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11 juillet 2025

LETTRE OUVERTE À NICOLAE CEAUSESCU

Radu Portocala
11/7/2025

Très estimé Camarade Président,
Cette lettre arrive bien un peu tard, mais je précise à ma décharge que je pense à l’écrire depuis quelques années. Depuis, pour être plus précis, que l’Occident où je vis est entré dans une phase de démocratisation aiguë.
Je vous écris pour vous prier de pardonner mes attitudes d’autrefois. Je me suis permis de vous critiquer, de faire de nombreuses émissions de radio contre votre politique, d’écrire dans des journaux et des livres que vos choix étaient désastreux. J’avais tort et c’est vous qui aviez raison. C’est bien pour cela que ceux qui vous comprenaient vous avaient nommé Le Danube de la Pensée, alors qu’ils m’appelaient chien galeux.
Ce que je vois autour de moi ces dernières années me montre que vous aviez une très limpide vision de l’avenir. Je constate avec joie que l’Occident s’est réveillé : il a enfin compris votre sagesse et il a commencé à appliquer votre politique. Il a du retard, certes, mais il montre de la bonne volonté et se dépêche pour rattraper le temps perdu.
Ô, très estimé Camarade Président, pourquoi n’êtes-vous pas là pour vous réchauffer le cœur à la vue de ce spectacle ? Vos ennemis d’hier, ceux qui dédaignaient votre œuvre grandiose, devenus vos disciples, vos suiveurs.
Je croyais, quand je vivais dans le paradis rouge, que vous me persécutiez. Non ! J’avais tort ! Vous me prépariez pour la vie que j’allais avoir ici, dans cet autre paradis, celui de la démocratie radicale et impitoyable. Oui, vous me prépariez, et maintenant je suis prêt à accueillir avec enthousiasme cette renaissance. Le « maintenant » qui vient est l’« autrefois » que je croyais perdu. Je ne suis pas dépaysé. Vos pensées m’entourent de nouveau.
Veillez sur nous ! Vive le passé radieux ! Que sa lumière nous guide !


Radu Portocala est un journaliste et un écrivain d’origine roumaine. Persécuté par la Securitate, il a d’abord trouvé refuge en Grèce, avant de s’installer en France en 1982 ; il y connaîtra Cioran, et les exilés roumains de Paris. Il a notamment écrit sur Ceausescu, et a participé aux livres collectifs de Stéphane Courtois.
Contrairement à nous qui faisons les malins et jouons les durs sur les réseaux sociaux, il a connu la dictature, une dictature à l'ancienne, non celle qui ferme un compte Facebook, mais celle qui emprisonne ses opposants pour délit d'opinion.
Il a récemment exercé son regard critique sur la situation française, et en a tiré un volume réjouissant contre le macronisme, au titre étrange en forme d'oxymore : “Le Vague tonitruant” (éd. Kryos). Il est aussi l’auteur d’un recueil de poèmes : “Voie sombrée” (éd. Dédale).
“Voie sombrée” se présente sous la forme d’une poésie très visuelle, presque narrative, où l’on suivrait la tentative d’évasion d’un homme, passant d’une cellule souterraine à une autre, dans un univers qui prolongerait le monde de Beckett et celui de Kafka.
On voit qu’il n’y a pas deux Radu Portocala, le journaliste et le poète, mais un seul, animé du même esprit contestataire, un abbé Faria, creusant pour nous aider à sortir de la cellule idéologique.
Bruno Lafourcade