Gabriel Nerciat
-24/10/2025- En France et plus largement en Europe occidentale, le néo-libéralisme hérité de Hayek et le socialisme technocratique refaçonné par l'ère mitterrandienne et le triomphe des deuxièmes gauches post-marxistes ont dominé le champ politique et idéologique des élites modernes pendant au moins quarante ans (mettons de 1976, année de l'entrée du commissaire ordo-libéral Raymond Barre à Matignon, à 2016, année du Brexit et de la candidature d'Emmanuel Macron à la présidence de la République).
Il se trouve, et ce n'est pas un hasard, que ces quarante ans ont correspondu avec l'avènement du processus économique qu'on a appelé aux Etats-Unis globalisation (libre-échange dogmatique + dollarisation du système monétaire + multilatéralisme triomphant + immigration de masse + multiculturalisme dominant + guerres impérialistes anglo-saxonnes).
Or, à l'heure où Donald Trump restaure le protectionnisme économique et où la Russie de Vladimir Poutine réduit en miettes ce qui reste du multilatéralisme et des capacités d'agression de l'OTAN, l'agonie de la mondialisation, qui a surtout servi à enrichir la Chine, révèle les impasses de ces deux systèmes de pensée pourtant encore considérés comme les seuls rationnels par la plupart des élites du pays et du continent.
Le néo-libéralisme n'est plus viable à partir du moment où les interdépendances économiques que la liberté du marché selon cette doctrine intensifie au niveau mondial au gré des spécialisations industrielles se heurte au retour des conflictualités stratégiques et identitaires entre grandes puissances (et moins grandes, d'ailleurs, aussi), ainsi qu'à des inégalités intérieures croissantes dont les classes moyennes paupérisées et les régions rurales subissent prioritairement le coût.
S'il est vrai que le marché peut générer des profits considérables et entretenir un certain niveau de croissance, il est faux de prétendre, comme le faisaient au siècle dernier les auteurs de la Société du Mont-Pèlerin, qu'il peut suffire à pérenniser des sociétés complexes au détriment de l'action de l'Etat et des prégnances locales traditionnelles.
Le socialisme technocratique, lui, est également frappé d'obsolescence dès lors que l'excroissance indéfinie du périmètre des interventions sociales de l'Etat entre en contradiction avec le maintien des services publics (défense, justice, police, école, santé, transports, recherche, culture patrimoniale, etc.) et même avec la survie de l'autorité républicaine elle-même.
Les réponses automatiques du style "Il suffit de réduire le nombre de fonctionnaires et stimuler l'innovation" (niveau Bouzou ou Verdier-Molinié) ou bien "Il suffit de taxer les riches et augmenter les impôts des classes moyennes supérieures" (niveau Piketty ou Zucman) ne peuvent plus convaincre aujourd'hui que des imbéciles fossilisés ou des militants décérébrés.
C'est d'abord avec ces deux boulets encombrants qu'il faut une fois pour toutes en finir.
Si les nationaux-populismes et dans une moindre mesure les gauches radicales anarchisantes prospèrent un peu partout, c'est que ce sont les deux seules galaxies idéologiques qui, du fait de leur marginalité initiale, ont su s'affranchir avant les autres de la tutelle de ces deux spectres notoirement impuissants.
Les élites, comme toujours, arrivent après la bataille. Mais ce qu'elles n'ont pas compris, c'est que les premiers vaincus de la bataille qu'elles désertent, ce sont elles.
