Jean-Claude Delhez
-8/5/2025- Il y a quelques jours, Kaja Kallas, la charmante commissaire européenne aux Affaires étrangères, a menacé de représailles tout Européen qui assisterait, à Moscou, au 80e anniversaire de la fin de la 2e Guerre mondiale. Dans le même temps, Mme Kallas s'est félicitée des bonnes relations entre l'Europe et l'Azerbaïdjan. Pour rappel, l'Azerbaïdjan est la dictature qui a procédé à du nettoyage ethnique en Arménie. Et Mme Kallas s'est réjouie des fructueuses relations avec cette dictature au moment même de l'anniversaire du génocide arménien, perpétré en son temps par un allié du 2e Reich.
Le personnage de Kaja Kallas est symptomatique de la dérive politique européenne. La dame est estonienne, un pays d'un peu plus d'un million d'habitants ; et elle dirige la politique étrangère d'une union européenne d'un demi-milliard de citoyens. Il faut s'intéresser à ces trois Etats baltes. Estonie, Lettonie et Lituanie, anciennes républiques soviétiques, ne sont peuplés, ensemble, que de 6 millions d'habitants. Une poussière au regard du reste de l'Europe. Et pourtant...
Voyons la Lettonie, d'abord. Le mois dernier, le procureur général de ce pays a classé sans suite le procès contre Herberts Cukurs. Qui est cet homme au nom improbable ? Ce citoyen letton avait rejoint les rangs de la SS allemande pendant l'Occupation, au grade de capitaine. Il joua un rôle important dans le génocide de la communauté juive du pays, avant de s'enfuir en Amérique du Sud, après la guerre. La décision du procureur en sa faveur fait écho à la réhabilitation des collaborateurs du nazisme en Lettonie. Cukurs, par exemple, a eu droit ces dernières années à l'émission d'un timbre-poste à son effigie et à une exposition à sa gloire.
Pour ceux qui s'intéressent au conflit ukrainien, de telles méthodes ne sont pas sans rappeler celles en vigueur à Kiev. Depuis le coup d'Etat de Maïdan, en 2014, le pouvoir a aussi réhabilité les collabos du 3e Reich, génocidaires des Juifs ukrainiens. Qu'il suffise de rappeler toutes les rues qui ont reçu, ces dernières années, le nom de Stepan Bandera, le plus connu de ces collaborateurs. Parmi elles, une avenue du centre de Kiev, proche du site de Babi Yar, le sinistre ravin dans lequel les SS ont fusillé plus de 100.000 Juifs. On peut aussi rappeler l'existence du régiment Azov, au sein de l'armée ukrainienne. Un régiment coupable de crimes de guerre dans le Donbass. Il s'est choisi pour emblème officiel un sigle que les Allemands ont baptisé le Wolfsangel. Cet insigne n'est autre que celui de la division SS « Das Reich », coupable du massacre d'Oradour-sur-Glane. Voilà qui n'a nullement empêché Paris de recevoir certains de ces soldats sur son sol pour une discrète formation au sein de l'armée française.
Cette réhabilitation du passé nazi de ces pays va de pair avec une discrimination des minorités locales. Pour les Juifs, c'est trop tard, il n'y en a quasiment plus, tous ou presque ayant été massacrés entre 1941 et 1944. Mais il y en a d'autres. Depuis 2014, en Ukraine, le pouvoir nationaliste s'en est pris bien sûr aux Russes, mais aussi aux droits des minorités roumaine et hongroise de l'ouest du pays. Dans les pays Baltes, ce sont les Russes qui sont ciblés. La Lettonie vient d'interdire l'usage de la langue russe dans l'enseignement. Elle avait déjà rendu obligatoire un examen de langue lettone pour les russophones, avec expulsion du pays pour qui échouerait à cet examen. En Estonie cette fois, il y a un mois tout juste, le président a validé le retrait du droit de vote, pour les élections locales, à la forte minorité russe du pays. L'Estonie, c'est le pays dont Kaja Kallas était la première ministre jusqu'il y a quelques mois de cela. C'est le parti politique dont elle vient de quitter la présidence qui dirige encore la coalition au pouvoir, celle qui a retiré le droit de vote aux Russes.
