Jean Mizrahi
-30/10/2025- Emmanuel Macron s’agite à nouveau autour du thème des réseaux sociaux, qu’il accuse de « mettre en danger la démocratie ». Venant de lui, il y a une forte probabilité que rien ne se passe, Macron étant plus doué pour le verbe que pour l'action, mais cela mérite néanmoins quelques commentaires.
Tout d'abord, l’ironie est saisissante, venant d’un président qui a précisément refusé au peuple français tout recours au référendum sur des sujets majeurs. La démocratie, Macron s'en contrefiche. Il est donc difficile de ne pas voir, derrière ce soudain souci de « protéger la démocratie », une volonté plus ancienne : celle de maîtriser la parole publique.
Les réseaux sociaux sont aujourd’hui le seul espace où chacun peut encore s’exprimer librement, dialoguer, débattre et s’informer, mais aussi accéder à une information diversifiée, sans être sous le coup d'une censure de facto par les médias installés.
Ils ne sont pas exempts de manipulation ni d’excès, mais ils offrent une respiration démocratique là où les médias traditionnels se sont souvent refermés sur eux-mêmes. Dans un pays où le jeu politique dépend de plus en plus des grands médias, eux-mêmes dominés soit par l’État, soit par de puissants groupes privés, les réseaux permettent de contourner ces filtres. On y trouve des informations, des témoignages et des points de vue qu’aucune rédaction n’oserait publier. Le pouvoir présente ce désordre apparent comme un péril. Mais ce désordre, c’est la vie démocratique elle-même : la confrontation des idées, la diversité des opinions, parfois rugueuse, toujours nécessaire. Une démocratie qui prétend vouloir l’ordre dans la parole prépare en réalité le silence.
Ce n’est pas de nouvelles restrictions qu’il faut, mais l’application des lois existantes. Les appels à la haine, les propos racistes ou antisémites, les menaces de mort sont déjà interdits : encore faut-il que l’État fasse son travail. Or il ne le fait pas. Aujourd’hui, les injures les plus ignobles se multiplient sur les plateformes, et seules les affaires spectaculaires atteignent les tribunaux. Ce n’est pas un manque de cadre légal, mais un manque de volonté publique.
Le danger serait de confondre régulation et censure : sous couvert de moraliser les réseaux, on pourrait bientôt filtrer les opinions. Or, l’opinion dérangeante n’est pas une faute, c’est une composante de la liberté.
La véritable réponse n’est pas dans la censure, mais dans la transparence.
Je ne publie que sous mon nom, de façon transparente, et je suis personnellement la cible régulière d’insultes antisémites sur le réseau X (anciennement Twitter). Ces attaques viennent presque toujours de comptes anonymes. L’anonymat est devenu le masque de la lâcheté : il permet d’insulter sans assumer, d’agresser sans conséquence, de haïr sans nom.
Il faut y mettre fin.
La fin de l’anonymat n’aboutirait pas à moins de liberté, mais à plus de responsabilité. Elle rappellerait à chacun qu’écrire, c’est signer ; qu’une parole publique engage.
Savoir que son nom est visible n’empêche pas de penser ni d'écrire, mais oblige à penser avant d’écrire.
La peur du tribunal n’est pas le seul frein : il y a aussi la peur du jugement moral, la honte que suscite la bassesse lorsqu’elle n’est plus dissimulée. Beaucoup mesureraient leurs mots s’ils savaient qu’ils peuvent être reconnus par leurs collègues, leurs proches, leurs enfants. Cette forme élémentaire de pudeur civique ferait infiniment plus pour l’assainissement du débat public que n’importe quelle loi de censure.
Le pouvoir actuel instrumentalise les dérives réelles des réseaux pour justifier un contrôle croissant de la parole publique. En prétendant « protéger la démocratie », il cherche en réalité à en resserrer les limites. Mais dans une République adulte, la liberté d’expression ne doit pas être protégée contre elle-même : elle doit être assumée. La parole libre suppose deux vertus : le courage de parler et la dignité de répondre de ce qu’on dit. C’est à cette condition qu’elle demeure un acte civique, et non un défouloir.
Le danger ne vient pas des réseaux sociaux, mais de ceux qui veulent les rendre inoffensifs. Car une parole inoffensive n’est plus une parole libre.
