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19 décembre 2024

SYRIE, ISRAËL, UKRAINE... Confidences d'un ancien ambassadeur suisse, Jean-Daniel Ruch

Vincent Verschoore

L'ancien ambassadeur suisse Jean-Daniel Ruth, dans un éclairant entretien sur Antithèse. Ayant œuvré en Serbie, en Israël et en Turquie il a une expérience directe de la réalité politique derrière le show médiatique, et c'est loin d'être propre.
Il était notamment en Turquie lors de l'établissement de l'accord de cessez-le-feu entre l'Ukraine et la Russie, en mars 2022, et il confirme que le sabotage de cet accord est bien le fait des Américains et des Britanniques, qui ont désormais quelques centaines de milliers de morts ukrainiens sur la conscience, en échange d'une perte de territoire et d'un désastre pour l'Ukraine bien pire que ne l'était la situation à ce moment là.
Cependant, pour ces gens-là et leurs vassaux euro-atlantistes, peu importe tant que ça rapporte.

Jean-Daniel Ruch a été en poste en Serbie (2012-2016), en Israël (2016-2021) puis en Turquie jusqu'en 2023. Dès 2008, il a conduit la politique suisse au Proche-Orient, à un moment où la Confédération helvétique était fortement impliquée dans la recherche d'une solution à deux États pour résoudre le conflit israélo-palestinien. Il a aussi été membre de la délégation suisse de l'OSCE en Europe de l'Est puis en poste à Belgrade avant de rejoindre comme conseiller politique la procureure Carla Del Ponte au Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie.
Il est l'auteur de "Crimes et tremblements, d'une guerre froide à l'autre au service de la paix et de la justice", paru chez Favre en mai 2024.
 
Liste des sources mentionnées: https://www.antithese.info/resume?vid...

Sommaire:
00:00 Intro
02:39 Présentation
04:15 Poussé à la démission
11:35 Les enjeux en Syrie
23:22 Le Hamas
25:40 En Palestine, la solution à deux États
31:35 Messianisme, nationalisme et militarisme en Israël
35:38 Gaza et nettoyage ethnique
41:36 Cisjordanie et colonisation
48:51 L'Iran
52:45 Les États-Unis au Proche-Orient
58:17 Port de Tartous et intérêts russes
1:00:35 La CPI et la justice internationale
1:10:38 Géorgie, Slovaquie et Roumanie
1:18:01 Les révolutions de couleurs
1:20:25 Ukraine: l'échec des négociations d'Istanbul
1:28:50 La Suisse et l'OTAN
1:43:28 Carte blanche - La neutralité suisse
 
Cet entretien a été enregistré le 9 décembre 2024.

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30 novembre 2024

Pascal Boniface
27/11/2024

La France et l'immunité de Netanyahou

Cliquer sur l'image ↴

19 octobre 2024

Anne-Sophie Chazaud

Edouard Husson :
Israël/Palestine, contre le choc des millénarismes, pour une compréhension et une solution politiques au conflit.


[Extraits]

PRESENTATION/PARCOURS

Je me définirais comme un « spectateur engagé », pour reprendre la formule de mon grand aîné à l’Ecole Normale Supérieure, Raymond Aron. Je suis universitaire, historien, et comme je travaille sur l’histoire contemporaine, l’interrogation sur le présent n’est jamais loin.

Mes travaux de recherche ont porté sur l’histoire de la Shoah. J’ai étudié de près le processus de décision qui, dans l’appareil totalitaire nazi, mène à la décision du génocide des Juifs. J’ai aussi accompagné, au milieu des années 2000, les enquêtes de terrain, en Ukraine, du Père Patrick Desbois sur la « Shoah par balles » : il s’agissait de recueillir les témoignages d’Ukrainiens ordinaires, dans les villages et les petites villes, qui avaient été témoins des massacres commis par des commandos de la SS et de la police allemande (avec d’éventuels auxiliaires locaux).

Si je devais désigner une originalité – modeste – à mes travaux : j’ai compris en travaillant sur les massacres commis par les nazis, et en travaillant en général sur les violences de masse au XXe siècle, que la violence progresse selon des paliers. Lorsqu’un certain seuil est atteint, la violence fait un bond d’intensité, jusqu’au palier suivant. Un génocide ne sort pas de nulle part. Il se déroule dans le cadre d’une guerre, internationale ou civile. Nous aurons sans doute à expliciter ce point. [...]

Le judaïsme orthodoxe est fondé sur la même loi d’amour que le christianisme. Ce qui nous sépare, nous chrétiens, du judaïsme orthodoxe, c’est l’identité du Messie – comme nos frères juifs orthodoxes nous attendons pour fin des temps une manifestation du Messie qu’il ne faut pas précipiter ; à la différence d’eux, nous affirmons connaître ce Messie, Jésus de Nazareth, qui est déjà venu pour nous et qui reviendra. Mais nous avons, nous les catholiques, une pensée commune, théoriquement, avec le judaïsme orthodoxe, et qui nous met en opposition spirituelle avec le sionisme : c’est l’idée qu’il faudrait hâter la venue du Messie, par un projet temporel et, au besoin par des guerres, car le Messie se manifestera au cœur d’une catastrophe. Notons que certains chrétiens évangélistes américains pensent comme les sionistes.

Je pourrais aller plus vite en disant que je suis Français et que je fais mienne la précaution du grand Cardinal de Richelieu, qui disait se méfier de « ceux qui arrivaient avec un chapelet dans une main et une épée dans l’autre ». Tout mon parcours m’a appris à me méfier de ceux qui pensent que la religion peut apporter une solution politique au conflit du Proche-Orient. Je me méfie des « chrétiens sionistes » américains et du gouvernement Netanyahu autant que des islamistes. Je refuse de confondre critique au gouvernement Netanyahu et antisionisme mais aussi antisionisme et antisémitisme. Il y a des Juifs antisionistes, jusqu’en Israël ! Et il y a des sionistes qui détestent Netanyahu et son gouvernement. Plus profondément, malgré tout, je pense que l’exacerbation du sionisme par Netanyahu est l’aboutissement quasi-inéluctable d’un projet enraciné dans une métaphysique gnostique. Il n’y a pas d’autre avenir, pour l’Etat d’Israël qu’un nouveau modus vivendi entre Juifs, chrétiens et musulmans en Terre Sainte. Il ne sera possible que si l’on neutralise les trois messianismes exacerbés (exceptionnalisme américain, sionisme et islamisme) et si l’on revient à un dialogue réaliste et fondé sur le respect mutuel, entre les trois lignées issues d’Abraham.

RETOUR SUR LES FAITS

Vers l’Orient compliqué, j’essaierai d’exposer les choses, sinon simplement, du moins clairement.

Il faut toujours repartir du droit international. Les résolutions de l’ONU doivent être notre boussole. En novembre 1947, l’ONU avait voté un plan de partage de la Palestine, qui a été refusé par la partie arabe, parce que la communauté internationale avait fait la part trop importante, selon eux, aux Juifs de Palestine. J’insiste sur ce dernier point : il est souvent traité cavalièrement. Nous n’avons pas à prendre partie aujourd’hui. Mais à comprendre que la création d’un État juif en Palestine n’allait pas de soi pour de nombreux contemporains, à commencer par les Arabes du Proche-Orient.

En novembre 1967 d'ailleurs, dans une célèbre conférence de presse, le Général de Gaulle se faisait encore l’écho de l’émotion suscitée dans le monde arabe par l’installation d’Israël vingt ans plus tôt.

S’en est suivie la guerre de 1948-49, qui a abouti à quelques gains de territoires supplémentaires par Israël mais laissait la bande de Gaza et la Cisjordanie en dehors d’Israël et fixait une frontière avec le Liban que l’on appelle « ligne bleue » et qui sépare Israël du « Sud-Liban », aujourd’hui lieu d’affrontement avec le Hezbollah.

S’il n’y avait eu que des combats entre Israël et les États arabes environnants, la situation n’aurait pas évolué de manière trop dramatique. Mais le problème vient de ce qu’avant et après la proclamation de l’État d’Israël (en mai 1948), les chefs d’Israël en émergence ont provoqué, par la violence, un exode massif des populations arabes (palestiniennes). Près de 750 000 Arabes palestiniens sur les 900 000 qui vivaient dans les territoires qui allaient devenir l’État d’Israël, fuient vers la Cisjordanie, la bande de Gaza, en Jordanie, au Liban et en Syrie. C’est ce que les Palestiniens appellent la Nakba, « la catastrophe ». Aujourd’hui, on parlerait de « nettoyage ethnique ». Leurs descendants représentent désormais 5 millions de réfugiés palestiniens, à Gaza, en Cisjordanie ou dans les États environnants.

