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14 juin 2025

Natalia Routkevitch


Les Ténèbres du Levant

C’est à partir de ma terre natale que les ténèbres ont commencé à se répandre sur le monde.

Et que tout a commencé.

Nous sommes entrés dans une zone tumultueuse, imprévisible, hasardeuse, et qui semble destinée à se prolonger. La plupart de nos contemporains ont cessé de croire en un avenir de progrès et de prospérité. Où qu'ils vivent, ils sont désemparés, rageurs, amers, déboussolés. Ils se méfient du monde bouillonnant qui les entoure, et sont tentés de prêter l'oreille à d'étranges fabulateurs.

Nous entrons dans une longue période de tumultes, émaillée d’attentats, de massacres et d’atrocités diverses.

Tous les dérapages sont désormais possibles, et aucun pays, aucune institution, aucun système de valeurs ni aucune civilisation ne semble capable de traverser ces turbulences en demeurant indemne.

Amin Maalouf, écrivain libano-français, secrétaire perpétuel de l'Académie française

ORGUES DE BARBARIE

Gabriel Nerciat

-14/6/2025- Pendant qu'ici de vaillants esprits garants du maintien de la civilisation pensent que les Iraniens par millions vont se précipiter dans la rue pour trahir leur pays agressé en soutien de l'Etat étranger qui les attaque, aux Etats-Unis on annonce que des centaines de milliers voire un million d'Américains vont manifester dans toutes les grandes villes du pays pour afficher leur hostilité au président de l'Union et au défilé militaire qu'il organise ce soir en vue de célébrer l'unité de la Nation.
En fait, je crois que je commence à comprendre où est vraiment le problème.
Pas mal de gens, qui par ailleurs se voient comme la fine fleur de l'humanité sénescente, sont persuadés que l'essentiel des peuples (surtout les peuples jeunes extérieurs à la sphère occidentale) ressemble naturellement à la jeunesse gauchiste américaine, ou dans une moindre mesure européenne.
Il me semble que la vision très avantageuse qu'ils ont d'eux-mêmes va vite se révéler légèrement surestimée, même si l'on sait bien que les grands discours exaltés sur la barbarie et l'émancipation ont tendance sous nos cieux à s'étioler dès la moindre hausse du prix du baril de pétrole.
En attendant, faisons comme si les barbares n'étaient pas chez nous, et si la jeunesse d'Ispahan était la même que celle de Los Angeles.
Il n'y a pas un théoricien libéral, d'ailleurs, et des plus raffinés, qui a écrit des lettres adressées à des Persans ?
Kuzmanovic Georges
14/6/2025

Les États-Unis ne sont pas les "leaders du monde libre" : ce sont les champions de la guerre permanente.

Les néoconservateurs ont obtenu une victoire totale à Washington.
Les maigres espoirs que certains avaient placés dans l’élection de Donald Trump ont été balayés.
Nous faisons face à un risque réel de guerre mondiale, pour la seule raison que les néocons américains sont animés par un désir fou et obsessionnel d’un monde unipolaire dominé par les États-Unis.
Désormais, après la récente déclaration de Trump, aucune négociation ni diplomatie ne semble possible avec les États-Unis, et donc avec l’Occident qu’ils dirigent. Plus aucun pays ne peut faire confiance à ce bloc. Tout risque donc de se régler par la force.
Dans ce contexte, deux hypothèses s’imposent concernant Emmanuel Macron :
Soit il ne comprend rien à la situation actuelle, soit il obéit docilement à Washington et aux néoconservateurs qui y règnent, tel un bon petit soldat de l’atlantisme.
La France n’a aucune raison de participer à la défense d’Israël.
C’est Israël qui a franchi deux lignes rouges :
- Attaquer un pays souverain sans pouvoir invoquer la légitime défense.
- Viser des installations nucléaires.
Par ailleurs, aucun accord de défense ne nous lie militairement à Israël.
En devenant cobelligérants, nous entrerions dans un conflit impliquant ou susceptible d’impliquer plusieurs puissances nucléaires : les États-Unis, Israël, demain peut-être l’Iran, et potentiellement la Russie.
Il est irresponsable de la part du Président de la République de parler de guerre avec la désinvolture d’un noctambule choisissant sa prochaine boîte de nuit.
La participation à une guerre est une décision grave. Comme en Ukraine, elle ne peut être le fait d’un seul homme. Une éventuelle participation à une guerre aux côtés d’Israël contre l’Iran doit, au minimum, être discutée au Parlement – comme l’impose l’article 35 de la Constitution.
Nous devons, par tous les moyens, même avec les modestes leviers dont dispose chaque citoyen, freiner les va-t-en-guerre et œuvrer à la paix.
La situation mondiale est bien plus grave que lors de la crise des missiles de Cuba.
Ce n’est pas un jeu, contrairement à ce que semble croire le sénateur Lindsay Graham : l’humanité est au bord de l’abîme.

