardaires qui l'ont recruté et mis sur le trône. En revanche, derrière lui s'avancent tous ceux qui veulent en découdre une fois pour toutes avec le fantôme du socialisme et des revendications sociales. Mention spéciale, médaille d'or de la saloperie et de la veulerie, les hollandistes qui se réunissent non pas contre la réforme des retraites, mais contre la NUPES : Hollande, Cazeneuve, Le Fol, Cambadélis, Delga, Meyer-Rossignol et quelques autres crapules de plus petite taille. Qu'ils aillent tous au diable !

22 mars 2023

Denis Collin

La longue visite de XI Jinping en Russie est incontestablement un événement majeur. La Chine affirme sa place dans la géopolitique mondiale et prévient les États-Unis qu'ils auront dorénavant beaucoup de soucis à se faire. Les Européens sont renvoyés à leur misérable inexistence, excepté comme champs de manœuvres des nations qui comptent.
De cette situation, on pourrait se réjouir : la fin de la domination occidentale ne serait que justice ! On confierait volontiers aux puissances montantes la mission de punir ce capitalisme que nous n'avons pas su combattre et encore moins abattre.
Cette orientation, largement reprise un peu partout, est pourtant fort douteuse. Je n'ai pas très envie d'être soumis à la vision très particulière des droits de l'homme entre la Chine, l'Iran et l'Arabie saoudite... À côté d'eux, Poutine a même l'air d'être un démocrate. Le nouveau monde, pour lequel on s'enthousiasme ici et là ressemble fort à ce qu'il y avait de pire dans l'ancien monde, mais avec une technologie qui rendra bien vite toute résistance vaine. Les nouveaux maîtres ne me semblent pas préférables aux anciens. Le mieux est toujours de n'avoir pas de maître du tout !
Les transes qui ont saisi les classes dirigeantes d'Occident risquent fort de précipiter le mouvement, par réaction notamment contre les excès et les folies "sociétales". On sent ici et là naître une sorte de "poutinisme" pour Occidentaux, une aspiration au retour à l'ordre capitaliste ancien pur et dur qui devrait nous inquiéter.
Il va falloir se battre sur deux fronts : contre les folies du capital mondialisé sous domination américaine et les menaces de régression des libertés personnelles autant que publiques, que ces menaces soient internes ou extérieures. Cette civilisation qui a porté au plus haut point le revendication de la dignité de l'homme (Pic de la Mirandolle) pourrait disparaître pour longtemps. Si cela devait arriver, les vivants envieraient les morts, comme nous envions parfois l'air de liberté des années 1960/1970.

13 mars 2023

De la démocratie en général et singulièrement dans la France contemporaine

Denis COLLIN

Nous sommes conviés à défendre la démocratie et « nos valeurs ». Mais il serait bon de savoir ce que ce terme recouvre exactement. Le terme est plébiscité aujourd’hui (mais ce ne fut pas toujours le cas). Mais il recouvre au moins trois acceptions différentes.

La première dit que la démocratie est le pouvoir du peuple, c’est-à-dire le pouvoir de ceux qui participent de la vie de la cité ; on sait que les démocraties antiques ne considéraient comme citoyens qu’une partie restreinte du peuple. Et même chez nous, les femmes furent exclues de la pleine citoyenneté jusqu’à la Libération ! Mais quelle que soit l’extension de la citoyenneté, les citoyens participent tous du pouvoir par le biais des assemblées qui décident des lois et désignent les magistrats chargés de les exécuter. Le modèle de la démocratie était celui d’Athènes à l’époque classique. Les conseils ouvriers, russes, allemands, hongrois, de l’immédiate après première guerre mondiale en sont des exemples.

En second lieu, on nomme démocratie un régime politique dans lequel les représentants du peuple sont élus au suffrage universel et doivent régulièrement rendre compte de leur mandat. Cette démocratie représentative suppose a minima que le pouvoir politique appartient au Parlement. Les expressions « démocratie parlementaire » ou « démocratie représentative » sont des pléonasmes, pour ne rien dire de cette obscure notion de « démocratie participative » qui connut son heure de gloire…

En troisième lieu, on parle de démocratie quand les droits individuels essentiels sont garantis. Il n’y a pas d’esclave, chacun est propriétaire de lui-même, chacun dispose du droit de choisir son emploi, son conjoint, de professer la religion qui lui sied ou de n’en professer aucune, d’exprimer ses opinions, de jouir de ses propriétés légitimement acquises, etc.

Force est de reconnaître que la démocratie en son sens originel n’existe nulle part, à l’exception de la Suisse qui n’est cependant qu’une démocratie semi-directe. On peut admettre que la démocratie directe n’est applicable strictement que dans des petites communautés politiques et non dans les grands États-nations modernes. Nous serions donc condamnés à la démocratie parlementaire, combinée à une échelle plus ou moins large avec le référendum d’initiative populaire.