Dans le contexte de l’après-guerre, les violences étaient nombreuses ; et puis le monde avait une sympathie naturelle pour les Juifs d’Europe survivants de la Shoah qui venaient s’installer dans le nouvel État d’Israël. Les chefs sionistes ont clairement abusé de cette sympathie. Je sais qu’il y a jusqu’à aujourd’hui un débat entre historiens, certains considérant qu’il n’y avait pas, dès le départ, de projet d’expulsion des Palestiniens d’un certain nombre de territoires de la part des fondateurs de l’État d’Israël. Je trouve plus cohérente et mieux fondée dans les sources l’école historique qui voit l'expulsion des Palestiniens comme faisant partie intégrante du projet. Il faut avoir cet épisode en tête pour comprendre les haines inexpiables qui se mettent en place à cette époque. Sans compter le fait que l’exode des Palestiniens a déstabilisé profondément les États voisins.

Peut-être les choses auraient-elles pu se stabiliser avec le temps. Mais, de facto, Israël a toujours pratiqué le raid préventif et dissuasif, comme en témoignent les résolutions de l’ONU des années 1950 et 1960, qui condamnent le nouvel État après des attaques contre la Syrie, le Liban, Gaza, la Cisjordanie… Il n’est pas question de nier que les États arabes misaient sur le caractère éphémère de l’État d’Israël. Cela ne doit pas occulter pour autant le fait que les Israéliens n’ont jamais accepté la création d’un État palestinien comme le voulait l’ONU.

La guerre des Six Jours, en 1967, représente une escalade, Israël passant du raid préventif à une véritable guerre d’annexion de nouveaux territoires. On se rappelle les critiques du Général de Gaulle envers Israël, en novembre 1967 ; il ne faisait que dire le soutien de la France à la fameuse résolution 242 des Nations Unies, qui dénonçait les annexions réalisées par Israël lors de la Guerre des Six Jours : la Cisjordanie, le plateau syrien du Golan, Gaza et le Sinaï, Jérusalem-Est. Les frontières d’avant la Guerre des Six Jours sont encore aujourd’hui pour la communauté internationale, la référence. C’est sur elles que s’appuie la quasi-totalité des pays de la planète pour proposer les frontières d’un futur État palestinien, qui coexisterait avec l’État d’Israël. Il y a des Israéliens qui acceptent un État palestinien mais même eux ne veulent pas entendre parler des frontières de 1967.

Il faut citer l’avertissement prémonitoire du Général de Gaulle à l’État d’Israël :

« Israël ayant attaqué, s’est emparé, en six jours de combat, des objectifs qu’il voulait atteindre. Maintenant, il organise, sur les territoires qu’il a pris, l’occupation qui ne peut aller sans oppression, répression, expulsions, et il s’y manifeste contre lui une résistance, qu’à son tour, il qualifie de terrorisme ».

Depuis 1967, Tel-Aviv est dans un état de tension permanente avec son environnement géopolitique, ponctué de guerres régulières. Les tentatives diplomatiques échouent toutes parce qu’à un moment ou un autre, la question de l’avenir des Palestiniens revient comme un boomerang. Plus les Israéliens espèrent en avoir fini avec la perspective d’un État palestinien (plus ils lancent loin le boomerang, pourrait-on dire), plus la question du respect du droit international revient, avec une force déstabilisatrice pour eux.

Israël a toujours refusé la résolution 242, comme les nombreuses résolutions du Conseil de Sécurité ou de l’Assemblée Générale qui ont suivi. L’attitude de défi à l’ONU, caricaturale chez Netanyahu, est permanente, tout au long de l’histoire d’Israël. Elle est devenue aujourd’hui outrancière dans son expression.

À partir de 1967, on a une triple évolution :

1. une radicalisation terroriste des mouvements palestiniens, qui se sentent de plus en plus impuissants.

2. un réalisme croissant des voisins d’Israël, qui aspirent à la paix avec Tel-Aviv.

3. une radicalisation du sionisme qui, de laïc, devient de plus en plus religieux, à partir de la fin des années 1970.

La fin de la Guerre froide produit un relatif apaisement, malgré la révolte des Palestiniens (Intifada de la fin des années 1980). L’OLP abandonne le terrorisme. Et le réalisme revient à Tel-Aviv, dans la première moitié des années 1990, en la personne de Rabin, qui faisait un constat simple : confronté à un environnement géopolitique devenu incertain du fait de la révolution iranienne, il fallait trouver un accord avec les Palestiniens.

Ce furent les accords d’Oslo, entre 1993 et 1995. Je me rappelle mon sentiment à l’époque : d’un côté, ma culture politique française se révoltait, à constater la manière dont, sous le patronage américain, Israël « octroyait » l’autonomie aux Palestiniens de Cisjordanie, avec des zones différenciées de contrôle israélien. Politiquement, nous autres Français sommes des « Romains », et nous ne pouvons pas envisager autre chose qu’une paix fondée sur l’égalité des peuples. D’un autre côté, je me disais qu’il ne fallait pas insulter l’avenir. Il y a eu à cette époque un formidable espoir, dans le sillage de la chute du communisme soviétique et de la fin de l’apartheid sud-africain : il semblait que l’on allait voir aussi la paix s’installer au Proche-Orient.

Visiblement les accords d’Oslo ont fait suffisamment peur à une partie de la classe politique israélienne pour qu’ils soient sabotés immédiatement par une intensification de la colonisation juive des terres palestiniennes, autour de Jérusalem et en Cisjordanie. L’assassinat de Rabin enterra les accords d’Oslo avec lui.

Avec la fin des années 1990, commence l’ère dominée politiquement par Benjamin Netanyahu. Puissante personnalité politique, il est devenu, de mon point de vue, le mauvais génie d’Israël. Netanyahu est héritier, par son père, du courant qu’on appelle le « sionisme révisionniste », fondé dans l’entre-deux-guerres par Jabotinsky (le père de Benjamin, Bension Netanyahu était son secrétaire particulier). Le « sionisme révisionniste » n’est prêt à aucune concession. Louis Massignon, d’abord plein de sympathie pour le sionisme, avait averti, dans les années 1930, du danger que représentait le courant de Jabotinsky pour la stabilité de la région.

Netanyahu, depuis le début de sa carrière politique, a suivi quelques principes simples :

- Empêcher à tout prix qu’existe un État palestinien ; il s’est allié pour cela aux partisans du Grand Israël et partage leur radicalité même s’il est infiniment plus souple tactiquement.

- D’autre part, Netanyahu a toujours considéré qu’il ne pouvait pas exister d’État souverain puissant à proximité d’Israël. D’où son appui à la politique néoconservatrice américaine qui a détruit l’Irak, échoué à détruire la Syrie et rêve de renverser le régime iranien pour ramener ce pays au temps du Shah, quand il était un protectorat américain.

- Netanyahu est un pur machiavélien. La fin justifie toujours les moyens. La fin, c’est la survie et l’installation durable de l’État d’Israël dans un environnement hostile.
 
On ne prête qu’aux riches : certains affirment que Netanyahu a été prêt à saboter de toutes les manières la légitimité de l’Autorité Palestinienne issue des accords d’Oslo et à faire monter à Gaza un mouvement musulman radical, le Hamas, qui est au départ une simple branche des Frères musulmans. Ce point de vue, qu’on entend souvent, est exagéré. Il suffit, selon moi, de constater que l’intransigeance du « sionisme révisionniste » de Netanyahu a nourri un mouvement palestinien radical. Abandonner la bande de Gaza au Hamas, autoriser les financements extérieurs envoyés au mouvement, ne rien faire pour stopper la contrebande d’armes alors que l’Égypte, réconciliée avec Israël depuis la fin des années 1970, attendrait que l’on combatte fermement les Frères musulmans de Gaza : tout cela me semble avoir été largement subi par les gouvernements israéliens successifs depuis vingt ans...
 
À ceux qui ont pu dire que le Hamas était, en quelque sorte la « créature » de Netanyahu, je réponds : en ce cas, la créature a, depuis longtemps, échappé à son « créateur ». D’abord, le Hamas s’est acquis une réelle popularité dans la population gazaouie en prouvant que ses cadres et ses membres parvenaient à administrer de facto un territoire exigu où vivent presque 2 millions et demi de personnes ; ensuite, le Hamas, sous l’impulsion du stratège iranien Qassem Soleimani (assassiné sur ordre de Donald Trump en janvier 2020), s’est transformé en un mouvement combattant nationaliste, formé à mener une guerre asymétrique (incluant des modes d'action terroristes dont personne ne saurait bien évidemment faire l'apologie), et faisant passer la cause palestinienne avant celle de l’Islam.
 