12 juin 2025

Péonia
12/6/2025

Gerry Nolan
Jour de la Russie 2025

L’Occident a franchi le Rubicon nucléaire, seul Poutine a sauvé l’humanité.
12 juin. Jour de la Russie. Une journée qui célèbre non seulement une nation, mais une civilisation. Une civilisation trempée dans le feu, la trahison et la guerre. Une civilisation qui n’oublie pas Hiroshima, non comme un souvenir historique, mais comme une prophétie. En cette année 2025, alors que les drapeaux flottent sur la Place Rouge, le monde doit comprendre une vérité essentielle : nous sommes encore en vie aujourd’hui uniquement parce que la Russie n’a pas riposté avec son arsenal nucléaire stratégique. Pas encore.
Le 1er juin 2025, l’Occident a franchi le Rubicon nucléaire. Sous ce qui semble être la direction directe du MI6 et de la CIA, l’Ukraine a lancé l’opération Spiderweb, une frappe visant à décapiter la triade nucléaire russe. Des camions kamikazes bourrés de drones, opérant depuis le territoire russe, ont attaqué les bases d’Engels, Belaya et Olenya, où sont stationnés les bombardiers stratégiques Tu-95MS et Tu-22M3. Ces frappes n’étaient pas symboliques. Elles ciblaient directement les piliers de la dissuasion nucléaire de second frappe.
C’était une répétition d’une première frappe, camouflée en provocation. Et cela s’est produit à la veille de pourparlers de paix prévus à Istanbul.
Les médias occidentaux ont exulté. Bernard-Henri Lévy a qualifié l’opération de « brillante ». Fox News s’est interrogé : l’Ukraine pourrait-elle « recommencer » ? Le Washington Post a loué la détermination ukrainienne. Personne n’a évoqué la doctrine nucléaire russe. Mais Moscou a parfaitement compris le message. Et nous devrions en faire autant.
En 2024, la Russie a révisé sa doctrine nucléaire. Elle autorise désormais le recours à l’arme nucléaire non seulement en réponse à une attaque nucléaire, mais aussi face à toute frappe conventionnelle compromettant sa capacité de dissuasion. C’est précisément ce qu’a fait l’opération Spiderweb. Et pourtant… Poutine a patienté. Il n’a pas riposté dans la précipitation. Il n’a pas frappé Londres. Il n’a pas escaladé au niveau stratégique, malgré cet outrage à la ligne rouge absolue. Il s’est tu. Il a ordonné une enquête. Il a répondu à un appel du président Trump, qui a nié toute implication. Puis il a attendu encore.
Car ce qui suivra ne relève pas de la tactique. Il s’agit de l’Histoire.
Le Kremlin sait qui est derrière cette opération. Des sources confirment qu’il s’agit d’une manœuvre conjointe du MI6 et de la CIA. Scott Ritter a détaillé l’attaque. Pepe Escobar a analysé ses retombées géopolitiques et la rupture du traité START révisé. Ce qui me sidère, c’est la manière dont l’Occident a normalisé psychologiquement l’escalade nucléaire. La dissuasion n’a plus d’effet sur une génération qui ne craint plus la guerre.
Et pourtant, les dirigeants occidentaux, déconnectés des conséquences, prennent la retenue pour de la faiblesse et la patience pour une capitulation.
En Russie, la pression est explosive. « Libérez les Oreshniks ! » est devenu un cri de ralliement national. Le peuple exige une riposte, pas des discours. Mais Poutine n’est pas guidé par la fureur. Il agit avec une lucidité civilisationnelle. Le prochain mouvement ne sera pas impulsif. Il sera stratégique. Total. Asymétrique. Dévastateur.
Car la Russie ne bluffe pas. Elle calcule. Elle se souvient. Et si elle décide de répondre à cet acte de guerre non déclaré, aucun éditorial du Washington Post ne pourra réécrire la suite. Aucun sénateur – suivez mon regard, Lindsey – n’en sortira indemne.
Aucun centre de commandement de l’OTAN ne sera hors d’atteinte.
Trump dispose encore d’une fragile marge de déni plausible. Mais si un tel acte se reproduit et qu’il reste passif, Moscou interprétera son silence comme un assentiment.
L’Occident joue avec le feu dans une pièce saturée de carburant. Jusqu’à présent, Poutine a retenu l’allumette. Non par crainte, mais par responsabilité… pour la Russie pour l’ordre mondial, pour l’humanité.
En ce Jour de la Russie, ne vous contentez pas de brandir des drapeaux ou de chanter l’hymne. Prenez conscience de ce que nous avons failli perdre – et de ce que nous risquons encore de perdre. L’opération Spiderweb entrera dans l’Histoire comme un test des limites d’une civilisation. L’Occident a confondu patience et reddition.
Une erreur qu’aucun empire ne commet deux fois.