Ce qui est inquiétant, c’est que l’on voit, un peu partout une formidable régression des droits des parlements au profit des exécutifs de plus en plus concentrés sur une seule personne et au profit d’instances non élues, si typiques de la nouvelle « gouvernance », ainsi la Commission de l’Union européenne. De ce point de vue, la France est une caricature. Le régime créé par un coup d’État en 1958 conférait au président des pouvoirs considérables, quoique le Parlement y gardait quelques prérogatives, dûment encadrées – on a pu parler à propos de ce régime de régime semi-bonapartiste et semi-parlementaire. La chose s’est sérieusement aggravée avec le passage à l’élection du président au suffrage universel qui faisait passer évoluer le régime vers un système « monarchique » plébiscitaire (le modèle étant Napoléon III). Deux éléments venaient tempérer cette évolution dangereuse. Le premier était la possibilité de la « cohabitation » avec une majorité parlementaire opposée au président (ce qui est arrivé en 1986-1988 et en 1997-2002), situation où, de fait, le centre du pouvoir était rééquilibré vers le Parlement. Le deuxième élément non institutionnel était la recherche par de Gaulle d’un lien assuré entre la nation et « l’homme de la nation ». Ainsi de Gaulle mit en jeu son mandat à chaque élection nationale et usa du référendum dont le dernier, celui de 1969, le conduisit à une démission immédiate. Mais après de Gaulle, plus aucun président ne se sentit engagé par le résultat d’une consultation populaire et après la modification constitutionnelle de convenance organisée par Chirac et Jospin en 2002 (réduction du mandat présidentiel à 5 ans et inversion du calendrier électoral) il est devenu presque impossible de fait que le président se trouve face à une majorité parlementaire hostile, la représentation nationale n’étant plus que la représentation du président – surtout avec le mode de scrutin majoritaire.

C’est pourquoi nous ne pouvons pas vraiment dire que la France est une démocratie. C’est plutôt une oligarchie, puisque le pouvoir réel n’est exercé ni par le peuple, ni par les représentants du peuple, mais par une caste sélectionnée par les plus riches, appuyés sur une fraction de l’appareil d’État dont le rôle politique est de plus en plus envahissant.

Évidemment, l’oligarchie est difficilement compatible avec ce que l’on nomme « État de droit », même si cette expression est fort équivoque. Les libertés individuelles, en France comme partout sont de plus en plus restreintes par la surveillance généralisée, dont le Covid a donné un petit avant-goût. Les droits des justiciables sont de moins en moins assurés. Les « Gilets Jaunes » ont payé de leurs yeux et de leurs mains le sens très particulier du droit de manifester dont à fait preuve l’exécutif. L’information est pour l’essentiel sous contrôle entre une radio et télévision d’État de plus en plus calquée sur le modèle RDA d’avant 1989 et les médias privés possédés par une poignée de milliardaires qui, hasard étonnant, sont aussi ceux que l’on a retrouvés dans le « tour de table » où l’actuel président fut choisi comme représentant des oligarques. Même quand l’immense majorité des citoyens refuse la réforme des retraites, le pouvoir dispose de toutes les astuces et toutes les roueries de la constitution pour faire passer sa loi.

Tout naturellement, un tel régime est particulièrement propice à la corruption, au règne du passe-droit, au népotisme et à la protection des copains et des coquins si d’aventure la justice se mêle de leur chercher des poux dans la tonsure. De Benalla à Dupont-Moretti et Kohler, les exemples abondent. Dans un pays même modérément démocratique, le scandale du rachat d’une partie d’Alstom par General Electric aurait dû coûter à l’actuel président une inéligibilité à vie. Mais comme on le sait, il n’en est rien.

Rappelons pour terminer, ce que proposaient les Conventionnels de 1793 : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple, et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. » (article 35) - 13/3/2023


5 mars 2023

« Si on remettait au centre la question de la liberté, on y verrait plus clair. »

Denis Collin


Nos sociétés contemporaines nous laissent croire que nous sommes libres ; c'est un leurre. Nous sommes encore ferrés dans nos chaînes, y compris en Occident. Des chaînes que nous prenons pour des ailes : nous nous croyons en démocratie, nous pensons que le travail permet de nous émanciper et nous imaginons que les nouvelles technologies nous facilitent la vie. Telle est notre « novlangue » quotidienne.
Mais l'oligarchie règne, l'homme est embourbé dans la société de consommation et le libéralisme, le contrôle sécuritaire est de plus en plus prégnant, tandis que les progrès médicaux en matière de procréation nous rapprochent d'une « fabrication industrielle de l'humain ». Dans ce contexte, nous devons interroger et repenser les conditions d'une véritable libération humaine.

C'est le travail qu'a entrepris Denis Collin. Se basant sur de nombreuses références historiques et philosophiques, il en redéfinit les concepts et nous ouvre de nouvelles perspectives politiques, économiques, sociales et métaphysiques. La mise en place d'« associations partielles » à tous les niveaux de l'organisation politique, la fin du salariat au profit de la coopération des producteurs, la réalisation de l'homme au travers de son activité créatrice, la garantie du primat de la subjectivité face au scientisme, font partie de ces armes destinées à rompre nos chaînes.