C’est ainsi que le 7 octobre, Israël s’est retrouvé non pas face au seul Hamas mais face à une dizaine de mouvements combattants palestiniens, réconciliés entre eux : sunnites, chiites, chrétiens, marxistes, nationalistes, pour combattre l’État d’Israël.
 
Qassem Soleimani était bien un adversaire redoutable pour l’État d’Israël puisque, quatre ans après sa mort, ce qu’on appelle « Axe de la Résistance », c’est-à-dire la création ou le renforcement de milices dotées d’une grande efficacité au combat, au Liban (le Hezbollah), en Syrie et en Irak (pour défendre le régime d’Assad) , à Gaza et en Cisjordanie, au Yémen (les Houthis d’Ansarallah), a été capable d’entraîner Israël dans une guerre d’attrition : un an après l'effroyable razzia d’otages et les tueries du 7 octobre, le Hamas et ses alliés, ne sont toujours pas vaincus et ont causé la mort, selon mes estimations de 5000 soldats israéliens durant les combats de Gaza (je fais ce calcul selon un ratio ¼ à partir du nombre connu, lui, de blessés graves israéliens, qui est de 20 000 au moins) ; le Hezbollah met en échec l'offensive israélienne au Liban - malgré la décapitation spectaculaire de la direction du Hezbollah, l'appareil militaire a rapidement repris le combat, quels que soient les obstacles- et il a provoqué, par ses bombardements permanents, la fuite de 70 000 habitants du nord d’Israël, qui se sont dirigés vers le centre et le sud du pays. Les milices chiites irakiennes parviennent à viser des objectifs dans le port de Haïfa sans que les boucliers anti-missiles israéliens les arrêtent. Ansarallah est en mesure de tenir en respect la marine américaine et de bloquer le trafic commercial de la Mer Rouge vers Eilat. Les Yéménites ont aussi atteint Tel-Aviv ou les environs avec des drones et quelques missiles. Quant à l’Iran, il a riposté deux fois à des opérations israéliennes (bombardement de son consulat à Damas par l’aviation israélienne début avril; assassinat du chef du Hamas par des agents israéliens, fin juillet, à Téhéran) avec des salves de missiles qui ont saturé et déjoué les défenses israéliennes.
 
L’intérêt d’Israël serait de trouver un arrangement avec les Palestiniens et avec les États voisins. Il est clair, désormais, que ce qui a déclenché l’attaque du 7 octobre, c’est l’imminence d’un accord entre l’Arabie Saoudite et Israël, dans la lancée des accords d’Abraham, que Donald Trump avait réussi à faire signer entre Israël, d’un côté, les Émirats Arabes Unis et Bahreïn de l’autre. Le Hamas et les autres mouvements combattants palestiniens ont supposé qu’un accord d’Israël avec le royaume saoudien enterrait à tout jamais la question palestinienne. C’est le motif profond de l’opération du 7 octobre 2023.

LA CAUSE PALESTINIENNE ABANDONNEE AU GAUCHISME ?

C’est l’un des grands drames du moment politique que nous vivons en Europe et en Amérique du Nord. L’absence quasi-totale des droites de la défense de la cause palestinienne. Sauf des voix isolées qui ont encore conscience que les Palestiniens sont la face défigurée, écrasée, martyrisée des nations que l’ordre américain cherche à écraser.

Rien de nouveau depuis trente ans : l’Irak, la Serbie, l’Afghanistan, la Libye, la Syrie ont été broyés par les bombes américaines avec l’assentiment de l’immense majorité de notre classe politique. Nous parlons de millions de morts. Ces morts-là ont-ils moins d’importance que les victimes de la barbarie nazie ou des massacres communistes ? Est-ce que l’Occident aurait le droit de commettre des tueries de masse sans que ce soit répréhensible ?

Aujourd’hui, c’est le tour de la Palestine et du Liban.

Je pose la question sans précaution rhétorique à mes compatriotes qui aiment la France : comment pouvez-vous, une fois de plus, accepter que les États-Unis et Israël cherchent à monter les communautés du Liban les unes contre les autres ? N’avez-vous toujours pas appris la leçon des guerres qui ensanglantent ce pays depuis 1975 ? Comment pouvez-vous assister avec indifférence au massacre des Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie ? Ne voyez-vous pas que la Palestine est la face écrasée de cette réalité, les peuples, les nations, qui n’ont pas leur place dans l’ordre occidental de 2024 ? Ne voyez-vous pas qu’en refusant de proclamer, à temps et à contretemps, les droits inaliénables du peuple palestinien et la nécessité, pour Israël, de respecter toutes les résolutions de l’ONU – et non de prendre celles qui lui servent et d’ignorer ou piétiner les autres –, vous acceptez non seulement que soit bafoué l’ordre international, mais vous exposez également notre nation à être elle-même écrasée par le désordre que vous soutenez ?

Je m’adresse en particulier à tous ces Français qui se plaignent de ce que notre souveraineté est piétinée par l’Otan et par l’Union Européenne mais qui pourtant expliquent qu’il faut être aligné derrière Israël. Les derniers mois ont montré qu’Israël ne se comporte pas un État souverain, ne mène pas une politique indépendante. Sans les bombes américaines, Tel-Aviv aurait dû négocier un cessez-le-feu à Gaza. Sans le soutien des États-Unis et ses vétos au Conseil de Sécurité des Nations Unies, le gouvernement de Benjamin Netanyahu aurait été renversé et un nouveau gouvernement israélien n’aurait pas eu d’autre choix que de négocier une paix régionale faisant sa place à un État palestinien. Le Général de Gaulle rappelait souvent que la souveraineté, c’était l’exercice responsable de l’indépendance nationale. [...]

ET LES CHRÉTIENS DANS TOUT ÇA ?

Un des arguments entendus fréquemment – en tout cas au début du conflit – est l’identité entre le combat d’Israël – en tout cas du gouvernement Netanyahu – et le nôtre face au danger de l’immigration, en particulier arabo-musulmane. Je me souviens même avoir entendu un militant de la droite identitaire s’écrier, lors d’un débat, « la Judée aux Judéens ! », comme il aurait dit « la France aux Français ! ». J’ai du mal à comprendre ce qui motive ce genre d’argumentation absurde. Encore une fois, regardons le réel. Commençons par les grandes vagues de migrations vers l’Europe venues du Proche-Orient ou d’Afrique du Nord ces vingt dernières années : elles sont largement le résultat de la destruction des États et de la multiplication des guerres par les États-Unis. Il y a un paradoxe, pour dire le moins, à approuver les guerres américaines ou israéliennes et à ensuite redouter les afflux de réfugiés. Selon la célèbre formule attribuée à Bossuet : Dieu se rit des hommes qui maudissent les effets dont ils chérissent les causes. [...]

Encore une fois, il faut le dire et le redire : la coexistence entre Juifs, chrétiens et musulmans en Terre Sainte fut une réalité pendant plusieurs siècles avant la création de l’État d’Israël et elle doit nous servir de boussole. Malheureusement, ce à quoi nous avons assisté depuis les années 1980, c’est à une surenchère des millénarismes : avec un sionisme juif qui s’est toujours plus radicalisé, encouragé par ce qui s’auto-désigne comme « sionisme chrétien », – en fait un mouvement évangéliste américain convaincu que la création de l’État d’Israël est un préalable à la conversion des Juifs et au retour du Christ. Ils interprètent les conflits du Proche-Orient comme le prélude de « l’Apocalypse », de la grande bataille finale qui précèdera le Jugement dernier.

J’ai souvent entendu des gens redouter le millénarisme musulman, que l’on appelle islamisme, et qui s’est exprimé, depuis la révolution iranienne, aussi bien dans le monde sunnite que dans le monde chiite. Remarquons que, au plan géopolitique global, ce millénarisme est en recul, ce que la succession d'attentats et d'agressions islamistes souvent "low cost" en Europe ne permet pas forcément de comprendre : la révolution iranienne s’est apaisée, quels qu'en soient les aspects rebutants – notamment pour les femmes – et, politiquement, Téhéran est désormais l’un des grands acteurs des relations internationales. La fin d’Al-Qaïda, la destruction de Daech par la Russie semblent avoir découragé le millénarisme sunnite. Regardons comme les grands États du Golfe – longtemps financeurs de l’islamisme – sont désormais désireux de l’avènement d’un monde multipolaire. Avant le 7 octobre 2023, ils étaient prêts à signer des accords avec Israël, même au prix du sacrifice des Palestiniens. Regardons comme le Hamas lui-même, sous l’impulsion de Yahya Sinwar, s’éloigne de son origine « Frères musulmans » et tend de plus en plus à grouper autour de soi l’ensemble des mouvements combattants palestiniens (avec les encouragements publics de la Russie et de la Chine), dans une optique nationale.