Régis de Castelnau
12/6/2025

Rubrique : folie

La presse française n’en parle pas (surprise, surprise !) mais la presse américaine s’inquiète. Israël semble décidé à attaquer l’Iran, et à le bombarder. Pour l’instant Israël essaie de convaincre les Américains d’être de la fête, et en tout cas ceux-ci ont commencé à prendre des mesures, pour exfiltrer leurs ressortissants non militairement essentiels de la zone.
Déclencher cette guerre avec l’Iran serait simplement de la folie. En tout cas une démarche suicidaire de la part d’Israël qui semble décidé à emprunter cette voie autodestructrice. D’abord, l’Iran est une noix très difficile à casser avec des capacités de riposte très importantes. Ensuite ni la Chine, ni la Russie ne l’accepteront, et le risque d’escalade avec généralisation du conflit est réel.
Force est de constater que le gouvernement israélien et son chef sont enfermés dans une fuite en avant mortifère pour Israël lui-même.
Si cela se déclenche, ce sera intéressant d’assister en France aux réactions de ceux qui prennent désormais des pincettes dans leur soutien auparavant inconditionnel à Israël en rappelant sans cesse leur (soi-disant) opposition au criminel Netanyahu.
Malgré cela, on est pourtant sûr de les voir rentrer au bercail et trouver ensuite toutes les justifications au déclenchement d’une nouvelle guerre qu’ils présenteront alors comme une « croisade » justifiée contre les mollahs.
On parie ?