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3 mars 2023

Ukraine-Russie : non, ce n’est pas une guerre de civilisations !

Denis COLLIN

Au-delà de la propagande (qui se déverse abondamment des deux côtés de la « ligne de front », il importe de comprendre ce qui est en cause dans la guerre que la Russie mène en Ukraine. Je suis tout prêt à admettre que certains pays de l’OTAN ont sciemment préparé cette guerre et « poussé Poutine à la faute ». Dans toutes les guerres, il y a un déclencheur, l’agresseur, et d’autres qui se prétendent agressés. Ici, comme de coutume, les deux parties se prétendent agressées et se renvoient la faute. Du grand classique : c’est reparti comme en 14 ! Mais ce qui est important, c’est de comprendre la nature de la guerre. En 1914 comme en 1940, il s’agissait du partage du monde entre grandes puissances appartenant à la même civilisation. Y compris l’URSS dont le système sociopolitique était différent de celui des autres belligérants, mais peut-être pas autant qu’on l’a dit.

Dans la guerre actuelle entre Russie et Ukraine [soutenue par les pays de l’OTAN], il pourrait sembler de prime abord que la guerre est une question de place sur l’échiquier mondial et d’ambitions capitalistes. Mais, nous disent des penseurs éclairés, il n’en est rien. Les uns annoncent qu’il s’agit de la guerre pour « défendre nos valeurs » contre les traditionnels barbares russes représentants de tous les régimes autoritaires, plus ou moins totalitaires, de la planète. Pour les autres, il s’agirait d’une « guerre anthropologique » et civilisationnelle, opposant deux modes d’organisation familiale et deux rapports à la civilisation. Poutine a volontiers donné cette dimension à la guerre, soutenant qu’il menait bataille contre l’Occident dégénéré et perverti, sous la coupe des lobbies homosexuels. On voit ici et là fleurir quelques théories fumeuses : les 80 % de la planète qui vivent sous des régimes familiaux patriarcaux autoritaires s’opposeraient aux 20 % libéraux, plus ou moins gouvernés par les féministes et autres « woke ». On s’appuie pour défendre cette thèse sur les déclarations d’Emmanuel Todd, soutenant ses hasardeuses extrapolations politiques de son autorité de chercheur spécialiste des systèmes familiaux. L’irrépressible besoin de simplifier la réalité en coupant le monde en deux camps se manifeste sous cette forme nouvelle.

Mais cette thèse des deux camps séparés par des divergences culturelles et même anthropologiques ne tient pas une minute. La Russie est aussi européenne que la Pologne et nettement plus que la Turquie qui est un membre de fait de l’UE. Certes, on n’hésite pas à débaptiser les écoles de musique dédiées à un compositeur russe, à déprogrammer des séminaires dédiés à des écrivains russes. Ce n’est rien d’autre que la preuve de l’inculture galopante dans nos pays où l’on n’hésite pas à reprendre les méthodes de contrôle des esprits de tous les États totalitaires.

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1 mars 2023

Denis Collin

Woke et transgenres tentent de faire régner leur loi. On ne se contente pas de réécrire James Bond (à qui le tour ?), de censurer les films, on poursuit en justice pour "transphobie" quiconque déclare qu'un homme est un homme (duas habet et bene pendentes) et qu'une femme est une femme (elle a un minou, une chatte, etc.). Quiconque refuse la folie psychotique du trans (le déni du réel est une psychose) se voit menacé par les brigades de la vertu (venues des États-Unis). Au Canada, la police arrête un lycéen à la sortie du lycée dont il est bientôt exclu pour avoir rappelé qu'on ne peut pas aller contre la biologie. Comme disait le père Socrate, dans tout cela je vois le vigoureux commencement du fascisme.

21 février 2023

Denis Collin

J'apprends que l'École Tchaïkovski de Bruxelles a été débaptisée en raison des événements internationaux. Tout cela reste petit bras. Dans toutes les villes, il faut vider les bibliothèques publiques et privées des livres de Gogol, Tourgueniev, Dostoïevski, Tolstoï, Pouchkine, mais aussi Pasternak et Soljenitsyne, et bien d'autres encore, et faire avec tous ces livres de grands feux de joie pour nous débarrasser définitivement de la culture russe. Ne pas oublier non plus Kandinsky, Chagall, Malevitch et brûler les copies des films d'Eisenstein et autres malfaisants de la même farine. J'espère aussi qu'on va fermer toutes les églises orthodoxes russes en France.

18 février 2023

Ukraine : jusqu’où ira le massacre ?

Denis COLLIN

Comme toujours en cas de guerre, la vérité a du mal à se faire jour. Pendant la guerre américaine au Vietnam, il y avait encore des reporters de guerre qui ont permis de savoir, à peu près ce qui se passait et qui ont largement contribué au développement des mouvements de protestation contre l’agression américaine. Depuis, les maîtres de mort ont décidé que pareille mésaventure ne leur arriverait plus. Lors de la première guerre du Golfe, l’embargo a été mis sur l’information. Les journalistes sont désormais des journalistes embarqués… De la guerre entre l’Ukraine et la Russie, nous ne savons pas grand-chose réellement. Nous avons les discours de Poutine et de Zelensky, des chefs d’état-major de l’OTAN, des politiciens et de leurs petits porte-parole, stipendiés tout de même, dans les médias.