Sans forcer le trait, je dirais que nous avons autant à craindre désormais la dynamique explosive des millénarismes évangéliste et sioniste, – qui semblent prêts à poursuivre jusqu’au bout leur rêve apocalyptique – que l'accélération du millénarisme islamiste.

Pour finir de répondre à votre question, il est vital de préserver et développer l’esprit de la déclaration « Nostra Aetate » du Concile Vatican II.

Dans ce document officiel, les Pères du Concile adressaient aux religions non chrétiennes un message de paix. Les deux autres descendances spirituelles d’Abraham (le judaïsme et l’Islam) y sont particulièrement considérées. En particulier, le passage consacré aux relations avec les Juifs et insistant sur la nécessité de renoncer à tout antijudaïsme chrétien.

Le message est le fruit de l’expérience concrète du sauvetage des Juifs persécutés par des chrétiens durant la Seconde Guerre mondiale). Nous devons cultiver l’esprit de Nostra Aetate. Mais il ne faut pas se tromper d’interlocuteurs dans le monde juif. Je pense qu’on a imprudemment laissé, ces vingt dernières années, un discours de légitimation de la politique israélienne, quelle qu’elle soit, s’immiscer dans le dialogue judéo-chrétien. C’est à cela que j’attribue le silence de nos évêques, en France : ils n’ont pas les bons interlocuteurs dans le monde juif, auxquels ils pourraient s’adresser pour prendre une initiative de paix. J’ai senti, aussi, ces dernières années, se glisser une teinte « d’islamophobie » dans certaines prises de position (au moins officieuses) de responsables catholiques. C’est oublier que « Nostra Aetate » comprend une recommandation chaleureuse de dialogue avec les musulmans :

« L’Église regarde aussi avec estime les musulmans, qui adorent le Dieu unique, vivant et subsistant, miséricordieux et tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, qui a parlé aux hommes. Ils cherchent à se soumettre de toute leur âme aux décrets de Dieu, même s’ils sont cachés, comme s’est soumis à Dieu Abraham, auquel la foi islamique se réfère volontiers. Bien qu’ils ne reconnaissent pas Jésus comme Dieu, ils le vénèrent comme prophète ; ils honorent sa Mère virginale, Marie, et parfois même l’invoquent avec piété. De plus, ils attendent le jour du jugement, où Dieu rétribuera tous les hommes après les avoir ressuscités. Aussi ont-ils en estime la vie morale et rendent-ils un culte à Dieu, surtout par la prière, l’aumône et le jeûne.
Même si, au cours des siècles, de nombreuses dissensions et inimitiés se sont manifestées entre les chrétiens et les musulmans, le saint Concile les exhorte tous à oublier le passé et à s’efforcer sincèrement à la compréhension mutuelle, ainsi qu’à protéger et à promouvoir ensemble, pour tous les hommes, la justice sociale, les valeurs morales, la paix et la liberté. »

Nous avons notre boussole. Nous devons chérir les relations paisibles entre les trois descendances d’Abraham. Nous devons refuser et combattre tous les millénarismes et toutes les gnoses qui dressent les enfants d’Abraham les uns contre les autres.

RÔLE DE LA FRANCE SUR LE PLAN DIPLOMATIQUE ?

La politique de la France s’est malheureusement réduite progressivement à l’insignifiance. La France de Richelieu, de Jaurès, du Général de Gaulle n’aurait jamais accepté que le Liban soit maltraité comme il l’est depuis 1975. En ce qui concerne Israël, notre pays n’aurait jamais dû abandonner les lignes directrices formulées par le Général dans sa célèbre conférence de presse du 27 novembre 1967 :

« Il est bien évident que le conflit n’est que suspendu et qu’il ne peut y avoir de solution, sauf par la voie internationale. Mais un règlement dans cette voie, à moins que les Nations Unies ne déchirent elles-mêmes leur propre Charte, un règlement doit avoir pour base l’évacuation des territoires qui ont été pris par la force, la fin de toute belligérance et la reconnaissance réciproque de chacun des États en cause par tous les autres. Après quoi, par des décisions des Nations Unies, en présence et sous la garantie de leurs forces, il serait probablement possible d’arrêter le tracé précis des frontières, les conditions de la vie et de la sécurité des deux côtés, le sort des réfugiés et des minorités, et les modalités de la libre navigation pour tous, notamment dans le golfe d’Akaba et dans le canal de Suez. Suivant la France, dans cette hypothèse, Jérusalem devrait recevoir un statut international.
Pour qu’un tel règlement puisse être mis en œuvre, il faudrait qu’il y eût l’accord des grandes puissances (qui entraînerait ipso facto celui des Nations Unies) et, si un tel accord voyait le jour, la France est d’avance disposée à prêter sur place son concours politique, économique et militaire, pour que cet accord soit effectivement appliqué. »

Adaptons la pensée du Général de Gaulle à notre époque. La situation est bien plus détériorée que dans les mois qui ont suivi la Guerre des Six Jours. J’imagine un gouvernement français digne de ce nom. Il aurait envoyé notre flotte, non pas en Mer Rouge, pour menacer Ansarallah, mais en mer Méditerranée, à la tête d’une force mandatée par l’ONU où l’on trouverait les puissances riveraines, pour imposer un cessez-le-feu à Gaza. Paris aurait assuré, par le débarquement d’une force internationale sous commandement français, l’acheminement de l’aide alimentaire aux Gazaouis. Des volontaires médecins et infirmiers protégés par les flottes coalisées prendraient soin des victimes des bombardements. La France serait force active à l’ONU pour faire voter des cessez-le-feu à Gaza, en Cisjordanie et au Liban et imposer une négociation qui aboutisse à l’application des résolutions de l’ONU, en particulier la création d’un État palestinien.

La Russie est occupée par la Guerre d’Ukraine. La Chine est loin. La Grande-Bretagne a depuis longtemps oublié qu’elle a été expulsée de Palestine par le terrorisme des sionistes révisionnistes et elle est impliquée jusqu’au cou dans le soutien militaire à Israël. Les États-Unis considèrent Israël comme leur 51e État. Seule la France aurait, si elle le voulait, l’autorité nécessaire, l’enracinement géographique en Méditerranée, les liens millénaires avec la région, pour organiser le secours des Gazaouis et des Libanais et amener toutes les puissances de la région à une négociation de paix.

Ce que j’énonce n’est pas seulement une utopie. C’est parce qu’elle n’agit pas ainsi que la France est divisée intérieurement et affaiblie internationalement.

VERS UNE CRIMINALISATION DE TOUTE CRITIQUE DE L'ACTION D'ISRAËL ?

C’est un des développements les plus inquiétants. Je l’attribue à la situation difficile dans laquelle se trouve Israël. La presse israélienne elle-même nous permet d’évaluer à 20 000 le nombre des soldats israéliens grièvement blessés dans le conflit de Gaza. Le ratio habituel des pertes tués/blessés graves est entre 1/4 et 1/3. Imaginez-vous si le grand public prend conscience que l’armée israélienne a perdu environ autant d’hommes que le Hamas et les autres mouvements combattants palestiniens dans la bande de Gaza ?

Personne ne conteste les 1200 morts israéliennes du 7 octobre 2023 – dont la moitié sont des militaires, des policiers ou des colons armés. En face, il y a désormais, officiellement, un peu plus de 40 000 morts, dont un tiers sont des enfants ! Certains contestent ces chiffres en disant que ce sont « les chiffres du Hamas ». Mais les estimations indépendantes sont plus élevées : en se fondant sur les suites des bombardements, les personnes non retrouvées sous les décombres, la destruction de 60% du bâti, les conditions de vie insalubres des gens déplacés d’un point à un autre, la destruction des hôpitaux et donc d’une grande partie des possibilités de soin, la diffusion d’épidémies, la sous-alimentation etc…, la revue The Lancet a publié une estimation qui monte jusqu’à 180 000 morts. L’Afrique du Sud demande à Israël de rendre compte de son non-respect de la Convention sur les génocides dont Tel-Aviv est signataire. Nous finirons par tout savoir. Mais nous en savons déjà beaucoup : on n’avait jamais eu une violence de masse ainsi exposée sur internet, sur différents réseaux sociaux. Et ce que nous voyons est terrifiant.

Difficultés militaires indéniables et désir de cacher l’étendue et la nature des violences commises contre les Gazaouis. Nous en savons beaucoup grâce aux journalistes qui sont sur place. Eh bien, l’armée israélienne a ciblé et tué 175 journalistes depuis le début de son opération à Gaza !