RIMA HASSAN, UNE OVERDOSE NUMÉRIQUE

Gabriel Nerciat

-12/6/2025- Bon dites, les amis, il serait peut-être temps que vous compreniez enfin que Rima Hassan, Greta Thunberg et tous les clowns islamo-gauchistes qui les accompagnent ou les soutiennent dans leur risible équipée maritime gazaouie ne recherchent qu'une chose : qu'on parle d'eux.
Peu importe que ce soit éventuellement pour s'en moquer ou les injurier. Il est connu que c'est par la contagion des polémiques ad hominem qu'on se forge une réputation bien établie dans l'univers médiatique et numérique d'aujourd'hui.
En plus, avec Gaza, la pétulante Rima joue sur du velours. La cause d'Israël n'étant plus défendable depuis longtemps, elle sait qu'elle va ramasser la mise beaucoup plus facilement qu'à l'époque où elle prenait parti – discrètement – pour le régime de Bachar El Assad en Syrie.
Donc, un conseil : si vous voulez vraiment lui nuire, cessez de parler d'elle à longueur de tweets, de statuts ou de journée. Cela commence à faire comme une overdose numérique.
Et par ailleurs, si vous croyez que Mélenchon ne sait pas ce qu'il fait en épousant aussi totalement la cause palestinienne, y compris dans sa version islamiste et fondamentaliste, c'est tout simplement que vous êtes définitivement beaucoup moins futés que lui (ou aussi peu futés qu'un Bardella ou un Tanguy, comme vous voulez).
Dans ce cas, les élections municipales de l'an prochain, je le crains, vont achever de vous ouvrir les yeux.

Dessin de Chaunu

Jean Mizrahi
12/6/2025

Bayrou est réellement à côté de ses pompes

Le rôle des enseignants n’est pas de diagnostiquer ni de traiter les troubles psychiques des élèves. Ce n’est ni leur mission, ni leur compétence. Et ce ne sont certainement pas six heures de "formation" bricolées à la hâte qui y changeront quoi que ce soit. Dans le meilleur des cas, on peut attendre d’eux qu’ils soient des sentinelles, des lanceurs d’alerte. Mais encore faut-il que le système les écoute. Ce n’est pas le cas.
Avant de prétendre "agir", le ministre et ses soutiens pourraient commencer par se poser quelques questions élémentaires :
• Quelle est leur propre part de responsabilité, notamment dans la détresse psychologique de la jeunesse, après deux années de restrictions brutales imposées durant le Covid – périodes d’enfermement, d’isolement, d’angoisse, dont les conséquences sont encore niées ou minimisées.
• Pourquoi l’Éducation nationale fonctionne-t-elle avec un ratio de psychologues scolaires digne d’un pays en crise, soit environ un psychologue pour 1500 élèves, quand les pays d’Europe du Nord en comptent un pour 500 ? Faut-il vraiment feindre de s’étonner que tant de jeunes décrochent ou sombrent ?
• Pourquoi les parents sont-ils si peu associés à la réflexion pédagogique ? En les maintenant à la périphérie, l’école se prive d’un levier essentiel pour détecter précocement les fragilités familiales, sociales ou affectives. Un rejet que l’on habille de grands principes, mais qui traduit surtout une gestion technocratique de la relation éducative.
• Et surtout : pourquoi l’enseignant qui s’inquiète, qui signale, n’est-il pas entendu ? J’en parle d’expérience : après avoir alerté les responsables d’un établissement sur l’état inquiétant d’un élève, je n’ai reçu ni réponse, ni retour, ni suivi. Le silence comme seule politique.
Il y a là un schéma bien rodé : celui d’une classe politique française incapable de prévenir, incapable de penser en amont. Elle ne sait que réagir, tardivement, maladroitement, sous le coup de l’émotion médiatique. « Gouverner, c’est prévoir » disait l’adage. Ici, on se contente de colmater. Mal.

