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19 octobre 2025

Philippe Pernot / Reporterre
10/10/2025

Guerre à Gaza : la stratégie israélienne de la terre brûlée


Israël et le Hamas sont parvenus, le 9 octobre, à un accord de cessez-le-feu à Gaza. Reporterre revient sur la stratégie israélienne de la terre brûlée, qui a détruit plus de 3 000 km² au Proche-Orient depuis 1948.

 Beyrouth (Liban), correspondance 

Les armes vont-elles enfin se taire ? Le 9 octobre, Israël et le Hamas ont conclu un accord, qui prévoit notamment la libération des otages israéliens et des prisonniers palestiniens, ainsi que l’entrée d’aide humanitaire à Gaza — même s’il est trop tôt pour parler de paix. Ces deux années de conflit meurtrier ont semé la dévastation — 68 000 personnes ont été tuées par l’armée israélienne, selon le ministère de la Santé de Gaza. Mais l’armée israélienne a aussi détruit les moyens de subsistance et l’environnement des populations palestiniennes, suivant une stratégie connue depuis des millénaires : celle de la terre brûlée.

De la Grèce antique à Napoléon, au Vietnam comme pendant la colonisation des Amériques, l’environnement et l’agriculture ont souvent fait les frais de ce qui y est maintenant condamné comme un crime de guerre dans le droit international. Le principe est simple : détruire tout ce qui pourrait permettre à une force ennemie de survivre — l’anéantissement par la faim, la misère et la dévastation.

Une stratégie qu’Israël a appliquée méthodiquement depuis sa création en 1948, affectant les écosystèmes de toute la région du Bilad al-Sham (le Levant et Proche-Orient sont des termes coloniaux). Au total, selon les décomptes de Reporterre, en se basant sur des sources historiques et modernes, plus de 3 000 km² de terres arables auraient été incendiées, détruites, bulldozées : soit la moitié de la Palestine actuelle.

Surfaces brûlées et/ou détruites en fonction des années. © Philippe Pernot / Reporterre

Les destructions écocidaires infligées à Gaza en sont l’exemple récent le plus marquant. « À Gaza, Israël applique la stratégie de la terre brûlée pour y rendre la vie impossible : tout y est démoli, pour en faire une ville fantôme, sans aucun moyen de subsistance. Le but est de nous anéantir, même quand les bombardements cesseront », déclare le docteur Ahmed Hilles, directeur de l’Institut national pour l’environnement et le développement à Gaza et maître de conférences à l’université Al-Azhar, au département des sciences de l’eau et de l’environnement. Réfugié en Égypte depuis avril 2024, il dirige à distance de nombreux projets humanitaires liés à l’eau, l’environnement et la pollution.

Dans l’enclave palestinienne, les chiffres sont sans appel : 80 % des terres arables détruites, 97 % des vergers réduits en cendres, un demi-million de personnes au stade le plus avancé de famine — en plus du nombre vertigineux de morts (au moins 68 000 personnes), de blessés (plus de 167 000 personnes), de déplacés (plus de 1,9 million).

« Il s’agit d’un véritable “écogénocide” : il n’y a pas que les bombes, mais aussi la pollution, les maladies, tous ces facteurs environnementaux qui tuent des Gazaouis, dit-il. En deux ans, les Israéliens ont détruit ce que nous avons construit pendant des centaines d’années, voire des millénaires. »

Colonisation de la nature

Un siècle avant la création de l’État d’Israël, l’Empire britannique avait imaginé un plan axé sur l’agriculture et la terre pour coloniser la Palestine, indique Mazin Qumsiyeh, directeur du Musée d’histoire naturelle à Bethléem et de l’Institut palestinien de la biodiversité et de la durabilité.

Cette obsession a alimenté le nettoyage ethnique de la Palestine lors de la Nakba de 1948 : entre 400 et 600 villes et villages palestiniens furent dépeuplés, 700 000 Palestiniens contraints à l’exil, leurs maisons et vergers détruits.

« Comme dans tout processus colonial, il fallait déraciner les habitants et les écosystèmes : alors, les Israéliens ont remplacé les figuiers et oliviers par des pins européens », explique Mazin Qumsiyeh, qui lutte pour préserver la faune et la flore locale : plusieurs espèces mythiques comme les léopards, les guépards et les hiboux-pêcheurs ont disparu après la Nakba.

Des vignes soufflées par un bombardement israélien dans la vallée de la Bekaa, au Liban, le 11 octobre 2024. © Philippe Pernot / Reporterre

Son musée bénévole, à Bethléem, est cerné de 250 checkpoints, d’innombrables colonies israéliennes qui s’étendent illégalement en Cisjordanie occupée, quitte à la réduire à un archipel de localités palestiniennes isolées les unes des autres.