La mise en place de lois répressives envers toute personne critiquant le gouvernement Netanyahu et l’armée israélienne, en France ou en Europe, est un volet d’un dispositif général que Tel-Aviv rêverait de mettre en place : censure militaire totale à Gaza et au Liban, y compris en éliminant les journalistes ; censure des réseaux sociaux et lois contre la liberté d’expression dans les autres pays. Pour ceux qui douteraient de ce qui est en jeu, demandons-nous pourquoi Benjamin Netanyahu vient de menacer le Liban de connaître le sort de Gaza s’il ne rejetait pas le Hezbollah… On ne menace pas avec des fleurs.

Nous parlions de la Loi Gayssot. C’était il y a une génération. Elle était pleine de bonnes intentions : il s’agissait de pénaliser le négationnisme. Je commençais seulement mes études sur la Shoah ; mais je sais que j’avais été d’emblée mal à l’aise lors du vote de la loi. Pourquoi transformer un enjeu de recherche historique, d’analyse scientifique des preuves et des documents dont nous disposons, en vérité officielle ? La vérité n’a pas besoin de l’appui du Pouvoir pour devenir « plus vraie ». Je n’ai pas eu besoin de la Loi Gayssot pour faire mon travail de chercheur et établir l’étendue du génocide des Juifs d’Europe entre 1939 et 1945. Il en est ainsi de toutes les lois dites « mémorielles ». Elles sont pesantes, inutiles. Ou plutôt elles ne servent qu’à souligner les œillères de ceux qui les promulguent : aujourd’hui on voudrait nous interdire de parler de tel ou tel massacre pour ne pas nuire à tel ou tel État.

UN SUJET INTERDIT, UNE DIALECTIQUE IMPOSSIBLE ?

[...] Progressivement, le sens de la nuance, la complexité des points de vue, ont laissé la place à un discours médiatique simpliste, consistant à diviser le monde en deux camps, celui du bien et celui du mal. L’américanisation a pu progresser à pas de géants, sans rencontrer de résistance. Connaissez-vous région plus complexe que le berceau de la civilisation qu’est le Proche et Moyen-Orient ? Y a-t-il région où les simplismes américains soient moins appropriés ? [...]

N’y a-t-il pas chez les défenseurs de la cause palestinienne une cécité quant à un antisémitisme bien réel ainsi qu’une forme de négationnisme concernant les actions et objectifs des différentes mouvances islamistes ? Le réalisme géopolitique ne trouve-t-il pas sa limite face à des ennemis déclarés de l’Occident ? [...]

Être l’héritier de la civilisation romaine, pour moi, c’est cultiver précieusement le droit international, qui rend possible une paix durable en la fondant sur les accords passés entre États souverains dont les frontières sont stables et reconnues par tous. Je ne demande qu’une chose à Israël : c’est le respect des résolutions de l’ONU ! J’avoue qu’il y a un paradoxe à dire cela lorsque l’on voit Benjamin Netanyahu faire bombarder la force d’interposition des Nations-Unies au Liban et exiger son départ.

Assumer l’héritage de la civilisation romaine, comme nous devons le faire, nous autres Français, c’est bien entendu refuser le mélange du spirituel et du temporel. Bien entendu, nous devons combattre un millénarisme musulman quand il nous menace ou tente de s’imposer à nous. Je constate simplement que nous ne pourrons pas combattre efficacement ce millénarisme-là si nous prenons fait et cause pour les deux autres millénarismes qui mettent en danger la paix : celui des évangélistes américains et celui d’une bonne moitié de la société israélienne.

Tout Français qui veut être pris au sérieux quand il réclame l’assimilation des musulmans dans notre pays doit rester loin des guerres menées par des messianismes, américain ou israélien, qui ont fait des musulmans et des Arabes (y compris chrétiens) leur cible favorite.

Comment un gouvernement français peut-il être crédible si, aussitôt après avoir dénoncé une agression antisémite en France, il prend fait et cause pour le gouvernement Netanyahu?

Au contraire, nos gouvernants ont une responsabilité immense : un pays qui accueille la première communauté juive d’Europe et la première communauté musulmane du continent, en effectifs, se doit d’être prudent, de conserver sa neutralité, pour bannir à tout prix la guerre civile.

Édouard Husson est professeur à CY Université Paris-Cergy.
Il est co-fondateur de l'Institut Brennus.
Il est aussi directeur de la publication du Courrier des Stratèges.
Il a notamment publié :
Comprendre Hitler et la Shoah, Paris, Presses Universitaires de France, 2001
(avec Bruno Cabanes), Sociétés en guerre.1914-1945, Paris, Armand Colin, 2003
Heydrich et la "solution finale" (pref. Ian Kershaw; postface Jean-Paul Bled), Paris, Perrin, 2008
(avec Norman Palma), Le capitalisme malade de sa monnaie. Essai sur l'origine monétaire des crises économiques, Paris, François-Xavier de Guibert, 2009.
Paris-Berlin. La survie de l'Europe, Paris, Gallimard, 2019

photo Sipa/Fatima Shbair

Le texte intégral  ici 

18 octobre 2024

À propos de la mort de Sinwar

Michel Collon

18/10/2024 – La résistance palestinienne, ce n’est pas un dirigeant. C’est tout un peuple qui refuse le colonialisme.
Certes Israël et les États-Unis parviennent à porter de sérieux coups à leurs adversaires. Les assassinats ciblés et l’extermination de masse, à Gaza, au Liban, et aussi les pogroms en Cisjordanie (où il n’y a pas de Hamas) peuvent donner l’illusion d’une victoire proche. Personne ne peut prévoir le timing et les formes que prendra le conflit, mais la résistance palestinienne ne mourra jamais.
Comme l’a reconnu le contre-amiral israélien Hagari : « Le Hamas est une idée, le Hamas est un parti. C’est enraciné dans le cœur des gens : quiconque pense que nous pouvons éliminer le Hamas a tort. »
Le peuple palestinien n’a cessé de résister depuis 1948. Israël a déjà assassiné de nombreux dirigeants palestiniens, mais la résistance n’a jamais disparu. La guerre cessera seulement le jour où, tous ensemble, nous aurons mis fin au colonialisme israélien qui est en réalité un colonialisme de l’Occident. Le dernier colonialisme.

7 octobre 2024

Christian Rol

7 OCTOBRE

Natalia Routkevitch


« Nous gagnons chaque bataille contre le terrorisme, mais nous perdons la guerre. »

Peu de temps après le tremblement du 7 octobre 2023, cherchant à mieux comprendre le fonctionnement des services israéliens, je suis tombée sur le documentaire franco-israélien « The Gatekeepers », qui avait fait sensation en 2013. Dix ans plus tard, il résonnait comme une inquiétante prophétie et donnait les clés pour prévoir la suite du 7 octobre.
Dans ce film, cinq anciens directeurs du Shin Bet, le service de sécurité intérieure israélien – Avraham Shalom, Yaakov Peri, Carmi Gillon, Ami Ayalon et Avi Dichter – ainsi que le directeur en poste à l’époque, Yuval Diskin, confient au réalisateur Dror Moreh les rouages de leur institution depuis la victoire d'Israël lors de la guerre des Six Jours. Il est rare d'entendre des témoignages aussi directs, marqués par une autocritique aussi profonde, de la part des dirigeants des services de renseignement.
Ainsi, Avraham Shalom admet que les services israéliens n’ont jamais eu de véritable stratégie, se contentant de mesures tactiques. « Nous n'avons pas su anticiper les événements majeurs, remarque Yuval Diskin. - Nous avons été pris de court par la première Intifada, la deuxième Intifada, et même l’assassinat de Rabin… »
Les assassinats ciblés de terroristes, souvent accompagnés de « dommages collatéraux » (la mort de civils innocents), les arrestations de milliers de suspects, les perquisitions, les interrogatoires et les tortures – les anciens chefs du Shin Bet relatent, presque avec détachement, des décennies de guerre contre le terrorisme. Mais leurs récits révèlent également à quel point les actions de leur service, loin d’apaiser les tensions, ont contribué à l’escalade de la haine et de la méfiance réciproques.
« Nous sommes devenus très cruels, » reconnaissent-ils. « Nous avions tant de travail pendant toutes ces années que nous n’avons jamais pris le temps de réfléchir à ce que voulaient réellement les Palestiniens ni à comment la paix pourrait être possible. »
Leurs confessions semblent confirmer les sombres prédictions du philosophe israélien Yeshayahu Leibowitz, qui avait averti dès la fin de la guerre des Six Jours que, si Israël tentait de maintenir sa domination sur un autre peuple sur les territoires occupés, il en paierait un lourd tribut moral et politique. « Un pays qui gouverne une population hostile d’un million d’étrangers se transformera inévitablement en un État du Shin Bet, avec toutes les conséquences que cela implique en termes de liberté d’expression, de pensée et de démocratie », écrivait Leibowitz en 1967.
Lorsque Dror Moreh rappelle cette prédiction à Yuval Diskin, celui-ci répond qu’il est d’accord avec chaque mot. Depuis 1967, dit-il, Israël mène une politique vouée à l’échec, qui s’avère être autodestructrice.
Les mots les plus terrifiants sont peut-être ceux d’Avraham Shalom, considéré comme l’un des faucons les plus durs du Shin Bet : « Nous sommes devenus comme les nazis. Bien sûr, nous ne traitons pas les Palestiniens comme les Allemands ont traité les Juifs. Mais nous agissons envers les Palestiniens comme les nazis l’ont fait envers d’autres peuples occupés – les Belges, les Polonais, les Tchèques… »
« Nous gagnons chaque bataille contre le terrorisme, mais nous perdons la guerre, » admet Ami Ayalon à la fin du film, lui qui a aidé Moreh à obtenir ces entretiens exclusifs.
Ayalon cite des mots prononcés par un médecin palestinien qu’il connaissait, lors de la deuxième Intifada. À l’époque, ces paroles l’avaient étonné, mais aujourd’hui elles prennent tout leur sens. « Nous avons gagné, » lui avait annoncé le Palestinien, alors que la répression violente faisait rage et que l’espoir d’un État palestinien s’évanouissait. « Nous avons gagné, parce que notre victoire, c’est de voir vos souffrances. » 6/10/2024

