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6 novembre 2025

Théo Francken, un docteur Folamour néonazi ?

Georges Kuzmanovic
6/11/2025
Georges Kuzmanovic

Quand un ministre aux attaches néonazies se permet de menacer Moscou, ce n’est plus un « dérapage » : c’est une alerte rouge pour l’Europe. Francken, nostalgique assumé du VNV, parle aujourd’hui au nom de l’armée belge. Ses propos bellicistes révèlent une dérive brune qui gangrène les institutions.

Théo Francken, ministre de la Défense de Belgique (depuis février 2025, dans le gouvernement fédéral dirigé par Bart De Wever), mais également proche de groupes d'extrême droite, voire carrément néonazis, illustre la dérive stratégique et la confusion idéologique qui saisit nombre de dirigeants européens et interroge les « valeurs européennes » que l'Union européenne (UE) se glorifie de défendre en Ukraine.
Dans une interview récente du 30 octobre dans les médias Huomo et De Morgen, Théo Franken, très martial, n'a pas hésité à déclarer « nous raserons Moscou ». Aucune mesure, aucune diplomatie, mais de la communication hystérique et dangereuse, dans la continuation des propos insensés de la très belliciste Kaya Kallas, ministre des Affaires étrangères de l'UE – qui n'hésite pas à dire publiquement qu'il faut vaincre la Russie et la briser en quinze États différents, ce qui est très exactement le vieux projet néocon et qui n'est évidemment pas de nature à trouver un chemin vers la paix.

Théo Franken, ministre ou nostalgique du fascisme ?

Le parcours et l'idéologie profonde qui meuvent Théo Franken sont plus que douteux et ses propos marquent une dérive morale.

Morale, car il ne s'agit pas là d'un mot trop haut d'un politique qui s'emporte ou d'une boutade belge : Francken n’est pas un novice du scandale.
Figure emblématique de la N-VA ( Nieuw-Vlaamse Alliantie – parti nationaliste Flamand), il a connu une carrière politique flirtant non seulement avec l'extrême droite, mais avec les nostalgique du 3ème Reich allemand.

Le 14 octobre 2014, trois jours seulement après sa nomination comme secrétaire d’État dans le gouvernement Michel I, Theo Francken se retrouve au centre d’une tempête politique. L’opposition lui reproche d’avoir participé, avec le N-VA Ben Weyts (alors ministre flamand de la Mobilité et membre de son parti), au 90ᵉ anniversaire de Bob Maes. Ce dernier n’est pas un simple vétéran : sympathisant nazi, collaborateur et ancien membre du parti pro-hitlérien VNV (Vlaams Nationaal Verbond) durant la Seconde Guerre mondiale, il a ensuite fondé en 1950 le Vlaamse Militanten Orde (VMO), milice privée d’extrême droite interdite en 1983. Héritier direct des organisations collaborationnistes flamandes de l’entre-deux-guerres, le VMO incarne une continuité idéologique brune que la présence de deux ministres lors de cette célébration rend particulièrement choquante. Face au scandale, plusieurs partis exigent la démission de Francken et de Weyts.
Il n'en fut rien et Francken ne s'en excusa jamais.

Une nouvelle révélation ravive la polémique. On découvre, après cette première « gaffe », l'implication de Théo Francken dans l’organisation, en 2007, de réunions pour un groupe baptisé « VNV » – référence explicite au Vlaams Nationaal Verbond, formation ayant collaboré avec le régime nazi. Il y a quelques années encore, n'importe où en Europe, un tel passé aurait valu une opprobre générale et une démission – il n'en est rien de nos jours.

Sudpresse publie alors plusieurs courriels où Francken tient des propos à la fois menaçants et homophobes : il y écrit que ceux qui dévoileraient ces réunions néonazies secrètes « recevraient une balle » (sic!) ou seraient condamnés à « passer une nuit avec Christian Dutoit », homosexuel flamand bien connu – amis de la poésie bonjour. Ces messages ne laissent aucun doute sur l'idéologie profonde du ministre Fancken.

Figure de la ligne dure au sein de la N-VA, Theo Francken est souvent accusé de reprendre à son compte les thèmes du Vlaams Belang. Au point que ce dernier, parti d’extrême droite, lui a attribué un surnom révélateur : « Xerox », pour souligner qu’il ne ferait que copier ses positions.

Que l’homme chargé aujourd’hui des clés d’une armée ait un parcours politique entaché de liens et de rendez-vous peu compatibles avec les principes démocratiques – participation à l’anniversaire d’un sympathisant nazi ancien membre du VNV en 2014, organisation supposée de réunions flirtant avec des références au VNV – n’est pas un détail anecdotique. C’est grave et c'est un signal d’alarme.

La dissuasion nucléaire n’est pas une métaphore

En dehors du fait qu'on peut se demander par quels moyens magiques la Belgique pourrait raser Moscou, vu que ce pays ne dispose pas d'armes nucléaires, il s'agit là de propos non seulement maladroits, mais dangereux. Théo Franken, sûrement saisi par l'hubris du moment qui frappe les dirigeant européens, semble oublier qu'il parle là de la Russie, qui, elle, dispose de milliers d'armes nucléaires et des meilleurs vecteurs au monde, en particulier les missiles hypersoniques.
« Moscou rasée » a pour corolaire que toutes les villes d'Europe seront rasées.

