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20 avril 2024

Radu Portocala

Confessions sur l’écrit (I)

Il y a exactement cinquante-cinq ans, en juillet 1965, par un après-midi qui ne s’annonçait en rien différent des autres, j’ai soudain senti plutôt que je ne l’aie entendue une voix cachée en moi qui me dictait une poésie. Secrètement, avec un vague sentiment de gêne, je l’ai confiée au premier bout de papier que j’ai trouvé et l’ai dissimulée parmi mes affaires de classe.
À mon grand étonnement, d’autres sont venues s’y ajouter. Je les copiai patiemment dans un grand cahier aux couvertures grises, incapable de savoir ce que je devais en faire.
Vint ensuite, à l’école, une composition libre qui nous était demandée par la professeur de roumain. C’était en hiver. J’avais fait, avec mon père, une promenade dans la forêt qui bordait Bucarest vers le Nord. Enfermé dans la cuisine, j’ai écrit ce que j’avais vu.
Le lendemain, on me fit lire à haute voix mon texte. J’étais terrorisé, mes mains tremblaient, j’articulais avec peine. Mais je notai, tout de même, qu’un grand silence était descendu dans la classe et que deux filles – je me rappelle encore le nom de l’une d’entre elles – avaient commencé à pleurer.
Ma composition fit, par la suite, le tour de la classe. Mes camarades l’amenaient à la maison pour la montrer à leurs parents, qui appelaient les miens les félicitant chaleureusement.
Quelques mots seulement de ce texte sont restés dans ma mémoire. (Ma mère a dû le conserver, et il se trouve probablement dans les papiers que j’ai récupérés après sa mort. Mais je pense qu’il vaut mieux ne pas le relire.) Je me souviens, en revanche, du plaisir que j’ai eu à l’écrire. Et je constate qu’après toutes ces années, ce plaisir est toujours là, chaque fois que j’enchaîne des mots. J’aime penser à l’écriture comme au travail solitaire d’un artisan dans son vieil atelier.
L’expérience qu’a été la lecture de cette composition m’obligea à avouer que j’écrivais déjà depuis quelque temps. La vieille machine à écrire Erika – sur laquelle mon père avait tapé, en 1944, le texte d’un accord politique majeur entre le roi Michel et les partis qui souhaitaient la fin de la guerre – me servit à copier le contenu du cahier gris.
Très peu de temps après, mon lycée commença à éditer une petite revue littéraire à usage interne. On me demanda d’y publier quelques poésies. Ce fut mon début – en réalité, le premier d’une assez logue série de débuts, qui semble ne pas s’être encore arrêtée. Cela rajeunit, certes, mais c’est plutôt déconcertant. Je me dis parfois que la mort sera mon dernier début, et le seul vrai.