Selon le gouvernement norvégien, la guerre aurait fait plus de 180 000 morts et blessés côté russe, et 100 000, côté ukrainien, auxquels il faudrait ajouter 30 000 civils ukrainiens tués. Le HCR fait état pour l’Ukraine de plus 7 000 tués et près de 12 000 blessés. C’est déjà considérable. Cela devrait indigner tout le monde. Toutes les belles âmes devraient être sur le pont. Eh bien, non ! Nous n’entendons qu’une seule chanson répétée par Zelensky qui a la parole absolument partout (dans les parlements nationaux, au parlement européen, dans les réunions de chefs d’État, dans les manifestations culturelles – il est intervenu au festival de chanson italienne à Sanremo ! Et le discours est immuable, depuis que les Européens l’ont dissuadé de rechercher un accord de paix : la guerre jusqu’au bout ! Macron, qui fut un temps plus modéré, le soutient : il faut la victoire pour parler de paix ! Donc, allons-y, fournissons des armes ! Et il va falloir en fournir : sur un total de 449 chars engagés, 265 ont été détruits totalement ; sur 256 véhicules de combat blindés, 172 ont été détruits. Les Russes, de leur côté, auraient perdu 947 chars sur 1600 engagés, 1200 véhicules blindés de combat sur 1900…

Un peu partout l’industrie d’armement tourne à plein régime. Le gouvernement français s’y est engagé à son tour. La France est en déficit sur tous les plans, mais elle donne des armes presque immédiatement détruites, à l’Ukraine. Aux États-Unis, on se prépare à sortir à plein régime des avions de combat. Mais les avions américains, comme les chars promis pour l’automne, sont des engins très sophistiqués qui auront besoin d’instructeurs américains pour être mis en œuvre par l’armée ukrainienne, mais aussi de mécaniciens, d’équipes d’entretien et, tout naturellement, avec le matériel, des hommes seront envoyés non pas directement sur le front, mais tout de même sur le théâtre des opérations. Jusqu’à la victoire, répètent les politiciens, qui, avec la même inconscience que les somnambules de 1914, enclenchent chaque jour d’un cran nouveau le mécanisme d’une guerre généralisée en Europe.

En Allemagne, Sarah Wagenknecht, députée de Die Linke, a pris l’initiative d’un mouvement pour la paix en lançant une pétition. En France, la seule initiative est celle d’Arno Klarsfeld, qui n’a reçu qu’un succès mitigé. Faut-il se résigner à la catastrophe ?

17 février 2023

Denis Collin

Une très confuse discussion s'est ouverte à gauche pour savoir s'il fallait faire de l'obstruction ou si l'on devait discuter l'article 7, celui qui prolonge à 64 ans l'âge de départ à la retraite. Tout cela est une sinistre farce. Car il n'y a pas de discussion possible. Le gouvernement a choisi la procédure accélérée (47.1) justement pour empêcher le débat et faire adopter son projet "quoi qu'il en coûte". La seule attitude digne eût de refuser de cautionner la farce macronienne, de cesser de faire comme si nous avions un réel parlement, de ne plus faire les figurants d'une pièce écrite par l'exécutif et donc de se retirer sur l'Aventin, comme le firent les plébéiens romains en -494. Évidemment, ceux qui ont fait élire Macron préfèrent rester acteurs (de second plan) dans la farce.

7 février 2023

«Parti du travail» contre «droit à la paresse»... Le travail est-il une valeur de gauche ?

FIGAROVOX/ENTRETIEN
Aziliz Le Corre


Si la gauche semble faire front commun contre la réforme des retraites, deux traditions s'opposent en réalité, analyse le philosophe Denis Collin

Denis Collin est philosophe, auteur de Introduction à la pensée de Marx (Seuil), de Après la gauche (Perspectives libres).

FIGAROVOX. - La gauche dit faire front commun en s'opposant à la réforme des retraites et en défendant l'âge légal de départ à 60 ans. Historiquement, quelle fut la position de la gauche sur cette question ?

Denis COLLIN. - La gauche, puisqu'il faut employer ce mot, a toujours défendu la garantie d'un droit à la retraite. Mais c'est à Bismarck, qui n'était pas spécialement un homme de gauche, que l'on doit le premier système de protection sociale, avec la mise en place en 1889 d'une assurance vieillesse-invalidité pour les travailleurs. Si la gauche traditionnelle défendait les retraites par répartition et l'abaissement de l'âge de départ, c'est aussi à la gauche, à Marisol Touraine (2013) que l'on doit l'allongement à 43 ans de la durée de cotisation.