26 septembre 2024

ONU : le roi de Jordanie enfonce le clou

Vincent Verschoore

"Le gouvernement israélien a tué plus d'enfants que n'importe quelle autre guerre de mémoire récente... Je n'ai pas souvenir d'une période aussi périlleuse que celle-ci... Les Nations unies sont attaquées. Au sens propre comme au sens figuré. Les camions de l'ONU restent immobilisés à quelques kilomètres des Palestiniens affamés. Les décisions de la Cour internationale de justice des Nations unies sont bafouées. La dure réalité que beaucoup voient, c'est que certaines nations sont au-dessus du droit international. Que la justice mondiale se plie à la volonté du pouvoir. Que les droits de l'homme sont sélectifs, un privilège que l'on accorde ou que l'on refuse à sa guise.
Nous ne pouvons tolérer cela. Et nous devons reconnaître que l'affaiblissement de nos institutions internationales et de nos cadres mondiaux est l'une des plus grandes menaces qui pèse aujourd'hui sur notre sécurité mondiale. L'assaut du gouvernement israélien a entraîné l'un des taux de mortalité les plus élevés des conflits récents, l'un des taux de famine les plus élevés causés par la guerre. La plus grande cohorte d'enfants amputés. Un niveau de destruction sans précédent. Le gouvernement israélien a tué plus d'enfants, plus de journalistes, plus de travailleurs humanitaires et plus de personnel médical que dans toute autre guerre de mémoire récente. Les Palestiniens détenus dans les centres de détention israéliens sont plus de 10.700 dont 400 femmes. Et 730 enfants. 730 enfants. Et à Jérusalem. Les violations flagrantes du statu quo historique et juridique sur les lieux saints musulmans et chrétiens se poursuivent sans relâche. Près de 42.000 Palestiniens ont été tués...
J'ai grandi en tant que soldat. Mais cette guerre n'a rien de familier... En l'absence de responsabilité mondiale, les horreurs répétées sont normalisées. Pendant des années, le monde arabe a tendu la main à Israël. Mais les gouvernements israéliens successifs, enhardis par des années d'impunité, ont rejeté la paix... Les Palestiniens ont supporté plus de 57 années d'occupation et d'oppression. Pendant cette période, le gouvernement israélien a été autorisé à franchir une ligne rouge après l'autre.
Mais aujourd'hui, l'impunité dont jouit Israël depuis des décennies est en train de devenir son pire ennemi. Et les conséquences se font sentir partout. Le gouvernement israélien a été accusé de génocide devant la CIJ. Les manifestations d'indignation face à sa conduite résonnent dans le monde entier. Partout, des villes ont été le théâtre de manifestations de masse et les appels à des sanctions se font de plus en plus pressants. Le ressentiment international à l'égard d'Israël s'accroît depuis longtemps, mais il n'a jamais été aussi visible. Pendant des décennies, Israël s'est présenté comme une démocratie occidentale florissante au Moyen-Orient. Mais la brutalité de la guerre contre Gaza a forcé le monde à y regarder de plus près.
Aujourd'hui, nombreux sont ceux qui voient Israël avec les yeux de ses victimes. L'Israël moderne et avancé que l'on admire de loin et l'Israël que les Palestiniens ont connu de première main. Israël finira par être entièrement l'un ou l'autre. Tel est le choix de ses dirigeants et de son peuple. Vivre selon les valeurs démocratiques de liberté, de justice et d'égalité pour tous ou risquer d'être encore plus isolés et rejetés". - Abdullah II, Roi de Jordanie

Discours complet ↴

18 septembre 2024

François Asselineau

TRÈS LARGE DÉFAITE POUR TEL-AVIV À L'ONU
2/3 DES ÉTATS DU MONDE EXIGENT QU'ISRAËL SE RETIRE DES TERRITOIRES PALESTINIENS


18/9/2024 : L'Assemblée générale des Nations Unies vient d'adopter à une très large majorité des 2/3 une résolution exigeant qu'Israël se conforme à la décision de la CIJ et se retire des Territoires palestiniens occupés.

CONCLUSION :
Sur les 193 États membres de l'ONU
• 124 soit 64,2% ont exigé qu'Israël se retire des Territoires Palestiniens occupés
• 14 soit 7,3% ont refusé de l'exiger
Et encore, la moitié de ces 14 votes sont ceux de 7 micro-États très pauvres du Pacifique-Sud, aux antipodes du conflit israélo-palestinien. Et c'est un secret de Polichinelle à l'ONU qu'ils vendent leur voix moyennant une "aide au développement" des États-Unis ou d'Israël.
• 43 soit 22,3% se sont volontairement abstenus
• 12 soit 6,2% n'étaient pas présents au vote
Par ailleurs, l'Union européenne en tant que telle ne pèse absolument rien puisque ses 27 États membres ont voté en ordre totalement dispersé :
- 13 ont voté pour
- 2 ont voté contre
- 12 se sont abstenus
Cela signe au passage la faillite de la prétendue "Politique Étrangère et de Sécurité Commune" (PESC) de l'Union européenne établie par le Traité de Maastricht entré en vigueur le 1er janvier 1993, il y a bientôt 32 ans...

13 septembre 2024

Régis de Castelnau

Rubrique : solidarité

Le Conseil National des Barreaux (CNB) manifeste sa solidarité. Avec les Iraniens réprimés par le régime des mollahs. Cet engagement international des avocats pour soutenir ceux qui subissent cette répression est à saluer.
Cependant il y a actuellement un pays où on commet des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité, où des juristes internationaux disent qu’on y commet un génocide, où on arrête et détient arbitrairement des milliers de personnes, y compris des enfants, où on les torture et où les tortionnaires sont invités à la télévision pour revendiquer leurs crimes. Un pays dont l’armée a massacré 20 000 enfants, des centaines de journalistes et dont les juridictions internationales démontrent qu’il viole tous les jours le droit international en faisant régner un apartheid dans les territoires conquis par les armes et illégalement occupés.
Le problème, c’est que lorsque l’on parcourt la liste des communiqués du CNB, on ne trouve rien, pas un mot, à propos de ce qui se passe en Palestine.
Cette abstention et ce double standard dont on peut craindre qu’ils soient le reflet d’un engagement politique, aboutit nécessairement à affaiblir, voire vider de sa substance, l’expression pourtant indispensable d’une solidarité avec les victimes de la répression iranienne.

Conseil Mondial des Imams, Déclaration sur l'exécution d'otages par les terroristes du Hamas

20 août 2024

L’intenable exceptionnalisme israélien

Michael Young

Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, lors de son discours devant le Congrès des États-Unis, le 24 juillet 2024, à Washington D.C. Roberto Schmidt/AFP


17/8/2024 - Le 5 août, le ministre israélien des Finances, Bezalel Smotrich, a déclaré qu’affamer 2 millions de Palestiniens à Gaza « jusqu’à la mort » pourrait être « justifié et moral » pour faire libérer les otages israéliens détenus à Gaza, tout en déplorant que le « monde ne (les) laissera pas faire ».

