Gabriel Nerciat
-22/8/2025- Avec Gérard Chaliand, c'est une certaine idée du tiers-mondisme, telle qu'elle prit forme dans les années 1960-70, qui disparaît pour toujours.
Je n'éprouvais pas forcément sa fascination assumée pour tous les mouvements de guérilla du vaste monde, qu'ils se réclamassent du marxisme ou non, mais il est indéniable qu'il aura assez brillamment expérimenté et approfondi, en n'hésitant pas à payer de sa personne, pendant plusieurs décennies, ce que Carl Schmitt avant lui avait perçu et conceptualisé dans sa célèbre Théorie du partisan.
La guérilla, c'est la force des faibles, disait Roger Caratini, un de nos amis communs aujourd'hui disparu lui aussi, mais c'est une force qui paradoxalement finit parfois par régénérer ou relégitimer l'ennemi étatique même qu'elle s'efforce de combattre (l'exemple du PKK kurde d'Ocalan, qui lui était si cher, et du rôle qu'il a joué dans l'affermissement du pouvoir illibéral d'Erdogan en Turquie, en est une illustration parfaite).
Chaliand disparaît à un âge avancé, au moment même où deux des causes qu'il avait le plus ardemment soutenues, celle des Arméniens du Karabagh ou du Levant et celle des Arabes de Palestine, connaissent des revers et des épreuves sanglantes qui ressemblent de plus en plus à des tentatives d'éradication planifiée.
Ce qui va advenir maintenant, peut-être n'était-il plus en mesure de l'accompagner et de le décrire adéquatement (il s'était déjà assez lourdement trompé, avec beaucoup d'autres il est vrai, dans ses analyses sur le conflit syrien).
Reste l'essentiel, qu'il avait par contre très bien saisi et exprimé : avec la prolifération mondiale des guérillas, qui a survécu à la fin de l'empire soviétique et de la Chine maoïste, la guerre conventionnelle ne se limite plus à l'alternative classique entre la victoire et la défaite.
Une révolution politique peut échouer sans retour ; mais un mouvement de partisans armés peut difficilement se réduire sans restes, même s'il ne parvient pas à prendre le pouvoir, à partir du moment où un sentiment national est adossé à lui.
Ceux qui ne le comprennent pas aujourd'hui ne le comprendront sans doute jamais.
Ma foi, c'est tant pis pour eux, mais cela n'empêchera pas l'auteur du Feu nomade de dormir en paix.