Quoi qu'il en soit, les travailleurs (et les patrons quand ils font leurs comptes) conçoivent la retraite comme une part du salaire, mutualisé et versé quand on est trop vieux pour travailler. Quand on voit les écarts d'espérance de vie suivant les revenus et les métiers, on voit que la retraite à 60 ans n'est pas un luxe. On peut, certes, vouloir travailler plus longtemps, notamment quand on a un travail intéressant et pas trop épuisant physiquement, mais cette liberté a toujours été garantie (sauf aux fonctionnaires !). Le problème n'est pas là. C'est une question de droit et de protection des travailleurs. Notamment de ceux qui travaillent depuis leur plus jeune âge ou des femmes.

En réalité, des divisions profondes existent à gauche sur ce thème. En réponse au député communiste Fabien Roussel, qui dénonçait en septembre dernier une gauche des « allocations et des minima sociaux », la députée écologiste Sandrine Rousseau faisait valoir un « droit à la paresse » contre le « parti du travail ». Cette opposition entre une gauche qui souhaite l'émancipation du travail, et une autre qui s'est construite autour de la valeur travail, a-t-elle toujours existé ?

Fabien Roussel veut défendre « le parti du travail » et il a bien raison. Le droit sérieux que peuvent revendiquer les travailleurs est le droit au travail qui seul peut donner, dans notre société, d'autres droits : le droit au congé, l'assurance maladie, et le droit à la retraite. S'il n'y avait pas de chômeurs, il n'y aurait aucun problème de financement des retraites. Le problème n'est donc pas de garantir un droit à la paresse – car la vieillesse ce n'est pas la paresse, hélas – mais de rendre effectif ce droit constitutionnel au travail et de renforcer la protection des travailleurs. Il suffit de voir combien il y a d'accidents du travail (deux fois plus en France que dans les autres pays européens, selon Le Figaro) et de maladies professionnelles pour se rendre compte qu'il y a encore beaucoup à faire. Jadis, les classes possédantes revendiquaient le droit au loisir des gens « bien nés » quand les ouvriers réclamaient le droit au travail. Rien n'a changé. Ce n'est pas une division au sein de la gauche, mais une opposition de classes.

Comment a évolué le rapport au travail dans les sociétés post-Révolution industrielle ?

Vaste sujet ! La révolution industrielle a massivement mis au travail des millions d'individus, de tous sexes et de tous âges et dans des conditions épouvantables. Il suffit de lire les rapports des inspecteurs de fabrique de Sa Majesté britannique au XIXe pour en avoir une idée précise. Mais en même temps, le machinisme a été massivement développé entraînant une augmentation phénoménale de la productivité du travail. La révolution industrielle a aussi exproprié la grande masse des travailleurs (artisans, paysans) de leurs moyens de travail ; ils ont été contraints de vendre leur force de travail à celui qui possédait maintenant ces moyens de travail. Cette révolution a produit le travailleur moderne qui, pour vivre, doit obtenir un statut juridique et que l'État doit protéger. Être protégé contre les bandits, c'est très bien, mais avoir des perspectives de vie assez stables, c'est encore mieux. L'État doit être le garant de cette liberté réelle qui consiste à pouvoir jouir d'une vie assurée, autant qu'il est humainement possible.

L'énorme augmentation de la productivité du travail devrait nous dégager du temps – à condition qu'il soit équitablement réparti et qu'on cesse de le gaspiller dans des activités purement parasitaires. Mais, il ne faut pas se leurrer : nous sommes à la fin d'une période historique. Déjà l'espérance de vie ne croît plus ou presque, et l'espérance de vie en bonne santé commence à diminuer. La biologie fait disparaître les enfants du « baby-boom ».

Dans Le Droit à la Paresse, publié en 1880, le socialiste Paul Lafargue s'étonne de l'amour que la classe ouvrière porte au travail, accusant les prêtres, les économistes et les moralistes d'en être à l'origine. Le travail peut-il vraiment être une valeur de gauche ?

Je ne sais pas si c'est « une valeur de gauche », mais je crois que la défense du travail et des travailleurs est essentielle. « L'oisif ira loger ailleurs » dit l'Internationale, une chanson que ne doit pas connaître Madame Rousseau. La défense des retraites, c'est une partie de la défense du travail et de sa valeur. On ne part pas en retraite parce qu'on veut économiser la production de CO2 ! Le « droit à la paresse » : en jouissent, si l'on peut dire, les chômeurs dont la plupart ne demandent qu'à travailler.

En outre, nombreux sont les gens de plus de 60 ans qui sont aussi, contre leur gré, transformés en « paresseux ». Encore une fois, le droit à la retraite est le complément du droit au travail. Si les enfants ne travaillent pas, c'est parce qu'ils doivent se former et s'instruire, si les vieux ne travaillent plus, c'est parce qu'ils ont bien travaillé et méritent de se reposer, de soigner leurs maux et de s'occuper éventuellement de leurs petits-enfants – tout un aspect de l'activité des retraités qu'on oublie bien souvent. Mais à part ça, comme le dit l'apôtre Paul, « qui ne travaille pas ne mange pas. » Ceci s'adresse aussi à celui qui vit du travail des autres… La décence commune, c'est être fier de gagner soi-même sa vie, de ne pas être à la charge des autres. Il y a aussi une fierté du travail. Bernard Lavilliers l'a chantée dans sa belle chanson « Les mains d'or » : « je veux travailler encore, forger l'acier rouge… » Et la retraite, c'est la reconnaissance par les jeunes générations de ce qu'elles doivent à leurs parents. Tout cela n'a rien à voir avec un prétendu « droit à la paresse ».