Il a fallu attendre plusieurs jours pour voir une réaction internationale à cette tentative de transformer une pulsion génocidaire en une action moralement justifiée. Le 8 août, le porte-parole du département d’État américain a déclaré que son gouvernement était « consterné par ces commentaires et réaffirme que cette rhétorique est nuisible et inquiétante ». Compte tenu des circonstances, la réprimande était plutôt discrète. Appeler à la famine massive d’une population civile entière devrait être plus que « nuisible et inquiétant ». Mais le département d’État n’a peut-être pas voulu aller trop loin dans la condamnation d’un ministre de premier plan au sein du gouvernement d’un homme, Benjamin Netanyahu, qui a récemment été ovationné plus de 50 fois par des membres du Congrès. Ironiquement, l’un de ceux qui a réagi de manière plus sensée aux remarques dépravées de Smotrich est le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, qui, dans un discours prononcé peu avant que la condamnation de Smotrich ne s’intensifie en Occident, s’était étonné que personne n’avait encore interpellé ce dernier.

Supériorité morale ?

Au cœur du conflit de Gaza se trouve la question de la moralité d’Israël. Pour ses soutiens, il ne fait aucun doute que le pays est moralement supérieur à ses ennemis. C’est l’une des raisons pour lesquelles les élites occidentales ont continué à détourner le regard face à l’horreur de la campagne israélienne à Gaza, alors que son impact est visible depuis des mois grâce aux chaînes de télévision arabes par satellite et aux réseaux sociaux. Le chancelier allemand Olaf Scholtz, qui a déclaré en octobre 2023 qu’« Israël est un État démocratique guidé par des principes très humanitaires, et nous pouvons donc être certains que l’armée israélienne respectera les règles qui découlent du droit international dans tout ce qu’elle fait », a pris très tôt le parti de la politesse. M. Scholtz allait regretter ses paroles, car les rapports se sont multipliés presque immédiatement sur les efforts d’Israël pour procéder au nettoyage ethnique de la population palestinienne de Gaza ; sur la destruction par ses forces d’hôpitaux, d’écoles, de maisons et d’infrastructures ; sur la rétention de nourriture et de médicaments pour les Palestiniens assiégés ; sur la propagation de multiples maladies, dont la gale et la poliomyélite ; et, plus généralement, sur les meurtres de masse commis sans vergogne ni discernement…

Cela n’a pourtant pas empêché les membres du Congrès américain d’applaudir et de ricaner lorsque Netanyahu s’est présenté devant eux et a qualifié certains de leurs concitoyens d’« idiots utiles » de l’Iran parce qu’ils exerçaient leur droit constitutionnel de protester contre les actions d’Israël. Aucun de ceux qui ont célébré ses paroles n’a – à notre connaissance – réprimandé Smotrich pour son désir ardent qu’Israël affame tous les Palestiniens de Gaza pour libérer ses otages.


La question de la moralité est importante pour deux raisons essentielles. D’abord, elle permet aux États-Unis de justifier la poursuite de la fourniture d’armes à Israël, qui ont été utilisées dans la plupart, voire la totalité, des multiples massacres perpétrés par Israël à Gaza. Par exemple, dans le cas récent de l’attaque de l’école de Tabaain, qui a fait plus de 100 morts (dont de nombreux enfants), les Israéliens ont affirmé comme à leur habitude que des membres du Hamas y opéraient, ce que le Hamas a démenti. Lorsque l’armée israélienne a publié des photos des combattants présumés du Hamas tués, un professeur palestinien travaillant dans le domaine des droits de l’homme, qui connaissait plusieurs d’entre eux, a publié un message sur X dans lequel il démentait toute affiliation au Hamas.

La deuxième raison est que tant qu’Israël sera perçu comme un acteur moral en Occident, alors que tout le monde peut clairement constater le contraire, le fossé se creusera entre les pays occidentaux et ceux qui, dans le monde entier, auront le sentiment qu’il y a deux poids, deux mesures. Cela pourrait avoir des répercussions géopolitiques majeures, car nombre de ces États, en particulier dans le Sud, ne verront aucune raison impérieuse d’accepter les récits occidentaux sur la nécessité de défendre la démocratie et les droits de l’homme. Nous avons déjà assisté à un tel rejet à propos de l’Ukraine, et Gaza a porté plus loin le mécontentement à l’égard de l’hypocrisie américaine, une situation que la Chine a exploitée avec beaucoup d’habileté.

Rupture historique

Cette attitude à l’égard de la moralité israélienne est liée à une perception principalement occidentale selon laquelle Israël a été fondé par les victimes de ce qui est peut-être le plus grand crime de l’histoire, l’Holocauste, ou Shoah. L’auteur indien Pankaj Mishra a abordé ce sujet dans un superbe texte publié en mars dernier dans la London Review of Books (The Shoah after Gaza, mars 2024). Il y retrace la manière dont l’establishment israélien en est venu, au fil du temps, « à produire et à diffuser une version très particulière de la Shoah qui pourrait être utilisée pour légitimer un sionisme militant et expansionniste ». Pourtant, c’est la Shoah qui a également alimenté la croyance de nombreux partisans d’Israël selon laquelle le pays est en quelque sorte à l’abri d’une remise en question morale. Pankaj Mishra cite l’éditorialiste israélien Boaz Evron, qui a décrit comment la « tactique consistant à faire l’amalgame entre les Palestiniens et les nazis et à crier qu’une autre Shoah est imminente » libérait les Israéliens ordinaires de « toute restriction morale, puisque celui qui est en danger d’anéantissement se voit exempté de toute considération morale qui pourrait restreindre ses efforts pour se sauver ». Cette observation ne doit cependant pas faire oublier qu’il existe un nombre croissant de Juifs, dont beaucoup manifestent aux côtés des « idiots utiles » de Netanyahu, pour qui l’essence de leur religion est de conserver une boussole morale au milieu de la bataille.

Et Pankaj Mishra de conclure qu’en se livrant à de vastes crimes à Gaza, « Israël dynamite aujourd’hui l’édifice des normes mondiales construites après 1945 ». C’est pourquoi « la profonde rupture que nous ressentons aujourd’hui entre le passé et le présent est une rupture dans l’histoire morale du monde depuis le point zéro de 1945, histoire dans laquelle la Shoah a été pendant de nombreuses années l’événement central et la référence universelle ». À la lumière de cela, « il semble que seuls ceux qui ont été secoués dans leur conscience par la calamité de Gaza peuvent sauver la Shoah de Netanyahu, (du président américain Joe) Biden, de Scholz et (de l’ancien Premier ministre britannique Rishi) Sunak et réuniversaliser sa signification morale ».


Le point de vue de Mishra a touché de nombreuses personnes dans le monde, mais n’a apparemment pas pénétré la formidable forteresse mentale de l’establishment politique des États-Unis et de ses appendices. Les politiciens américains qui marinent dans le langage de la droiture morale ont ignoré, consciemment ou non, la direction dans laquelle Netanyahu emmène Israël et les États-Unis, alors qu’il poursuit la destruction de Gaza par Israël, sape un accord de cessez-le-feu et cherche à élargir la guerre en provoquant une confrontation armée entre l’Amérique et l’Iran – un fantasme que les amis d’Israël à Washington ont relayé avec enthousiasme auprès du grand public. Si ce n’est pas là aider et encourager une forme militante et expansionniste de sionisme, alors de quoi s’agit-il ?

Plus généralement, quelle est la valeur morale d’un establishment politique israélien, apparemment soutenu par une majorité de la société, qui croit que ce pays peut indéfiniment contrôler des millions de Palestiniens sous occupation illégale, leur refuser l’autodétermination, les maintenir dans un état de retard économique, les empêcher de jouir des droits les plus fondamentaux et les expulser fréquemment de leurs villages pour que les extrémistes juifs puissent voler leurs biens ? Ce plan est-il défendable ? Cela permet-il à Israël de se présenter comme un modèle moral ?

Pankaj Mishra a raison de dire que si cet outrage se poursuit, la valeur tragique de la Shoah, sa référence universelle, se dissipera. Les souffrances passées des Juifs seront submergées par les souvenirs de l’immoralité d’Israël aujourd’hui, tout comme le carnage d’Israël à Gaza a fait oublier à beaucoup le 7 octobre. Mais au-delà de cela, les élites occidentales devraient être conscientes de la façon dont cela affecte leur propre pouvoir et leur influence. Si elles veulent vraiment défendre les valeurs libérales dans un monde en mutation, Israël ne peut être exempté.

Ce texte est aussi disponible en anglais sur Diwan, le blog du Malcolm H. Kerr Carnegie MEC.