« Même si la situation actuelle en Cisjordanie est très différente de Gaza, je suis convaincu que le même destin nous attend : l’anéantissement et l’enfermement dans des ghettos, des réserves, car c’est la logique de tout projet colonial, des Amériques à l’Australie », dit Mazin Qumsiyeh.

Au total, 78 % des terres palestiniennes ont été conquises en 1948, et du reste, les deux tiers de la Cisjordanie restante sont sous contrôle israélien. Démolitions administratives [2] menées par l’armée et attaques de colons ont détruit 9 600 hectares de terres agricoles et 10 000 oliviers depuis le 7 octobre 2023, en plus des terrains annexés ou abandonnés en Cisjordanie.

Deux bergers palestiniens contrôlés par des colons et des forces d’occupation israéliennes à Masafer Yatta, en Cisjordanie occupée, le 10 mars 2024. © Philippe Pernot / Reporterre

Ceinture de feu

La même stratégie se déploie partout au cours de l’histoire récente du Bilad al-Sham. « Au Liban-Sud, la terre a été convoitée depuis les origines du mouvement sioniste juif, déjà à l’époque ottomane », explique Zaynab Nemr, chercheuse environnementale travaillant entre l’Université américaine de Beyrouth et l’ONG Dalla, dirigée par des femmes au Liban-Sud. C’est ainsi que dès 1923, sept villages agricoles libanais ont été transférés au futur État hébreu, puis dépeuplés et démolis en 1948, leurs raisins, vergers, oliviers détruits.

Puis, lors de la guerre civile libanaise, Israël a envahi le Liban à plusieurs reprises et occupé le sud du pays de 1982 à 2000 – dans le but de lutter contre la résistance palestinienne de l’OLP, mais aussi d’accaparer des ressources longtemps convoitées. « L’occupation a laissé une marque profonde et durable sur l’environnement et la vie agricole de la région : l’État d’Israël s’est systématiquement approprié, a pollué et contrôlé les ressources naturelles — notamment l’eau et les terres agricoles fertiles », explique-t-elle.

Le centre-ville de Nabatieh (Sud-Liban), détruit après des bombardements israéliens, le 7 novembre 2024. © Philippe Pernot / Reporterre

Le tout selon un schéma déjà bien rodé. « Dans le Liban-Sud occupé, les Israéliens ont érigé un système similaire à celui en Cisjordanie : ils ont contrôlé les déplacements des agriculteurs, mais sont aussi devenus les maîtres du temps, en décidant de la durée des récoltes », soutient Zaynab Nemr. Entre 1982 et 2000, des dizaines de milliers d’hectares de terre arable et d’arbres fruitiers avaient été détruits.
Écocide

Les destructions environnementales ne se sont pas arrêtées là. Lors de la guerre de 2006, le bombardement de la centrale électrique de Jiyeh a mené à la plus grande marée noire de l’histoire de la région.

Après le 7 octobre 2023, alors que l’armée israélienne et le Hezbollah se sont affrontés dans une escalade qui a mené à une invasion terrestre israélienne, le 23 septembre 2024, la nature a de nouveau été prise pour cible. Bombardements, dynamitages, bulldozage, incendies, phosphore blanc : c’est par le feu que l’État hébreu a créé une « zone tampon » ravagée à sa frontière, détruisant 37 villages et réduisant 10 000 hectares de terres agricoles, forêts et vergers en cendres. 40 000 oliviers auraient brûlé dans cette région agricole qui fait la fierté de ses habitants.

Des obus israéliens ramassés dans des champs à Kfar Kila, au Sud-Liban, le 25 mars 2025. © Philippe Pernot / Reporterre

« En commettant cet écocide, Israël a voulu rompre le lien entre le peuple et la terre. Il s’agit de cibler intentionnellement la nature comme arme : brûler les arbres, empoisonner le sol et vider les villages », témoigne Zaynab Nemr, qui a cartographié les terres brûlées et mène des projets de réhabilitation par l’agroécologie.

