Gastel Etzwane
L’accord franco-algérien de 1968 : un héritage d’une autre ère, devenu instrument d’asymétrie
-31/10/2025- Lorsque la France et l’Algérie signent, le 27 décembre 1968, l’accord relatif à la circulation, à l’emploi et au séjour des ressortissants algériens, le contexte est tout autre.
Six ans après l’indépendance, les deux pays cherchent à apaiser une relation encore brûlante. L’Algérie, alors jeune État, a besoin de devises et de stabilité ; la France, en pleine expansion industrielle, manque cruellement de main-d’œuvre.
L’accord vient sceller un compromis : les Algériens pourront venir travailler et vivre en France selon des conditions assouplies ; en échange, l’Algérie maintiendra des liens économiques et humains privilégiés avec son ancien partenaire colonial.
Ce texte, signé à une époque de croissance et de foi dans le progrès, entérine un régime d’exception : les ressortissants algériens obtiennent un statut dérogatoire au droit commun des étrangers, plus favorable que celui accordé à toute autre nationalité hors Union européenne.
Le « certificat de résidence » algérien, la facilité du regroupement familial, ou la quasi-automatisation de certains titres de séjour, s’inscrivaient dans une logique d’ouverture.
Mais cette logique date d’un temps où la France produisait encore, où les usines embauchaient et où l’État pouvait se permettre la générosité diplomatique.
De la coopération au déséquilibre
Un demi-siècle plus tard, le contexte s’est inversé.
La France s’est désindustrialisée, son chômage structurel s’est enraciné, ses finances publiques s’épuisent.
Dans ce paysage social et économique dégradé, le maintien d’un privilège migratoire hérité de 1968 apparaît à contre-courant de toute rationalité politique et économique.
Mais au-delà de l’économie, c’est le déséquilibre diplomatique qui frappe.
L’Algérie, loin de considérer cet accord comme un pilier d’amitié, s’en sert souvent comme levier politique.
Les autorités algériennes refusent régulièrement de délivrer les laissez-passer consulaires nécessaires au retour de leurs ressortissants en situation irrégulière, tandis que la France continue d’appliquer scrupuleusement les avantages prévus pour les Algériens présents sur son sol.
Ce manque de réciprocité confère à l’accord un caractère asymétrique : ce qui fut conçu comme un pont entre deux nations s’est mué en rapport de dépendance unilatérale.
Un pouvoir algérien distant et offensif
À cela s’ajoute un facteur plus politique : la posture de plus en plus hostile et méprisante du pouvoir algérien à l’égard de la France.
Le régime algérien, qui instrumentalise régulièrement la mémoire coloniale à des fins intérieures, s’est affirmé comme un acteur défiant, multipliant les provocations symboliques et les gestes de défi diplomatique.
Il tire avantage d’une faiblesse chronique du pouvoir français, souvent tétanisé dès qu’il s’agit de l’Algérie, par crainte d’être accusé de néo-colonialisme ou d’ingérence.
Cette vulnérabilité diplomatique donne au pouvoir algérien un ascendant politique : il sait qu’il peut maintenir une posture de fermeté, voire d’arrogance, sans risquer de rétorsion réelle.
L’accord de 1968 devient alors l’un des symboles de cette relation déséquilibrée, où la France, paralysée par sa propre culpabilité historique, conserve un régime de faveur que l’Algérie n’honore plus.
Pourquoi il est temps d’y mettre fin
Aujourd’hui, l’accord de 1968 est à la fois un anachronisme juridique et un aveu d’impuissance.
Il perpétue une hiérarchie artificielle entre les étrangers, entretient une complexité administrative inutile et, surtout, prolonge une dépendance diplomatique dont la France sort affaiblie.
Le dénoncer ne reviendrait pas à humilier l’Algérie, mais à rétablir une forme d’égalité et de clarté.
Dans un contexte où la France doit redresser son économie, restaurer son autorité et affirmer sa souveraineté, il n’y a plus de place pour des privilèges unilatéraux hérités d’un autre siècle.
La relation franco-algérienne mérite d’être repensée sur des bases saines : respect mutuel, réciprocité, et alignement sur le droit commun.
En somme, cet accord n’est plus un signe d’amitié, mais le vestige d’une dépendance mal digérée.
Il fut utile à une époque, il est devenu une gêne.
Et tant que la France n’aura pas le courage d’y mettre fin, elle continuera d’entretenir l’illusion d’un partenariat équilibré avec un pouvoir algérien qui, dans les faits, profite depuis longtemps de sa complaisance et de son inertie.