GUERRE : LES POLITICIENS CONTRE LE PEUPLE

Jean-Claude Delhez

-11/6/2025- Je viens de voir passer deux sondages récents. Au Royaume-Uni, la majorité des sondés s'est prononcée contre une augmentation des dépenses d'armement. En Italie, une grande majorité de la population est opposée au soutien militaire à l'Ukraine. Pourtant, le pouvoir fait l'inverse. Meloni soutient Kiev (mollement, certes). Et Starmer projette de faire grimper le budget de la Défense jusqu'à 3,5% du PIB.
Voilà qui me rappelle 2003. Bush allait envahir l'Irak. Il s'était trouvé des alliés en Europe, notamment Berlusconi en Italie, Blair au Royaume-Uni et Aznar en Espagne. Là aussi, la population de ces pays européens était opposée à la guerre. Et cela alors qu'elle subissant (déjà) un bourrage de crâne belliciste : la menace de la puissante armée irakienne et des armes de destruction massive de Saddam Hussein. Malgré l'opposition populaire, ils y sont quand même allés, à la guerre. Et ça a donné la catastrophe que l'on sait.
La guerre, le politicien aime ça. Il fallait voir Bush tout guilleret dans son blouson d'aviateur, sur un porte-avions américain du Golfe, après la défaite de l'Irak. Ou Hollande à Tombouctou, après l'intervention française de 2013 au Mali (qui n'a rien résolu, c'est peu de le dire). Le politicien est un être de pouvoir, de hiérarchie, de domination. La guerre aussi est un rapport de force, de pouvoir. D'autant qu'il ne s'agit pas ici de se défendre : personne n'envahit l'Italie, l'Espagne ou le Royaume-Uni, ne fait irruption au cœur de l'Europe pour y égorger vos filles et vos compagnes. Il s'agit d'attaquer. Le politicien aime la guerre plus que le peuple. Il aime les rapports de domination. Et les rapports de domination sont l'inverse de la démocratie.