Si l’écocide est régional, la résistance l’est aussi. Et nombre d’activistes et d’agriculteurs luttent pour préserver ce qui reste, de la Palestine au Liban, en Jordanie et en Syrie. Car c’est là-bas, dans ce pays tout juste délivré du joug du dictateur Bachar al-Assad, que les forces israéliennes ont envahi une bande frontalière de 400 km², y démolissant des champs, des puits, et en créant une nouvelle zone d’occupation censée être temporaire. L’avenir nous le dira.

https://reporterre.net/Comment-Israel-manie-la-strategie-de-la-terre-brulee

29 septembre 2025

Kuzmanovic Georges
29/9/2025

Commentaire entendu sur France Info : le « but de Trump est de trouver une solution de paix pour Gaza »... toute honte bue.
Allô Radio France ? Trump (comme Biden avant lui, bref : les États-Unis) :
- Bloquent depuis des décennies toute reconnaissance de l’État de Palestine.
- Soutiennent militairement et financièrement Israël.
- Sans les USA, pas d’opérations militaires à Gaza ou en Cisjordanie.
- Sans les USA, Israël aurait été contraint de négocier depuis longtemps (ce qui aurait d’ailleurs été favorable à Israël aussi).
- Le blocus humanitaire de Gaza relève également de leur responsabilité.
- Les juges de la CPI sont traqués par les USA.
- Sans leur accord, pas de bombardements du Qatar.
- Les USA ont sauvé Israël de sa guerre absurde contre l’Iran.
- Etc.
En réalité, Netanyahou et Trump visent le dégagement total des Palestiniens de Gaza. C'est ça la réunion.

23 août 2025

Quitter et venger Gaza

Nour Elassy / Mediapart
21/7/2025

La journaliste et poétesse palestinienne Nour Elassy vient d’être évacuée de Gaza. Dans sa nouvelle chronique écrite à Paris, elle raconte la douleur extrême de quitter les siens ainsi que son périple jusqu’à la France. Elle fait une promesse : venger Gaza.

« J’écris ceci depuis Paris, avec sa pluie de juillet qui arrose doucement mes joues. Comme si elle s’excusait pour moi de la douleur que je ressens. Comme si elle pouvait sentir à quel point je suis fragile, après avoir quitté tout mon monde pour poursuivre mon rêve.
Les jours précédant l’évacuation ont été les plus sanglants que nous ayons jamais vus. Le ciel brûlait plus fort. La terre s’est fissurée plus profondément. Le nombre de bombardements, d’ordres d’évacuation et de massacres a dépassé ce que l’on peut compter.
Le consulat français a déclaré qu’il était temps d’évacuer, pas parce que c’était sûr, mais parce qu’Israël avait finalement donné son autorisation, et nous avons déménagé à Deir al-Balah pour attendre le départ.
Je n’ai pas dormi. J’ai regardé ma famille respirer, mémorisant les voix des miens comme si elles allaient disparaître. Parce qu’elles allaient disparaître.
J’ai quitté Gaza sans rien d’autre que les vêtements que je porte, ma carte d’identité et la douleur insupportable de savoir que ma mère et ma petite sœur, tout mon monde, resteraient derrière, dans une guerre conçue pour nous effacer.
Les discussions sur un cessez-le-feu imminent et les grands espoirs de mettre fin à cette guerre m’ont rendue un peu plus calme, mais aujourd’hui, ces mensonges sont gelés. C’est un spectacle récurrent, et nous tombons dans le panneau à chaque fois. Non pas parce que nous sommes idiots, mais parce que nous sommes désespérés.
Le consulat de France nous a dit quelques jours avant : « Préparez-vous, si vous voulez toujours partir. » Pour poursuivre mes études, j’ai été admise à étudier les sciences politiques à l’EHESS (l’École des hautes études en sciences sociales) à Paris.
Mais comment préparer ses bagages pour l'exil ? Comment plier ses souvenirs dans un sac à dos que l’on n’a pas le droit de porter ?

Les cils de ma sœur, le regard de ma mère

La nuit précédant mon départ, j’ai essayé de mémoriser les cils de ma sœur. J’ai dormi entre elle et ma mère, toutes enlacées comme si c’était la dernière fois. Une grande partie de moi et d’elles voulait tellement le nier. Elle était silencieuse. Trop silencieuse. Ce genre de silence terrifiant que font les enfants lorsqu’ils en savent plus que ce que vous voulez qu’ils sachent. Elle ne m'a pas dit : « Ne pars pas ». Elle m’a juste regardée et m’a serrée encore plus fort dans ses bras. Et ce regard me suivra plus longtemps que cette guerre.
Quant à ma mère, je n’ai pas la force d’écrire cela : je ne peux pas oublier son regard et la façon dont elle a pleuré de tout son cœur en me poussant hors de la pièce pour partir.
Je suis partie comme une voleuse, non pas en volant, mais en laissant derrière moi tout ce que j’aimais.
Nous avons attendu à Deir al-Balah, où nous avons été forcés d’évacuer ; on nous a dit que le Sud était plus sûr. Au point de rencontre convenu par le consulat, nous nous sommes regroupés avec d’autres personnes choisies pour cette évacuation humanitaire. Trente d’entre nous, peut-être plus.
Je n’ai même pas été autorisée à emporter le carnet de poésie que j’avais rempli pendant la guerre, celui que ma sœur m’avait offert.
Chacun d’entre nous porte des histoires qu’il n’aura jamais fini d’écrire. Nous sommes montés dans les bus comme des fantômes portant des corps, chacun avec des yeux pleurant, bouffis de n’avoir pas dormi, plus tristes et plus confus les uns que les autres.
Je me suis assise près de la fenêtre et je me suis forcée à regarder, à assister à la mort de ce qui était ma maison. Khan Younès. Rafah. Ou ce qui était Khan Younès, Rafah. Tout avait disparu. Aplati dans une architecture de silence. Des os en béton. Du linge brûlé. Même les oiseaux volaient plus bas, comme s’ils étaient en deuil.