18 janvier 2023

Grand remplacement ?

Denis COLLIN

Employer le terme « grand remplacement » peut vous valoir de nos jours un billet direct pour l’enfer. Depuis que Renaud Camus, écrivain par ailleurs estimable, l’a mis dans le débat public, quiconque l’emploie est traité de « fasciste » et de « nazi ». Il me semble pourtant qu’il y a une réflexion à mener si on veut remettre un peu de raison et sortir des positions caricaturales.

Toutes sortes de chiffres sont mis en circulation pour déterminer si, oui ou non, nous avons affaire à une invasion migratoire qui vise à remplacer la population française. Il y avait 3 millions d’étrangers en 1930 et aujourd’hui 5,1 millions quand la population totale est passée de 40 millions à 67 millions d’habitants. Au fond il y a donc une certaine stabilité. Ce qui change est facile à saisir : les étrangers en France jusqu’aux années 1960 étaient massivement italiens, espagnols, portugais ou polonais (des Européens catholiques). La population étrangère vivant en France aujourd’hui est d’abord algérienne, marocaine, puis portugaise, tunisienne et italienne. Ce qui a changé, c’est évidemment l’importance de la population étrangère maghrébine, de confession musulmane, à laquelle il faut ajouter les étrangers originaires d’Afrique noire (Mali, Sénégal, par exemple). Aux étrangers, il faut ajouter les immigrés français, c’est-à-dire nés à l’étranger mais ayant obtenu la nationalité française selon l’une des modalités d’obtention de la nationalité prévue dans le Code civil.

Disons les choses clairement : ce qui gêne les « grand-remplacistes », c’est la couleur de peau de ces étrangers. Mais hier, ils se plaignaient aussi des « ritals », des « portos », des « polaks »… On a envie de dire « rien de nouveau sous le soleil » ! Racisme et xénophobie sont des maux qui affligent toutes les nations et tous les groupes humains, et, aujourd’hui, ce mal est plutôt moindre qu’hier, n’en déplaise à tous ceux qui crient « au fascisme ». Quand on a un certain âge (comme l’auteur de ces lignes) on peut mesurer combien la France « profonde » est bien moins raciste aujourd’hui qu’hier.

On me rétorquera que les immigrés d’aujourd’hui s’intègrent moins bien que ceux d’hier. C’est parfaitement inexact. Il y a eu jadis des pogroms contre les Italiens dans le Midi de la France. Les Polonais étaient dès l’école marqués comme « polaks » et en même temps entretenaient jalousement leurs traditions. Aujourd’hui, les Maghrébins réussissent à l’école mieux que les Français issus de parents et de grands-parents français à classe sociale équivalente et pour beaucoup d’entre eux « l’ascenseur social » fonctionne encore. Leurs parents étaient OS ou ouvriers du bâtiment et eux se retrouvent dans l’informatique, les banques ou le commerce. Pas tous, certes, mais considérez le destin scolaire des enfants issus de Français de la même condition sociale et on verra aisément qu’il n’y pas de « racisme systémique » en France – il y a du racisme, pesant, mais plus résiduel que systémique.
Alors, tout va très bien, Madame la Marquise ? Non. Je ne fais pas partie du camp des béats de gauche. Il y a plusieurs choses qui vont très mal et menacent de faire exploser le pays.

En premier lieu, la persistance et l’aggravation de la ghettoïsation. Les « territoires perdus de la République » se sont étendus. Les métropoles, voulues par nos élites, aboutissent à la concentration des populations par origine ethnique ou religieuse. La Seine-Saint-Denis, c’est le grand Paris ! Le Mirail à Toulouse, c’est la grande métropole toulousaine. Notons que, dès qu’ils ont acquis un minimum d’aisance, les immigrés fuient ces territoires et n’hésitent pas à utiliser tous les subterfuges classiques pour que leurs enfants ne se retrouvent pas dans des écoles et des collèges de ZEP. Il faudrait une politique anti-ghetto active qui passe par le logement et l’emploi et par une répression sérieuse avec les moyens adéquats de l’emprise des mafias de trafiquants qui pourrissent les « quartiers ». Sarkozy avait promis de nettoyer ces quartiers « au karcher ». On attend toujours.

