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21 avril 2024

Radu Portocala

Confessions sur l’écrit (II)

« Phœnix » – tel était le nom de la revue qu’éditait mon lycée – me prit comme collaborateur permanent, ce qui explique un appel que je reçus après la parution du deuxième ou troisième numéro. Le père d’un de mes amis, homme influent politiquement et avec beaucoup de relations dans le monde culturel, me félicitait et voulait savoir si j’avais pensé à la publication d’une plaquette. J’ai toujours aimé ce mot qui ne s’emploie plus de nos jours ; un livre de poésie ne peut, à mon goût, être que fin.
C’était, lui ai-je répondu, une chose à laquelle, bien entendu, je rêvais depuis un moment. Il me promit, donc, d’organiser une rencontre avec le poète Ion Banuta (Bănuţă en roumain) qui dirigeait la seule maison d’édition de Bucarest qui, à l’époque, publiait de la littérature. Quelques jours plus tard, il me communiquait la date qui avait été fixée. Dans un état d’exaltation absolue, je fis de nouveau marcher la machine à écrire Erika et préparai le dossier que j’allais présenter.
Cependant, la veille du jour tant espéré, Banuta fut licencié. Il venait de faire paraître une anthologie de poésie surréaliste roumaine dans laquelle, subrepticement, sans en avoir reçu l’autorisation, il avait inséré plusieurs vieilles productions de deux écrivains honnis par le régime pour leurs options politiques d’avant-guerre. Ainsi, mon aventure éditoriale prenait fin avant même d’avoir commencé.
Quelques mois plus tard, grâce à des amis qui tenaient une sorte de salon littéraire, je fis la connaissance de Dinu Pillat, écrivain distingué qui sortait de prison, où il avait passé plusieurs années, condamné en 1958 dans le cadre du « procès Cioran-Noica ». (Cioran n’a pas besoin d’être présenté ici ; ses écrits, interdits en Roumanie, avaient été distribués dans un cercle restreint par l’un de ses vieux amis, le philosophe Dinu Noica, ce qui avait donné lieu à plusieurs dizaines de lourdes condamnations.) Pillat proposa de me présenter à Vladimir Streinu, critique littéraire unanimement respecté, qui venait, lui aussi, de sortir de prison après une longue détention.
La rencontre, par sa solennité, me fit penser à une sorte de messe. Assis dans un lourd fauteuil sculpté, entouré de quelques-uns de ses fidèles qui se tenaient debout, Streinu, bel homme de haute taille et d’une rare distinction, lut me poésies en silence. Soudain, il revint en arrière, relut et, s’adressant à l’assistance, dit : « Écoutez ! » Et il se mit à lire à voix haute, lentement, reprenant certains mots. Plus tard, Dinu Pillat allait me dire : « Je ne l’ai jamais vu faire ça. »
« Il faut vous faire publier ! » décida finalement Vladimir Streinu. Et prenant un papier, que j’ai encore, jauni et fatigué, il écrivit : « Je recommande ce manuscrit, de manière particulièrement chaleureuse, au camarade confrère (sic !) Virgil Teodorescu. » Ancien poète surréaliste, devenu adepte obéissant du proletcultisme, Virgil Teodorescu dirigeait la maison d’édition d’où avait été évincé Ion Banuta. Mais ce que nous ignorions tous au moment où le mot d’introduction était rédigé, c’est que, quelques jours plus tôt, il avait été muté à la tête d’une maison d’édition qui ne publiait que des traductions de littérature étrangère. J’allais le découvrir dès le lendemain.
Je devais continuer à me contenter de l’accueil que me faisait « Phœnix », puisque j’étais encore élève.