Joachim Le Floch-Imad / Le Figaro
10/6/2025

"« Depuis quatre mois, j’attends des réponses et je ne vois rien venir. Je m’occupe de la sépulture de mon fils et de notre famille. (…) Je patiente. Et je saurai qui s’est moqué de nous », écrivait, il y a deux semaines, la mère d’Élias, 14 ans, tué à coups de machette en plein Paris à la sortie de son entraînement de football. Nonobstant les événements des derniers jours, l’Élysée trouvait bon, en retour, de reprendre à son compte l’expression « faits divers ». Deux mots destinés à faire diversion. Deux mots incapables, pourtant, d’effacer la réalité des maux dont souffre une nation qui s’enorgueillissait jadis d’avoir, à travers la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, érigé la sûreté en « droit naturel et imprescriptible ».
Ce mardi matin, au moment où la mère d’Élias dénonçait courageusement à la télévision l’impuissance consentie du politique en matière sécuritaire, la France était le théâtre d’une énième tragédie. À l’entrée d’un collège à Nogent, en Haute-Marne, un élève de troisième poignardait à mort Mélanie, une assistante d’éducation et mère de famille de 31 ans. Une coïncidence qui raconte, une fois de plus, l’hyperviolence de certains mineurs et la noirceur profonde de « la crise de l’école », selon l’euphémisme consacré. Toutes les statistiques officielles montrent ainsi que les digues qui protégeaient l’école de la République de la barbarie ont cédé les unes après les autres, au détriment des plus vulnérables.
Une note de la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère, publiée en mai, alertait sur la hausse de 114 % en trois ans du nombre d’incidents graves à l’école publique (+ 56 % dans le second degré). Un rapport sénatorial dénombre quant à lui 100.000 professeurs menacés ou agressés chaque année. Et l’on sait, grâce aux données publiées dans le cadre de l’enquête Pisa, que la part des élèves français qui disent avoir vu un couteau ou une arme à feu en circulation dans leur établissement représente le double de celle des États-Unis et le triple de celle du Mexique. Des chiffres alarmants, étroitement liés à la crise des vocations dans l’Éducation nationale (- 30 % d’inscriptions au Capes en 20 ans) et à l’explosion du taux de démission des professeurs (+ 567 % en dix ans).
Cette violence, face à laquelle les personnels éducatifs sont en première ligne, plonge bien sûr en partie ses racines dans les discours ministériels et les politiques publiques des dernières décennies. Dans la lignée des théories de « l’Éducation nouvelle », l’école s’est transformée en contre-société libertaire, l’élève a été mis « au centre » et la parole du maître a été reléguée au niveau de celle de l’influenceur. Comme si l’éducation n’avait pas pour buts premiers, via la transmission des savoirs, de civiliser la jeunesse, de lui apprendre la maîtrise de soi, de combattre l’abêtissement qui, en déstructurant l’esprit, fait le lit de la haine, du clanisme et de la jubilation à détruire, dont l’actualité nous apporte jour après jour des illustrations nouvelles. Aussi macabre que soit le symbole, on ne peut s’empêcher de relever que l’assistante d’éducation assassinée ce mardi l’a été devant un collège portant le nom de Françoise Dolto, figure de la religion des droits de l’enfant, de la déconstruction de l’autorité et de la méfiance à l’endroit des limites.
Répondre à la décivilisation à l’œuvre, un impératif qui n’est ni de gauche, ni du centre, ni de droite, implique néanmoins d’agir au-delà des seules politiques éducatives, l’école n’étant plus un sanctuaire mais un réceptacle, une caisse de résonance de la violence, des passions tristes et des forces centrifuges de la société. Les chiffres rappelés ci-dessus sont en effet indissociables des données plus larges du ministère de l’Intérieur : 1000 agressions par jour ; une multiplication par cinq des coups et blessures volontaires depuis 1996 ; des homicides et tentatives d’homicide au plus haut (+ 78 % en sept ans).
C’est à la lumière de ces problèmes vertigineux qu’il faut comprendre les maux auxquels notre école est en proie. Bien que l’institution soit un rempart face à la sauvagerie, elle ne peut à elle seule répondre à la déshumanisation du corps social : dégradation de la santé mentale des plus jeunes, inégalités socio-économiques, repli sur les cultures d’origine liés aux bouleversements démographiques, nihilisme, entrisme islamiste. Cela vaut d’autant plus aujourd’hui, alors que notre système éducatif voit se succéder à un rythme éclair des ministres dont le goût de la communication, les propositions de façade et l’appétence gestionnaire ne parviennent pas à dissimuler l’impuissance face aux vrais défis.
Si des mesures s’imposent pour protéger les personnels et rétablir l’ordre dans les établissements les plus difficiles, la lame de fond à combattre est d’une intensité telle qu’elle rend indispensable, au-delà des effets d’annonce et autres palliatifs, une politique globale définie et mise en œuvre conjointement par l’Élysée, Matignon, les principaux ministres et la technostructure. Le fait que l’assassinat de Mélanie ait eu lieu à l’occasion d’une fouille inopinée de sacs témoigne d’ailleurs bien de l’insuffisance des seules politiques sécuritaires de circonstance. La vidéosurveillance, les portiques de sécurité et autres règlements sur les armes blanches peuvent bien sûr faire l’objet de débats. Attention néanmoins à ne pas concevoir ces derniers comme un cautère sur une jambe de bois, comme des moyens bien commodes de tenter de traiter les conséquences tout en s’aveuglant sur leurs causes : la faillite de l’autorité de l’État, la faiblesse de la réponse pénale, le sentiment de toute-puissance qu’engendre l’impunité systémique, le manque de centres éducatifs fermés, l’immigration hors de contrôle, la démission des parents, la culture de l’immédiateté et du narcissisme, la fracturation de la France.
L’heure n’est pas à sécuriser l’enfer, mais à reconstruire une société malade puisque privée de pilote, de cap et d’espérance. L’histoire montre que la France sait rebâtir sur les ruines et se sortir des situations les plus critiques. Encore faut-il que ceux qui ont la charge de son destin aient le courage de servir réellement l’intérêt général, d’engager des décisions de rupture, de mettre en œuvre le nécessaire virage à 180 degrés. En prenons-nous le chemin ? À entendre la ministre de l’Éducation nationale, Élisabeth Borne, expliquer, au lendemain du rapport sur le frérisme, de la mort d’Élias et des violences en marge du match du PSG, qu’« on ne doit ni légiférer à chaud, ni dans l’émotion », il semblerait que le doute soit permis. Comme si le jour sans fin qu’ont le sentiment de vivre des dizaines de millions de Français devait, inexorablement, se prolonger."