En second lieu, l’emprise croissante de l’islam, accompagnée d'un clientélisme des politiciens, et pas seulement ceux de la LFI. Il faut séparer, une bonne fois pour toutes, les musulmans qui peuvent pratiquer la religion de leur choix tant qu’ils ne troublent pas l’ordre public, de l’entreprise politique d’un islamisme conquérant, soutenu par les monarchies pétrolières et en premier lieu nos « amis » qataris, qui ont pénétré les milieux musulmans français par toutes sortes d’associations « charitables » qui leur assurent un contrôle réel sur les populations. Il est nécessaire d’avoir des actions judiciaires et policières contre les semeurs de haine : pour un imam expulsé… par les Belges, combien continuent tranquillement de semer la mauvaise parole ? Mais il faut aussi tout simplement ne pas céder, ne pas baisser les bras, dire « NON », « non » quand des jeunes écervelés empêchent les cours sur les « sujets sensibles » (histoire, philosophie, littérature, SVT), « non » aux harceleurs en ville et sur les réseaux, « non » au « décolonialisme » purement raciste propagé par certains milieux d’extrême gauche. Reprendre la main à l’école est la première des tâches, ce qui inclut la discipline avec sanctions exécutées réellement (y compris suppression des allocations familiales pour les parents qui ne tiennent pas leurs enfants), reprendre la main avec l’exigence scolaire en général et sans doute, pour régler tous les problèmes de « signes extérieurs », sinon un uniforme, du moins un code vestimentaire évitera les excès et les extravagances en tous genres.

Enfin, le plus important, c’est de nous ressaisir comme nation. Cesser de remplacer les hommes par des machines, cesser de remplacer les emplois en France par des emplois en Chine ou ailleurs. Rapatrier l’industrie chez nous ! Cesser de nous américaniser en parlant l’américain à tout bout de champs, en rappelant que le français est la langue de la république (voir constitution) et que les élites devraient donner l’exemple. Pourquoi faut-il de plus en plus souvent parler anglais (c’est-à-dire yankee) dans des entreprises françaises en France ? Nous ne pourrons « intégrer » ou « assimiler » les nouveaux-venus que si nous refaisons nation, c’est-à-dire si nous renouvelons ce contrat qui nous lie et nous constitue comme une « communauté de vie et de destin ». Si nous savons clairement qui nous sommes, nous pourrons être accueillants. Les zemmouristes ne sont pas patriotes, mais des défaitistes qui ont déjà jeté le manche avec la cognée. La république sociale seule peut refaire ce pays menacé qui est le nôtre.

16 janvier 2023

La « grande culture »

Denis Collin

La « grande culture » ne pouvait exister et n’existait que comme une critique du règne de la bourgeoisie. Elle était, certes, portée par la bourgeoisie qui en faisait son supplément d’âme et un facteur de cohésion (respect des maîtres, respect du savoir, respect de ce qui dépasse l’homme ordinaire). Mais en même temps, elle valorisait le désintéressement, critiquait la vénalité, exaltait les valeurs les plus élevées, elle était spiritualiste par essence – même si elle récitait Lucrèce ou les grands philosophes matérialistes. La culture de la « société avancée » n’a plus rien de critique : elle s’insère dans les industries culturelles et produit selon les normes de l’industrie. Là où la « grande culture » s’évertuait à instituer des hiérarchies, la culture « désublimée » méprise ces hiérarchies. Elle est radicalement démocratique. Tout se vaut. Tout le monde a le droit d’être un artiste et, pour tout dire, tout le monde est artiste et tout est art. Avec la désublimation, il n’y a plus de place pour le sublime ni pour le tragique. Place à la fête ! Place à la foire ! La « grande culture » était la mauvaise conscience de la bourgeoisie : de Balzac à Thomas Mann. Sous le règne de la désublimation, il n’y a plus de place pour la mauvaise conscience. La littérature est normalisée – les États-Unis, toujours en avance, montrent la voie avec les écoles d’écriture : on peut devenir un bon romancier comme on devenait un bon tourneur-ajusteur. Cette désacralisation de la culture, cette perte de l’aura de l’œuvre d’art dont parlait Walter Benjamin, a pu être vécue comme une libération des anciennes disciplines – tout le mouvement de l’art moderne se présente comme un effort d’émancipation de la tyrannie des règles de l’art. Mais c’est aussi une conséquence du poids croissant de la technoscience dans la vie de tous les jours, qui participe du « désenchantement du monde » et des tendances les plus profondes de « l’esprit du capitalisme », ses tendances égalisatrices dès lors que l’unique mesure devient l’équivalent général, l’argent. Mais, dans le même temps, cette tendance égalisatrice produit, comme l’avait déjà soutenu Tocqueville, un conformisme étouffant.


15 janvier 2023

Prends l’oseille et tire-toi !

Denis COLLIN

Pour les barons-voleurs, la situation est au beau fixe. On a appris, à la fin de l’année dernière que la cotation boursière de la place de Paris dépassait celle de Londres. En ce début d’année, on annonce que le montant total des dividendes versés aux actionnaires, qui avait atteint un record en 2021 avec 57,4 milliards d’euros, dépasse les 80 milliards (56 versés directement et 24 en rachat d’actions). Pour le « pognon de dingue », les barons-voleurs savent y faire. Sur le podium de « l’argent magique » : Total, LVMH et Sanofi. Crise énergétique, luxe et crise sanitaire, voilà la richesse des riches. Bernard Arnault, l’homme le plus riche du monde, et le groupe Blackrock, les amis de Macron sont parmi les principaux bénéficiaires de ce ruissellement.