Par Michael YOUNG

Rédacteur en chef de Diwan. Dernier ouvrage : « The Ghosts of Martyrs Square: an Eyewitness Account of Lebanon’s Life Struggle » (Simon & Schuster, 2010, non traduit).

https://www.lorientlejour.com/article/1424007/lintenable-exceptionnalisme-israelien.html

Pogrom à Jit

Denis COLLIN

Des colons israéliens s’en sont pris à une communauté palestinienne du village de Jit dans ce qu’il faut bien appeler un pogrom. Un mort et un blessé grave par balles, des blessés, des destructions. Ce n’est pas le premier cas du genre. Mais là, un pas a été franchi.

« Il s’agit d’une minorité extrémiste qui porte préjudice à la population des colons respectueux des lois, à la colonisation dans son ensemble, et à [la réputation] d’Israël dans le monde, pendant une période particulièrement sensible et difficile », a réagi le président d’Israël, Isaac Herzog. « Les forces de l’ordre doivent agir immédiatement contre ce phénomène grave et traduire les contrevenants en justice », a ajouté le président.

La situation est gravissime et la réaction du président Herzog en donne toute la mesure. Herzog ne met pas en cause la colonisation des territoires palestiniens occupés, mais il doit bien constater que les actions des ultras sont en train de miner le crédit international d’Israël. On ne peut s’empêcher de penser que Herzog a aussi en tête l’interminable opération de représailles sur Gaza… Un dirigeant ultra israélien trouve normal et « moral » d’affamer les deux millions d’habitants de Gaza. Il aurait voulu donner des arguments solides à tous ceux qui dénoncent Israël comme État génocidaire, il ne s’y serait pas pris autrement.

Je ne discute pas une minute le droit de l’État d’Israël à défendre son existence. Je n’ai absolument rien contre les opérations pour en finir avec le Hamas – ce groupe, comme ses « cousins » de Daesh, AQMI, et tutti quanti fait partie des grandes calamités mondiales. Mais cela ne donne pas tous les droits !

Le droit d’Israël s’exerce dans les frontières reconnues de 1948 et normalement pas au-delà. Je sais bien que les frontières ne sont pas intangibles et qu’en matière de droit international c’est bien souvent la force qui fait le droit. Mais pas plus d’un autre État, Israël ne peut revendiquer une expansion illimitée, le « Grand Israël ». Si encore Israël se contentait d’annexer politiquement les territoires occupés, mais il s’agit d’autre chose : les ultras qui forment l’ossature du gouvernement Netanyahou veulent l’expulsion des Palestiniens et accaparent leurs terres. À cela, il ne peut y avoir aucune justification politique ou morale.

Israël a le droit de se défendre, mais pas par tous les moyens. On me dira que la fin justifie les moyens. Certes, mais à condition que les moyens ne ruinent pas la fin poursuivie. Le précédent de la Deuxième Guerre mondiale devrait nous servir de leçon. Généralement, les Alliés (URSS comprise) se sont refusés à appliquer aux Allemands les traitements que la Wehrmacht et la SS avaient fait subir aux populations occupées. Même si on peut questionner les bombardements massifs, le comportement des troupes russes en Pologne et en Allemagne ou encore les bombes atomiques sur le Japon. L’historien dira : les choses se sont passées ainsi, mais le politique ou le moraliste n’en déduira pas que ces faits donnent un droit. On peut comprendre que les victimes fassent d’excellents bourreaux, mais ce n’est pas moralement admissible.

On doit d’autant plus questionner la politique israélienne que le Hamas est en partie une créature israélienne et singulièrement des manœuvres tordues de l’actuel Premier ministre et que la question reste suspendue des raisons qui font que les services de l’État hébreu, généralement très efficaces, n’ont rien vu venir avant le 7 octobre. Si Netanyahou avait voulu monter une provocation pour lui donner les mains libres ?

Le plus grave peut-être est que l’abaissement moral et l’affaiblissement d’Israël découleront de cette situation. Les USA n’assureront pas toujours la sécurité d’Israël et si leurs intérêts le commandent, ils laisseront tomber les Israéliens comme ils ont déjà abandonné un grand nombre de leurs alliés. Et alors les 8 millions de Juifs perdus au millier 200 ou 300 millions d’Arabes musulmans ne feront pas le poids. De nombreux Israéliens en sont conscients et certains commencent à émigrer, à trouver des points de chute ailleurs. 18/8/2024

7 août 2024

Régis de Castelnau

Rubrique : imagine.
Imagine Hans Frank le Gauleiter de Pologne disant : « Ghetto de Varsovie : il pourrait être « justifié et moral » de laisser mourir de faim 2 millions de civils juifs. » Il risquerait de finir pendu. Ah oui c’est vrai il a été pendu.
Imagine Adolf Hitler disant : « Siège de Leningrad : il est « justifié et moral » de laisser mourir de faim 2 millions de civils soviétiques. » Ça risquerait de mal finir pour lui. Ah oui c’est vrai ça a mal fini pour lui.
Imagine le ministre des finances chinois disant : « Taiwan : il pourrait être « justifié et moral » de laisser mourir de faim 2 millions de civils taïwanais. » Ah oui c’est vrai, cela ne risque pas d’arriver. Mais tu peux imaginer le tintamarre (justifié) dans la presse française.
« Ça y est tu recommences avec ta mauvaise foi antisémite ! Tu ne donnes pas toute la phrase, parce qu’il a ajouté « jusqu'à ce que les otages soient rendus… »
- Ah d’accord, donc ça change tout ? Mais dis donc c’est la bonne vieille technique nazie ça. Pendant l’occupation, pour un Allemand abattu par la Résistance, on trouvait « justifié et moral » d’exécuter une centaine d’otages innocents.
- Tu mélanges tout ! C’est pas pareil.
- Si c’est pareil, et c’est même pire. »
6/8/2024

31 juillet 2024

Vincent Verschoore

Les judéo-fascistes vont encore crier à l'antisémitisme, mais le témoignage de ce spécialiste des désastres s'ajoute à de nombreux autres illustrant la sauvagerie génocidaire des milices israéliennes face aux civils palestiniens.
"Mark Perlmutter, qui a effectué plus de 40 missions humanitaires dans des zones de catastrophe au cours de 30 ans, affirme que la situation à Gaza dépasse tout ce qu’il a vu auparavant. Il rapporte avoir vu des enfants incinérés et déchiquetés par des explosions, ainsi que des enfants abattus par des snipers. Selon lui, certains enfants ont été touchés deux fois, avec des blessures précises qui ne peuvent être accidentelles. Plus de 20 médecins à Gaza ont également confirmé des blessures par balle chez des enfants, soulignant l’ampleur de la tragédie."
Une attitude qui, faut-il encore le rappeler, ne reflète pas la volonté de la majorité de la population israélienne, qui a bien compris vers quel enfer tout ceci les mène : une fuite en avant vers la guerre permanente "justifiant" la dictature de Netanyahou et ses sbires, avec la bénédiction du complexe militaro-industriel US.
Et c'est bien ce qui s'observe à Gaza, en Cisjordanie, au Liban et dans le Golan...


28 juillet 2024

Régis de Castelnau

Rubrique : inversion

28/7/2024 - Il y a eu un moment de vérité involontaire au milieu du flot de mensonges que Netanyahou a proférés devant le congrès des États-Unis. Le Premier ministre israélien a déclaré que ce qui se passait à Gaza était « UN AFFRONTEMENT ENTRE LA BARBARIE ET LA CIVILISATION ». Il n’avait pas tort, sauf que la barbarie n’est pas du côté qu’il désigne mais du sien. Et de ceux qui le soutiennent et l’arment.
À l’image d’Emmanuel Macron recevant le président israélien en grande pompe, alors que celui-ci a revendiqué le massacre en disant « qu’il n’y avait pas de civils innocents à Gaza » et en allant signer les bombes avant qu’elles soient déversées sur les civils palestiniens.
Jonathan Cook est un journaliste britannique qui a vécu à Nazareth, en Israël, pendant 20 ans. Il a publié cet article le 26 juillet dans la revue Middle East Eye. Il y démontre implacablement cette inversion.

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26 juillet 2024

Pascal Boniface

C dans l'air, c'est fini (pour moi)

23/7/2024 - Pourquoi ne me voit-on plus à C dans l'air ? Certains téléspectateurs l'auront remarqué, je ne suis plus invité sur les questions de géopolitique "dure" notamment sur les actualités de la guerre en Ukraine, et de la guerre à Gaza. Après 23 années de participation à l'émission, depuis ses débuts d'ailleurs, il apparaît que mes positionnements critiques sur la politique israélienne au Proche-Orient, notamment, m'empêchent de continuer à participer activement à l'émission. Plus largement, le traitement médiatique de la guerre à Gaza en France laisse une place considérable au seul récit israélien. Je refuse de "rentrer dans le rang" pour maintenir ma place dans cette émission, et regrette néanmoins de ne plus pouvoir y participer.

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