Jean-Claude Delhez
-1/7/2025- Une idée qui traîne veut que la presse soit au service du pouvoir politique. Ne serait-ce pas plutôt l'inverse ? À savoir que le pouvoir politique est au service des patrons de presse, c'est-à-dire de la haute bourgeoisie, de la minorité la plus riche de la société.
Posons deux faits avérés. Les inégalités de richesse ne cessent de se creuser depuis plusieurs décennies. Une infime minorité de la population détient une part notable des richesses. Une part qui ne cesse de croître. De l'intérêt de se demander quels sont les mécanismes qui conduisent à ces inégalités. Second fait avéré : un média, ce n'est pas forcément rentable. Les tirages de la presse écrite ne cessent de diminuer. Même un média audiovisuel ne gagne pas forcément de l'argent.
Partant de là, ébauchons la logique suivante. Des milliardaires achètent régulièrement des titres de presse, des télévisions, des sociétés d'édition, et constituent de puissants groupes médiatiques. Ces milliardaires entretiennent des relations de proximité avec la classe politique : avec un parti, avec des candidats, avec des élus... Ils utilisent leurs médias pour favoriser la classe politique qui leur est proche. Certains le font ostensiblement, d'autres de façon plus hypocrite, plus sournoise. Une fois cette classe politique au pouvoir, elle adopte des lois qui favorisent les plus riches. La boucle est bouclée. C'est le retour sur investissement des milliardaires, du 1% le plus riche, qui devient encore plus riche.
Faire élire un candidat demande de construire tout un univers mental à implanter parmi la population. Le recours à l'ennemi qui suscite l'angoisse est fréquent : un coup c'est l'étranger (les Russes, les Chinois...), un coup c'est l'ennemi de l'intérieur (l'extrême-droite, l'extrême-gauche, les immigrés, les chômeurs...). Et, face à cette menace, roulement de tambour : voici le nouveau champion vanté par les médias, tout neuf, tout propre, le politicien qu'il vous faut, celui qui, tel le robot ménager, répondra à tous vos besoins.
Les exemples sont légion. Berlusconi fut l'un des précurseurs, à la fin du siècle dernier. Il a poussé la logique à son terme en devenant lui-même le produit de ses télévisions, le politicien soutenu par ses médias. Avec le temps, on en arrive à ce que les médias fassent élire, par une majorité de citoyens modestes, ou de la classe moyenne, des représentants appartenant à la minorité la plus riche. Un Friedrich Merz, un Donald Trump, un Rishi Sunak sont des millionnaires. L'actuel gouvernement français est lui aussi riche en millionnaires. C'est ce qu'on nommait par le passé la ploutocratie, c'est-à-dire le pouvoir politique aux mains des plus riches. Plus besoin de les convaincre de voter des lois favorisant la haute bourgeoisie puisqu'ils en font eux-même partie.
Il faut bien comprendre que si les inégalités augmentent sans cesse depuis plusieurs décennies, c'est qu'il y a une raison à cela. C'est qu'il existe des mécanismes qui le permettent. Et ces mécanismes passent par la loi (favoriser les gros propriétaires fonciers, les héritiers, les actionnaires, l'évasion fiscale, etc.). De l'intérêt, pour qui veut en tirer profit, de contrôler les politiciens. Et donc, au préalable, de les faire élire grâce à l'action des médias. Pendant ce temps, on détourne l'attention du peuple en créant des ennemis qui lui font peur. Ce qui permet de faire disparaître des esprits les clivages de classes sociales, les rapports de domination économique, les causes socioéconomiques des problèmes qui touchent la société. Ainsi, celui qui est la victime de ces inégalités se retrouve à élire celui qui est à l'origine de son problème.