Les camions bloqués là

Je n’ai pas de mots pour décrire l’ampleur de la destruction – et la méconnaissance que j’en avais – sur la route menant à la frontière de Kerem Shalom-Abu Salem. Je n’en croyais pas mes yeux, on aurait dit un film sur la fin du monde, mais ce n’était pas le cas.
Puis nous sommes passés devant les camions, les camions d’aide humanitaire. Alignés comme des accessoires sur une scène de crime. Il y en avait des dizaines. Remplis de nourriture. De farine. D’eau. Parqués à quelques mètres du cadavre de Gaza, ils n’ont jamais été autorisés à y pénétrer. Le pain pourrit pendant que les enfants dans les tentes font bouillir de l’herbe pour le dîner.
Comment appelez-vous cela, si ce n’est un crime de guerre ? Ce n’est pas un siège. C’est la famine en tant que politique étrangère. C’est le meurtre par la paperasserie, signée à Washington, appliquée à Tel-Aviv et dont l’Europe est témoin.
Nous avons atteint le poste de contrôle. Après avoir vérifié nos identités, les soldats israéliens nous ont attendus, fusil à la main, comme si nous étions la menace et non les victimes. Ils nous ont dit : « N’apportez rien. » Pas d’ordinateurs portables. Pas de livres. Pas même des écouteurs.
Je n’ai même pas été autorisée à emporter le carnet de poésie que j’avais rempli pendant la guerre, celui que ma sœur m’avait offert pour mon anniversaire. Les mots, apparemment, sont trop dangereux pour l’occupant.
Ils nous ont fouillés comme si nous portions des bombes ; pas de chagrin. Ils ont touché notre dos, vérifié nos chaussettes, scruté nos yeux. Un soldat, si c’est ainsi que l’on peut décrire un criminel, a regardé un étudiant qui voyageait avec nous et a commencé à l’interroger sur l’endroit où il vit et sur ses connaissances.
L’équipe du consulat a vérifié nos noms à nouveau et a été si gentille et chaleureuse. Elle nous a donné de la nourriture et nous a informés que leur équipe de l’ambassade de France nous attendrait à notre arrivée en Jordanie.

Une femme évacuée

Dans le bus pour la Jordanie, personne ne parlait. Mais le chagrin a son propre langage. Notre silence était un hymne. Un chant funèbre pour les familles que nous avons quittées. Pour les enfants que nous ne reverrons peut-être jamais. Pour la vérité qu’il nous était interdit de porter.
Deux sièges derrière moi, une fille a chuchoté. Elle ne m’a pas demandé mon nom. Je n’ai jamais demandé le sien, mais elle a dit : « Mon père est resté. Il a dit qu’il préférait mourir dans sa maison que dans une tente. Mon petit frère a 5 ans, je lui ai dit que je ramènerais du chocolat de France, il a souri. Il ne sait pas que c’est peut-être un adieu pour toujours. »
Elle a tiré ses manches sur ses mains, a regardé le sol et a murmuré : « J’ai l’impression d’avoir laissé mon âme sous les décombres. Et maintenant, j’ai peur que quelqu’un marche dessus. » Mais une phrase me hante encore aujourd’hui. Lorsqu’elle m’a dit : « Je suis convaincue que je retournerai chez ma mère et que je lui expliquerai mon voyage, et qu’elle me dira : “Bonjour, ma fille, tu es en retard !” »
Pas de pleurs. Pas de sanglots. Juste le silence, et un silence si lourd qu’il pressait nos poumons. Comme moi, cette fille est quelque part en France maintenant. Mangeant du pain. Elle étudie le français, le droit ou une autre science. Mais une partie d’elle, une partie de nous tous, est toujours à Gaza, criant derrière un mur effondré que personne n’arrive à percer.

