Gabriel Nerciat
-16/11/2025- Sur France Culture, depuis le début de la semaine, très peu de mentions de la libération de Boualem Sansal (ou alors, je les ai ratées, ce qui est possible, même si j'écoute la station assez régulièrement).
Les rares journalistes qui en parlent, toujours de façon très brève, s'interrogent surtout pour savoir si l'évènement inaugure ou non une future réconciliation entre Paris et Alger.
Ce matin, à L'Esprit public (l'émission de la radio d'État dévolue au commentaire de l'actualité de la semaine), le nom de l'écrivain est mentionné deux secondes en toute fin d'émission, juste en passant, par l'une des invitées de ce jour (une philosophe normalienne, je crois, que je n'avais jamais entendue sur la radio auparavant).
Apparemment, l'embastillement d'un écrivain français à l'étranger pendant un an n'intéresse guère le personnel de la principale radio publique censée traiter des sujets de nature culturelle.
Il faudrait se plonger dans les archives sonores de Radio France pour voir si l'arrestation et la libération de Régis Debray, à la fin des années 1960 et au début des années 1970, en Bolivie suscita semblable laconisme (je n'étais pas né à l'époque, je ne peux donc pas m'en souvenir).
Si j'officiais à cette radio, j'aurais pourtant consacré une émission assez conséquente sur le thème : pourquoi tel écrivain ou tel artiste est-il persécuté aujourd'hui par tel régime, et pas tel autre ? Pourquoi est-il soutenu par les siens ou au contraire abandonné ? À quelles conditions les hommes de la tribu (l'intelligentsia culturelle) se mobilisent-ils ou pas ?
Sansal lui-même d'ailleurs, pourtant très au fait des mœurs et méfaits du FLN et de l'armée au pouvoir à Alger, ne soupçonnait pas que sa liberté pouvait être menacée lorsqu'il s'est rendu dans sa première patrie, il y a un an, après avoir publiquement remis en cause, dans une interview diffusée sur la Toile, la légitimité des revendications algériennes sur le Sahara occidental.
Jusqu'où un État qui se veut libéral (démocratique, c'est encore autre chose) peut-il et doit-il aller lorsque la vie d'un écrivain qui relève de sa citoyenneté est menacée par un régime étranger ?
La littérature est-elle quelque chose de suffisamment important en ce début de siècle pour qu'elle justifie une crise diplomatique voire pire avec un État qui dispose de certains moyens de nuisance ?
J'ajoute qu'à mes yeux ce sont des questions sérieuses, et pas seulement rhétoriques. Elles ne se bornent pas en tout cas à séparer superficiellement régimes libéraux et régimes totalitaires ou dictatoriaux, comme le font les auteurs assermentés de la Macronie ou de la gauche germanopratine (je ne citerai pas de noms pour ne pas être désagréable).
Car chacun connaît la raison pour laquelle Sansal a été très peu soutenu par l'intelligentsia française : ses livres, par-delà même ses critiques de l'islam que je trouve personnellement relativement convenues et assez peu originales, illustrent surtout l'échec de l'Algérie indépendante (donc, égratignent une très large partie des récits canoniques qui sont faits, sur les deux rives de la Méditerranée, de la décolonisation) et les difficultés qu'il y a à vouloir réconcilier – voire pour certains fusionner – deux sociétés nationales profondément et durablement antagonistes (pas seulement sur la question religieuse).
C'est sans doute pour cela que la vie de Boualem Sansal comptait aussi peu pour les élites progressistes parisiennes que pour les élites militaires d'Alger.
Gageons que si c'était un nouvel Albert Camus, ou n'importe quel type d'intellectuel qui se contente de mettre en cause le fanatisme et la violence idéologique pour mieux célébrer l'amitié cosmopolite entre les peuples, qui avait été jeté dans les basses fosses d'Alger, les réactions eussent été très différentes.
Là, le sous-entendu était clair.
Et je le résumerais ainsi : "On ne va quand même pas compromettre nos relations avec une ancienne colonie exportatrice d'énergies fossiles ainsi qu'avec son encombrante diaspora à cause d'un minable homme de lettres qui ne se donne pas la peine de croire aux rêves que tout homme de culture a le devoir de défendre."
Pour la plupart des journalistes et une bonne partie des auditeurs de France Cuture, Boualem Sansal est une sorte de déserteur. Or, on n'échange pas un déserteur contre une rançon quelconque comme s'il s'agissait d'un banal soldat prisonnier en uniforme.