La France est devenue le jardin d’Éden du capital : Macron et le CAC 40, c’est Ali Baba et les quarante voleurs ! Car la richesse des riches se paie de la pauvreté des pauvres. La désindustrialisation se poursuit. On vient d’apprendre qu’on ne fabriquait même plus de Doliprane – Sanofi, où es-tu ? L’industrie automobile part en lambeaux entre la poussée mécanique de la Chine grâce au « tout électrique » et la fusion Stellantis qui amène Tavares à annoncer des « mesures impopulaires » (fermetures d’usine et réduction du réseau de distribution), alors même que le groupe a enregistré des profits records. La France est devenue importateur net de produits agricoles et le commerce extérieur enregistre des records de déficits. Les indépendants, comme les boulangers, sont ruinés par la hausse de l’énergie ; beaucoup de PME ferment. Pendant ce temps, la dégradation des services publics se poursuit à un rythme accéléré. La reine mère a beau faire le tour des médias et petites sauteries officiels pour dire que c’est moins bien ailleurs, tout le monde, y compris la presse aux ordres, sait que l’hôpital est dans un triste état et qu’on manque de médecins.

Pour accélérer ce ruissellement du bas vers le haut, Macron et ses sbires appliquent la bonne vieille recette : prendre l’argent où il est, chez les pauvres, car ils sont les plus nombreux. Tel est le sens des mesures drastiques prises au sujet de l’assurance-chômage. Tel est le sens du grand braquage qu’est la réforme des retraites. Exposée par Mme Borne qui a le culot de demander aux syndicats de ne pas gêner les Français, la réforme est sans la moindre justification et n’a pas d’autre but que de prendre le salaire différé des salariés qu’on noiera opportunément dans les autres cases du budget de l’État pour qu’il retombe dans la poche des amis de Macron. Ali Baba et ses quarante voleurs la jouaient vraiment petits bras. Mais Ali Baba n’était ni le sultan ni le calife.

Le COR (comité d’orientation des retraites) a rendu un rapport qui exclut un déficit sérieux des régimes de retraites à un horizon prévisible. Du reste, alors qu’on prévoyait un déficit, le régime est excédentaire pour les deux dernières années. Il y a à cela plusieurs raisons. L’espérance de vie stagne et pourrait même baisser si elle suit la courbe de l’espérance de vie en bonne santé. Les « boomers » qui constituent les retraités d’aujourd’hui sont appelés à disparaître, car « il n’y en est jamais resté » et les classes qui suivent sont nettement moins fournies. Enfin, Jospin, pour une fois, avait pris une sage décision en constituant une cagnotte pour les retraites en 2001.

Cette réforme injuste et, pour tout dire, scandaleuse est rejetée par l’immense majorité des Français (4 sur 5 disent certains sondages), mais elle a un appui parlementaire. Conformément à ce qu’ils sont, les LR vont la voter et confirmeront ainsi qu’ils sont vraiment dans la « majorité présidentielle » et que le courant qu’ils prétendent représenter est résiduel. Les vieux gaullistes, s’il en reste, vont avaler leur chapeau. Une fois de plus. Les 175 députés de la Nupes et les 87 députés du RN forment une minorité parlementaire qui pourrait employer tous les moyens à sa disposition pour bloquer Mme Quarante-Neuf-ter : rassemblements massifs, référendum d’initiative partagée, etc. Gageons qu’ils vont tout faire pour qu’il n’en soit rien. À la Nupes on préfère se chamailler sur le sort de ce pauvre Quatennens et on refuse même de s’associer à une motion RN… qui n’est que la reprise d’un motion de la Nupes. Diviser pour que Macron survive. Il est vrai que la Nupes, d’une certaine manière, fait partie de la « majorité présidentielle » : ses diverses composantes, au nom d’un antifascisme imaginaire, ont appelé, sournoisement ou ouvertement à voter Macron au second tour de 2022. En outre, ils vont tout faire pour éviter une dissolution qui profiterait certainement au RN. De ce côté-là pas grand-chose à attendre. Du côté des syndicats, il n’en va guère mieux, même si, cette fois, la CFDT refuse la réforme – Macron a cependant prévu de lâcher quelques miettes pour obtenir in fine le soutien de Berger.

La solution viendra peut-être, si elle vient, d’une initiative ou d’initiatives venues d’en bas, comme l’a été la grève des contrôleurs de la SNCF qui s’est faite sans les syndicats, sous la direction d’un collectif. Il pourrait aussi s’agir d’un mouvement de type Gilets jaunes qui pourrait amalgamer toutes les colères, celles des salariés et celles de travailleurs indépendants. Dans Valeurs Actuelles, on peut lire : « L’acharnement d’Emmanuel Macron à imposer sa réforme des retraites contre l’avis des Français peut-il faire de 2023 l’année d’un séisme politique d’une magnitude comparable à 1789, 1830, 1848 ou 1958 ? »

Le 15 janvier 2023