La découverte de la Palestine

Nous sommes passés dans les territoires palestiniens occupés. Quatre heures à travers une terre que je n’avais jamais vue. Parce que nous sommes de Gaza. Nous n’avons jamais vu notre propre terre. Le reste de la Palestine nous a toujours été interdit.
Et pourtant, c’était là : des montagnes. Des vignes. Des collines couvertes d’oliviers. La mer Morte et, enfin, les stations balnéaires. Les hôtels cinq-étoiles, les Européens qui bronzent en bikini alors qu’à trente kilomètres de là, des enfants sont enterrés à plusieurs sous une tente.
C’est le théâtre cruel de l’occupation : génocide en Méditerranée, cocktails dans la mer Morte.
Nous avons été installés dans un hôtel à Amman, à l’InterContinental Jordan, un hôtel magnifique, dont tous les frais étaient couverts par la France. Il y avait tout ce dont on pouvait avoir besoin, mais jamais ce que l’on voulait.
Chaque nuit, je fixe le plafond et me demande : les ai-je trahis ? Ai-je abandonné ma mère, ma sœur, mon peuple ?
Nous y avons passé deux nuits, du mercredi 9 au vendredi 11 juillet à l’aube. Ce furent deux jours entiers de silence et de solitude dans une chambre d’hôtel très luxueuse. Nous avons été conduits de l’hôtel à l’aéroport, avec beaucoup d’attente et de vérifications, pour finalement être mis dans un vol pour Paris.
Le voyage était tellement bouleversant. C’était la première fois que je prenais l’avion. J’ai été très malade tout en m’émerveillant de l’immensité du monde. Et de la manière dont un minuscule morceau de terre a permis au monde entier de se réveiller et de comprendre à quel point il se trompait.
Nous avons atterri à l’aéroport Charles-de-Gaulle. Nous avons été contrôlés une nouvelle fois et nous avons obtenu un visa d’étudiant. Mes grands amis m’attendaient avec les plus belles fleurs et une accolade très chaleureuse.
Me voilà à Paris désormais. En sécurité. Je dors dans un lit chaud très confortable. Et chaque nuit, je fixe le plafond et me demande : les ai-je trahis ? Ai-je abandonné ma mère, ma sœur, mon peuple ?
La culpabilité me brûle l’estomac et m’empêche de garder quoi que ce soit à l’intérieur, que ce soit de la nourriture ou des larmes. Partir était-il un acte de courage ou de désertion ? Mais je sais ceci : je n’ai pas quitté Gaza pour l’oublier. Je l’ai quittée pour la venger avec la langue, avec la politique, avec une mémoire plus vive que les balles.
Je suis partie pour apprendre la langue des tribunaux qui ne nous ont jamais sauvés. Pour utiliser leurs propres outils afin de graver notre nom dans l’histoire.
Vous, dans vos ambassades, vos salles de rédaction et vos studios de télévision, vous entendrez parler de moi. Je ne serai pas votre histoire à succès, je serai votre miroir. Et vous n’aimerez pas ce que vous y verrez.
J’ai quitté Gaza sans rien. Pas de sac. Pas de livres. Pas de cadeau d’adieu. Seulement de la rage. »

Ce texte a été confié à Rachida El Azzouzi, qui l’a traduit de l’anglais.
Nour Elassy est journaliste, écrivaine et poétesse.
L’écriture, dit-elle, la sauve. Peu après le 7 Octobre, elle a commencé à écrire des poèmes qu’elle a rendus publics, notamment sur le réseau social Instagram.
Âgée de 22 ans, elle a étudié la littérature anglaise et française. Elle est née et a grandi dans la bande de Gaza, dans le quartier d’Al Tofah, dans le nord-est du territoire.
Pendant plus de quinze mois, Nour Elassy a été déplacée avec sa famille à Deir al-Balah, dans la partie centrale de la bande de Gaza. Revenue en février 2025 dans le nord de Gaza, elle a été de nouveau déplacée avec sa famille début avril.
Elle se trouvait dans la ville de Gaza quand elle a appris qu’elle était l’une des trente-sept personnes, aux côtés notamment de notre autre chroniqueur, le journaliste et traducteur Ibrahim Badra, que les autorités françaises évacuaient le 9 juillet de l’enclave palestinienne. Elle est arrivée à Paris le 11 juillet.
Depuis des mois, une mobilisation, portée notamment par l’écrivain palestinien Karim Kattan et le rédacteur en chef de la revue The Funambulist, se déployait en France pour que Nour Elassy soit mise à l’abri des bombes israéliennes et intègre l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), à Paris, pour y suivre un master en science politique.