Kaja Kallas a quitté ses fonctions en Estonie pour rejoindre la commission européenne présidée par l'Allemande Ursula von der Leyen. Il y a là une sorte d'union féminine de la Baltique. Il est intéressant de se pencher sur la biographie de quelques-unes de ces politiciennes. Mme von der Leyen a connu une jeunesse chahutée. Elle dut se cacher à Londres, en 1978, sous un faux nom. Pourquoi ? A cause de son père, politicien catholique allemand. Ce père était alors aux prises avec ce qu'on a appelé la Bande à Baader, mouvement terroriste d'extrême-gauche. Le vrai nom du mouvement est la Fraction Armée Rouge, arborant une étoile écarlate comme sigle. Cette affaire est un épisode de la Guerre froide, de la lutte entre le communisme international, promu par Moscou, et la bourgeoisie catholique de l'Europe atlantiste. C'est le creuset d'où est sorti l'actuelle présidente de l'Union européenne. Mme von der Leyen, née Albrecht, est une représentante de cette vieille bourgeoisie pour qui le Russe, c'est la menace communiste, et pour qui tout régime vaut mieux que cette menace. Autre femme de la Baltique, l'Allemande Annalena Baerbock, ministre sortante des Affaires étrangères. Une belliciste acharnée (bien qu'écologiste : cherchez l'erreur) et une russophobe convaincue. Le journal Bild avait révélé l'an dernier que son grand-père, contrairement à ce que Mme Baerbock laissait entendre, fut non seulement colonel de la Wehrmacht, mais aussi un nazi pur jus. Vous me direz qu'on n'est pas responsable de son grand-père ; mais on est responsable de la politique guerrière qu'on mène à l'encontre d'un pays où la génération de ses grands-parents, sous les ordres d'Hitler, a envoyé 20 millions de personnes à la fosse commune. Quant à Kaja Kallas, avant d'être en charge des Affaires étrangères de l'Europe, c'est elle qui avait proposé publiquement cette mesure très « diplomatique » : faire disparaître la Russie pour la remplacer par une multitude de petits Etats.
Sans remonter aux chevaliers teutoniques et au berceau de la Prusse, il faut admettre que les relations entre l'Allemagne et les pays Baltes sont étroites. Et, parmi elles, une racine du nazisme, le Baltikum. Le Baltikum, ce sont des corps francs de militaires allemands refusant la défaite de 1918. Ils sont allés, dans les pays Baltes, combattre l'ennemi bolchévique, le Russe, le rouge. Puis ils ont dû refluer en Allemagne. Et ils ont alors rejoint le mouvement naissant d'Adolf Hitler.
L'acharnement de Kaja Kallas et de la commission von der Leyen contre la commémoration de ce 9 mai à Moscou s'inscrit dans cette dérive. Je ne sache pas que Moscou avait menacé qui que ce soit d'une participation aux 80 ans du débarquement de Normandie, l'an dernier. Pour qui ignore l'histoire de cette guerre, dont on célèbre partout en ce moment la fin, voici quelques précisions. A commencer par celle-ci : l'URSS de l'époque, c'est non seulement la Russie, mais aussi l'Ukraine, les pays Baltes, la Biélorussie, le Caucase et l'Asie centrale. C'est, après les Juifs, la bête noire des nazis. Ils considéraient les slaves comme une race inférieure et le communisme comme le diable. D'où l'invasion de l'URSS en 1941, prélude à la lutte la plus violente et la plus sanglante depuis l'origine de l'humanité. C'est en Union soviétique que l'Allemagne nazie a perdu la 2e Guerre mondiale. C'est là que les troupes hitlériennes ont connu l'écrasante majorité de leurs pertes (4,3 millions de morts, contre 600.000 sur le front Ouest). C'est aussi là qu'elles ont massacré à tour de bras les civils, les Juifs, les prisonniers. C'est ensuite l'armée rouge qui a chassé les nazis de la moitié de l'Europe (y compris des camps de la mort, dont celui d'Auschwitz) et conquis Berlin en ruines et le bunker du Führer, dont il ne restait que les cendres. Une guerre qui lui a coûté 14 millions de morts, rien que pour les militaires. A comparer, par exemple, aux 320.000 Américains (40 fois moins !). Que le régime soviétique n'inspire pas la sympathie, surtout celui en place à cette époque, ne change rien à ce constat.
Les dames de la Baltique, les Kallas, von der Leyen, Baerbock, ont une lecture de l'Histoire qui leur est personnelle. Le problème, c'est qu'elles entraînent derrière elles un continent entier. Sous prétexte de faire la grande Europe. Une grande Europe qui, pour elles et leurs suiveurs, semble aller de Stalingrad au mur de l'Atlantique...