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5 novembre 2025

Natalia Routkevitch


- 5/11/2025 - En lisant ce matin les commentaires extatiques devant ce "souffle d’air frais", ce « formidable coup de jeune », cette "vague de lumière et d’espoir", cette "étincelle de renouveau" - je me suis rappelée une réflexion de David Graeber, qui nous a quittés il y a déjà cinq ans, et qui avait pertinemment analysé la façon américaine d’usurper certains rôles, comme celui du « phare des démocraties » (pour un pays extrêmement inégalitaire dont la Constitution originelle ne mentionne pas la démocratie et dont tout le système est fait pour empêcher la démocratie et perpétuer les inégalités, c’est quand même fortiche), mais aussi celui d’avant-garde de l’humanité. J’ai retrouvé l’extrait en question, le voici :
"Pendant des décennies, l'Amérique s’est engagée dans une bataille pour incarner l’avenir. Cela est vrai depuis la Guerre froide, et probablement même avant, car dès le XIXᵉ siècle, les États-Unis se présentaient déjà comme une société nouvelle, née sur une toile vierge. Bien sûr, cette toile n’était vierge qu’en apparence : elle avait été vidée de ses habitants d'origine, exterminés. Mais l’idée de l’Amérique comme figure du futur était bien ancrée déjà à cette époque.
Tocqueville affirmait que deux visions du futur s’affronteraient au XXᵉ siècle : celle de la liberté, incarnée par l’Amérique, et celle de l’autorité, incarnée par la Russie - deux nations encore en pleine conquête territoriale à l’époque. Après la Seconde Guerre mondiale, cet affrontement devint explicitement idéologique, et c’est pourquoi il était si crucial pour les États-Unis de remporter la course à l’espace : il s’agissait de s’approprier le symbole même du futur. Pour beaucoup de gens, partout dans le monde, l’Amérique a en effet représenté une forme d’avenir, sans que l’on sache exactement lequel : technologique, ouvert, célébrant la jeunesse, son "énergie créatrice" et ce fameux « can-do attitude » qui semblait pouvoir résoudre tous les problèmes.
Mais les choses ont bien changé. Tandis que l’hégémonie culturelle des États-Unis, même affaiblie, demeure puissante, sur le plan politique, en revanche, depuis la fin de la Guerre froide, la politique américaine semble régresser, cherchant à atteindre ce que de nombreux pays ont déjà connu et que les Américains eux-mêmes n’ont pas vécu.
D’un côté, l’aile Sanders du Parti démocrate, ou les sociaux-démocrates, essayent de promouvoir des mesures qui existaient déjà dans la plupart des pays européens - et dans bien d'autres régions - dans les années 1950. De l’autre, la droite trumpiste ressuscite diverses formes de fascisme, nous ramenant à une situation que de nombreux pays, de l’Allemagne à l’Argentine, ont connue dans les années 1930. Il devient donc difficile de voir l’Amérique comme un modèle d’avenir, lorsque ses politiciens les plus radicaux s'écharpent violemment pour savoir quelle partie du passé il faudrait restaurer. »