H16
-2/7/2025- Après la pièce de théâtre Israël-Iran avec les États-Unis pour la mise en scène, le dernier sommet de l’OTAN qui a eu lieu la dernière semaine de juin marque une nouvelle étape dans l’évolution rapide de la géopolitique mondiale, notamment dans ce qu’il a révélé des positions européennes.
Rappelez-vous, ce n’est pas si vieux : avec l’arrivée de Trump au pouvoir, et la réalisation que les choses ne se passaient pas exactement comme prévu question budgets, les pays européens se sont retrouvés acculés à multiplier les annonces pour une Europe plus indépendante, notamment sur le plan de sa propre défense, avec une nécessité de se réarmer pour tenir compte des États-Unis soit de plus en plus distants, soit carrément hostiles.
Ainsi, la Commission Européenne dévoilait en mars un plan dodu de réarmement (Rearm Europe) se montant à 800 milliards d’euros – le contribuable européen a les moyens, manifestement – pour pouvoir faire face aux différentes menaces, dont – on ne s’étonnera pas – la Russie semblait être la première.
La position officielle étant calée, elle fut sans mal reprise lors du dernier sommet de l’OTAN dans lequel le Commissaire européen de la Défense (un certain Andrius Kubilius, un Lituanien) a estimé avec une certaine audace (ou un aplomb de dentiste) que l’Europe pourra être indépendante dans sa défense, c’est-à-dire sans dépendre des États-Unis, en utilisant habilement la préposition « à terme » permettant d’introduire un facteur temps.
Facteur temps d’autant plus important que plusieurs éléments laissent franchement penser que l’Europe va continuer à rester étroitement liée aux États-Unis pour sa propre défense, et pour encore un bon moment. On a pu ainsi voir, lors de ce dernier sommet, Mark Rutte, l’actuel Secrétaire général de l’OTAN, chercher à amadouer le président américain en le félicitant pour sa gestion de la crise en Iran et Israël, quitte à tenter un aplatissement que ne renierait pas une serpillière. Il a d’ailleurs été suivi en cela par tous les membres de l’OTAN qui ont « décidé » d’attribuer 5% de leur dépenses à la défense (contre 2% auparavant).
Et bien sûr, cette augmentation marquée des dépenses de défense se traduiront pour les pays membres de l’OTAN par de nouveaux achats d’équipements… américains.
Eh oui : l’Europe de la défense, politiquement, ça se traduit par un Royaume-Uni qui annonce acheter des F35, allant en cela dans le même sens que le Danemark qui a maintenu ses plans d’acheter les mêmes avions, et ce même après le discours de Trump sur le Groenland. Pourtant, l’Union européenne dispose d’avionneurs, y compris dans le domaine militaire.
Et quand ce ne sont pas des avions, le Commandement européen de l’OTAN passe un contrat avec l’entreprise américaine d’intelligence et de renseignement Palantir, pour ses systèmes logiciels de combat. Précisons que les outils de cette société sont largement utilisés par les administrations américaines de sécurité et de renseignements ; en équiper des armées européennes n’est pas neutre du tout sur le plan de la souveraineté (ici numérique) et sur la capacité des Américains à collecter des informations directement auprès de ses alliés, sans leur demander leur avis.
Il semble à présent assez clair que tous les discours des dirigeants européens sur une « défense européenne indépendante » tiennent beaucoup plus d’une simple réaction épidermique contre l’élection de Donald Trump que la plupart d’entre eux n’avaient pas vu (ou avaient refusé de voir) venir. Au-delà de ces discours, rien de concret ne semble vouloir prendre corps. Et ce n’est d’ailleurs pas la première fois puisqu’en 2017, les (sensiblement mêmes) dirigeants européens avaient déjà tenu ce discours d’une défense européenne souveraine dont on a pu, depuis, constater le résultat inexistant, à part bien sûr les tas dodus de subventions supplémentaires à travers le Fond Européen de Défense.
Toutes ces gesticulations n’aboutissent qu’à deux choses.
D’une part, les dépenses en matière de défense européenne vont donc continuer de croître gaillardement. Pour une partie des pays de l’Union, déjà fortement endettés (et pour certains, frôlant dangereusement la faillite), on se demande si ces choix géopolitiques – qui ne s’accompagnent jamais de coupes budgétaires compensatoires – ne seront pas les derniers clous dans leur cercueil de vanité.
D’autre part, la dépendance militaire européenne vis-à-vis des États-Unis va non seulement se maintenir, tant au niveau technologique que matériel, mais tout porte à croire qu’elle va même croître et s’accélérer.
Ces deux éléments sont exactement ce que voulait l’administration américaine, qui voulait que les alliés remplissent une part plus importante des factures tout en conservant le contrôle à Washington. Bien joué Donald !
En usant d’une menace de dissolution de l’OTAN (dont beaucoup s’accordent à dire qu’elle serait possible) Trump est parvenu à faire rentrer les Européens dans le rang qu’il leur a dévolu : le président américain semble pour le moment très satisfait d’avoir une Europe sous ses ordres. Et les Européens feront absolument tout pour faire plaisir aux Américains afin d’éviter toute disparition de l’OTAN qui représente en pratique la seule incarnation vaguement tangible d’une « Europe de la défense ».
Eh oui, la défense européenne est complètement dépendante de la logistique américaine qui lui reste irremplaçable : il n’y a pas d’autres pays dans le monde avec une telle capacité et dans ce cadre tous les projets de défense européenne actuels ne peuvent pas se réaliser sans les Américains.
Enfin, même s’il commence à y avoir une prise de conscience du retard technologique de l’Europe (par exemple en matière d’intelligence artificielle, de drones, etc), ce réveil est tardif, en plus de la pénalisation que représentent le gros paquet de politiciens, décideurs et dirigeants européens ouvertement écologistes qui bloqueront tout projet un peu sérieux dans le domaine.
En dépit de l’aspiration des peuples à disposer d’eux-mêmes, la vassalisation de l’Europe, déjà fort avancée ces 10 dernières années, semble donc s’accélérer avec l’assentiment des dirigeants européens.