Jo Zefka
Professeur d’université
-12/7/2025- « Je sors accablé des jurys de licence et de master. il faut le savoir : des milliers d'étudiants devront cette année leurs notes ou leur diplôme à des devoirs entièrement rédigés par ChatGPT. L'intelligence artificielle produit un nouveau type de plagiat, presque impossible à prouver.
Je parle essentiellement des devoirs ou des dossiers préparés à la maison, qui comptent souvent pour moitié dans l'évaluation finale. ChatGPT permet à des étudiants médiocres ou nuls, s'ils passent sous les radars, d'obtenir des 17 en rendant des copies qui ne doivent rien à leurs mérites.
Parfois, la fraude est patente : par chance, ChatGPT aura inventé des références bibliographiques ou dit n'importe quoi. Mais c'est de plus en plus rare. Souvent, le prof en est réduit à son intime conviction : il sait que l'étudiant n'a pas le niveau pour rendre un tel devoir, mais il ne peut le prouver formellement
Pour en avoir le cœur net, il arrive qu'on convoque l'étudiant et qu'on l'interroge. Il se confirme alors qu'il ne connaît pas un traître mot du devoir qu'il a rendu. Telle étudiante de master, comprenant à peine le français, ayant remis un dossier dans une langue impeccable, ignore tout du sujet qu'elle a brillamment traité. Tel autre qui, jusque-là, plafonnait à 7, situe Molière au XVème siècle, n'a jamais entendu parler de Diderot, rend un devoir sur Clément Marot digne d'un agrégé et jure ses grands dieux qu'il l'a rédigé lui-même. "Si, si, Madame, j'ai lu les romans (sic) de Marot"!
Or, même dans de tels cas, la fraude doit être prouvée formellement. Ce qui était facile dans le cas d'un plagiat ordinaire (il suffisait d'en identifier les sources) est devenu beaucoup plus compliqué avec l'IA. Et la procédure disciplinaire est si longue et incertaine qu'elle en devient dissuasive.
En conséquence, le taux de fraude impunie croît de manière exponentielle depuis l'an dernier. La seule manière de l'endiguer serait d'en finir avec les devoirs à la maison. On y vient. Mais je me demande s'il n'est pas déjà trop tard.
Notre bac ne vaut déjà plus un clou. Il est presque naturel que des étudiants qui n'ont pas appris à penser, à lire des textes difficiles, à rédiger avec soin se précipitent sur un outil magique, un "esclave de pensée", qui leur promet, moyennant un abonnement modique et quelques "prompts" bien sentis, de se charger de toutes ces tâches fastidieuses mieux qu'ils ne sauront jamais le faire eux-mêmes. Thèse, antithèse, prothèse.
Quelques privilégiés continueront à suivre des filières sélectives ; eux aussi seront touchés, mais un peu moins vite que les autres, ceux dont on n'aura jamais rien exigé et qui iront s'entasser dans les filières de lettres et de sciences humaines pour décrocher des diplômes qui ne tromperont plus personne.
Les universités, qui manquent déjà cruellement de moyens, vont perdre le peu qui leur restait de crédit. »