-13/9/2025- Les discussions autour du meurtre du jeune activiste et podcasteur américain révèlent, entre autres, une chose intéressante : à quel point notre langage politique est devenu périmé et insatisfaisant.
Le débat, ainsi que la perplexité qu’a de nouveau suscité le port d’armes aux États-Unis, masque la question essentielle : la nature même du régime que nous appelons "République". Il ne nous vient pratiquement jamais à l’esprit que scander « Vive la République » tout en exigeant un État centralisé fort – monopolisant la violence, paternaliste et thérapeutique – constitue une contradiction fondamentale.
La République, dans sa conception classique, c’est l’union des hommes libres, propriétaires fonciers et nécessairement armés, capables de défendre leur mode de vie volontairement frugal, leur patrie et leur liberté. Dans l’Antiquité, le véritable citoyen était un citoyen en armes, et l’ordre public relevait de la responsabilité de la communauté civique elle-même. Il en allait de même dans la jeune république américaine : le port d’armes n’était interdit qu’aux esclaves. Il va de soi qu’un tel citoyen – propriétaire, armé et économiquement indépendant – ne pouvait en principe être soumis par aucune violence interne. L’accomplissement des devoirs publics, y compris le service militaire, faisait partie intégrante de l’existence des citoyens du polis et de la république.
L’idée de l’État moderne, qui monopolise la violence, est relativement récente : elle apparaît au XVIIᵉ siècle. Le « désarmement » des citoyens s’opère d’ailleurs progressivement et atteint son apogée au XXᵉ siècle, lorsque l’État prend des proportions inédites. Pourtant, aujourd’hui, l’existence d’un tel État nous semble aller de soi au point où l’existence même de ceux qui contestent cette organisation de la vie en communauté nous choque profondément. Détenir des armes, refuser de déléguer entièrement à l’État la défense de sa vie, l’éducation de ses enfants ou le soin de sa santé, paraît désormais complètement inconcevable, voire odieux.
Et pourtant, c’est l’ADN même de la République et du républicanisme que ces citoyens défendent, acceptant de mourir pour leurs idéaux. Car, quoi qu’on pense de ce jeune homme, il est mort pour ses convictions et a manifestement vécu en les pratiquant : il s’est comporté comme un citoyen actif, profondément impliqué dans la vie politique, n’ayant pas peur de défendre ses idées dans un débat en face-à-face sur l’agora, et de se confronter à des adversaires violents.
Pour les républicains, au sens classique, la République est une affaire de tous les jours, un ordre fragile à préserver, à maintenir et à protéger contre la corruption interne, et cela commence toujours par soi-même. C’est une aventure des individus libres, autonomes et responsables. En somme, des gens adultes.
Mais le monde moderne n’aime pas les adultes, pas plus que la République n’aimait l’infantilisme et l’immaturité...
Régis Debray le rappelait d’ailleurs, avec le sens de formule qui est le sien, dans un texte qui a fait date :
« La république, dans l’enfant, cherche l’homme et ne s’adresse en lui qu’à ce qui doit grandir, au risque de le brimer. La démocratie flatte l’enfant dans l’homme, craignant de l’ennuyer si elle le traite en adulte. Nul enfant n’est comme tel adorable, dit le républicain, qui veut que l’élève s’élève. Tous les hommes sont aimables parce que ce sont au fond de grands enfants, dit le démocrate. Cela peut se dire plus crûment : la république n’aime pas les enfants. La démocratie ne respecte pas les adultes ».