Pierre-Olivier Sur
Avocat pénaliste, ancien bâtonnier du barreau de Paris
Condamnation de Nicolas Sarkozy
« Jamais une décision de justice n’aura été aussi critiquée que celle rendue le 25 septembre 2025 dans l’affaire Sarkozy. À ce titre, un faux adage est tombé : « On ne commente pas une décision de justice. »
Au contraire, on peut commenter, et même critiquer, sauf l’interdit de l’article 434-25 du code pénal : « Jeter le discrédit sur un acte ou une décision juridictionnelle dans des conditions de nature à porter atteinte à l’autorité de la justice ou à son indépendance. » Autre limite, que l’actualité oblige malheureusement à rappeler : le respect qu’on doit aux magistrats et honte à ceux qui les menacent !
Un raisonnement conduit de façon brillante, impeccable et rigoureuse
Ceux qui auront le courage de lire les 380 pages du jugement Sarkozy conviendront que le raisonnement est conduit de façon brillante, impeccable et rigoureuse jusqu’à une terrible sortie de route au dernier virage, page 362.
Rigoureuse, l’appréciation du document Mediapart, à l’origine de l’affaire : « le plus probable est que ce document soit un faux » (page 329 du jugement). Mais si ce faux est le premier maillon de la chaîne de procédure, alors « par contagion », comme dit la jurisprudence pénale constante, ce sont l’ensemble des actes subséquents du dossier qui devraient s’écrouler. C’est-à-dire les 73 tomes. Mais ce moyen de nullité par contagion ne pouvait être plaidé en première instance – et pour cause : c’est le jugement qui établit la fausseté du document.
Quoi qu’il en soit, à défaut de nullité en la forme, des relaxes au fond suivent et s’enchaînent naturellement pour Nicolas Sarkozy. Relaxe sur le financement illégal de campagne électorale. Relaxe sur la corruption passive. Et relaxe sur le recel de détournement de fonds.
Association de malfaiteur, une qualification très controversée
Mais il y a tout de même une condamnation à la ramasse comme on dit, d’habitude réservée aux seconds couteaux qui ne sont ni auteurs ni complices. Une condamnation pour « association de malfaiteurs ». Convenons que le mot « malfaiteur » choque en tant que qualification juridique, dans le cadre politique et financier voire républicain de cette affaire, sauf à alimenter le populisme dont la justice est normalement aux antipodes.
Au-delà de l’appréciation de cet effet d’annonce pénal, qui brouille la vérité vraie pour le grand public, l’infraction d’association de malfaiteurs choque en elle-même tous les juristes, par l’imprécision de ses éléments constitutifs au point que le grand Badinter l’avait supprimée (loi du 10 juin 1983).
On sent qu’on arrive ici, dans le jugement Sarkozy à la terrible sortie de route ! En effet, après 360 pages d’un jugement dont nous avons dit qu’il avait été conduit de façon impeccable et rigoureuse jusqu’alors, voici le virage serré en épingle à cheveux, qui fait voler en éclat, en une fraction de seconde, l’ensemble de la construction juridique. Soudain, en quelques lignes, il est dit que Nicolas Sarkozy aurait « laissé ses plus proches collaborateurs (commettre les délits poursuivis) » (page 362 du jugement), puisqu’il aurait « avalisé »…
Désinvolture soudaine dans l’écriture
Mais le mot « avalisé » n’est pas un terme juridique. On ne le rencontre pas d’habitude dans une décision de justice, en tout cas pour qualifier intentionnellement un passage à l’acte ou même la préparation d’une infraction. Or, le mot « avalisé » est deux fois répété en page 376 du jugement.
Ici, le commentateur rompu de pénal se dit que les termes employés, la désinvolture soudaine dans l’écriture, en un mot le changement de ton, laissent comprendre une discontinuité dans le raisonnement collégial et peut-être même une rupture.
En effet, une incarcération avant le jugement définitif, ne peut être une « peine » à proprement parler, mais l’expression d’une « mesure de sûreté », pour mettre à l’ombre ceux qui risqueraient de menacer la sécurité publique ou qui seraient tentés de fuir la justice. Telle est la raison pour laquelle la plupart des jugements au pénal sont assortis de cette exécution provisoire.
Mais presque tous évidemment concernent la délinquance de droit commun et non pas les infractions financières et politiques pour lesquelles les mesures de sûreté ne sont pas nécessaires. Ce sera le débat sur la demande de mise en liberté et les critères de l’article 144 du code de procédure pénale. (…) ».