Dire « nous raserons Moscou » quand on est ministre de la Défense d’un pays membre de l’UE, c’est irresponsable au sens le plus littéral. Nous parlons d’États nucléaires et d’un équilibre fragile. La rhétorique belliciste et jubilatoire, qui fantasme l’annihilation d’une métropole, n’est pas de la bravade stratégique ; elle est la marque d’un esprit qui a perdu de vue la réalité géopolitique élémentaire : une confrontation directe entre puissances nucléaires ne peut avoir d’issue autre qu’une catastrophe planétaire. Que des responsables publics s’y adonnent publiquement – ou s’entourent de nostalgies historiques qui renvoient à l’ombre du fascisme – est inacceptable. La politique doit tempérer la fureur, pas l’alimenter.

L’autre face de la même folie est la conversion du discours « anti-Poutine » en un délire stratégiquement suicidaire. On lit et on entend des propositions qui, sous couvert d’affronter l’agresseur, évoquent la « désintégration contrôlée » de la Russie, sa « division » en myriades de petits États – une proposition que des dirigeants du cercle atlantiste, y compris la dirigeante estonienne Kaja Kallas, n’ont pas totalement écartée lorsqu’ils ont évoqué l’idée que la Russie ne doive pas rester telle quelle après la période de guerre – comme si l'Ukraine et l'OTAN allaient gagner, ce qui en soi est une hallucination sévère par rapport au réel.
Un tel programme ressemble aux pires scénarios néoconservateurs : imposer la balkanisation d’une puissance continentale. C’est une folie stratégique et morale – et, c'est une folie pour laquelle l’Europe n’est pas équipée, sauf dans la tête de quelques esprits déséquilibrés.

Pourquoi ? Parce que diviser un État-continent, en particulier une puissance nucléaire, n’est pas une manœuvre diplomatique anodine. Imaginons dans un scénario de pure fiction absolument improbable que cela marche : la Russie est défaite et on la découpe en petits morceaux. Ce serait semer les graines d’innombrables conflits futurs, d’instabilités régionales chroniques et d’une prolifération de zones grises où des acteurs non étatiques et des puissances extérieures pourront prospérer. C’est aussi jouer avec un équilibre composé d’arsenaux militaires nucléaires ou classiques et d’alliances qu’aucun décideur sain ne devrait considérer comme une variable d’ajustement pour le prestige national ou pour le gain électoral.
Le vrai courage politique consiste à protéger la population – la sienne comme celle de l’autre – contre des options qui mènent à l’anéantissement.

Einstein l’avait déjà formulé avec génie et sobriété : « Je ne sais pas avec quelles armes la Troisième Guerre mondiale sera menée, mais la Quatrième Guerre mondiale le sera avec des bâtons et des pierres. »

Le premier devoir des dirigeants politiques à l'ère nucléaire est de préserver leur pays, et par extension l'humanité de l’apocalypse.
La responsabilité des dirigeants est donc de freiner l’inconscient collectif plutôt que de l’attiser.

Une dérive européenne

Mais la faute n’est pas que personnelle. Elle est collective. Il est légitime, sain et nécessaire de questionner les « valeurs européennes » lorsqu’un ministre d’un État membre peut se réclamer d’un nationalisme flirtant avec l’extrême droite, voire le nazisme, tout en tenant des propos qui mènent l’Europe vers les abysses.
On peut se demander si les fantasmes de Théo Francken, emprunt des tragédies de la deuxième guerre mondiale, à savoir la destruction de la Russie sont compatibles avec les valeurs que nous brandissons. « Démocratie, dignité humaine, rejet du totalitarisme » ne sont pas des slogans décoratifs : elles exigent cohérence et sanctions.
Peut-on encore prétendre être le bastion des droits humains si l’on tolère, à la tête des institutions, des personnalités qui fraternisent avec des héritages collaborationnistes et qui, en paroles, accompagnent la montée des tensions vers l’irréversible ? Non. Cela oblige à des choix clairs : mise à l’écart des nostalgiques, enquêtes sur les complicités idéologiques, et un effort réel de dénazification des élites politiques.

Ne nous méprenons pas : dénoncer la rhétorique de Francken et la surenchère stratégique n’est pas confondre la critique de la politique de dissuasion ou du soutien à l’Ukraine avec une posture pro-Poutine. Il est possible de soutenir la souveraineté ukrainienne – chacun est libre de ses convictions – d’aider les victimes et de condamner les agressions sans tomber dans la logique qui veut « anéantir » l’adversaire. La différence entre un démocrate et un va-t-en-guerre est simple : l’un agit pour limiter les souffrances humaines, l’autre propose la guerre et l’éradication comme politique d’État.

Enfin, la dimension idéologique est cruciale. Quand des hommes politiques roulent des mécaniques en s’abreuvant à des symboles ou à des réseaux qui sentent le passé le plus sombre de l’Europe, ils ne trahissent pas seulement la mémoire : ils trahissent l’avenir. Le néonazisme n’est pas une opinion respectable à intégrer dans le débat ; c’est une menace. Qu’un responsable public catalogue, minimise ou normalise ces attaches devrait suffire à le disqualifier. L’argument de la « ligne dure » sur l’immigration, la sécurité ou le commerce extérieur ne justifie pas la complaisance envers l’idéologie fasciste.

La Belgique, l’Europe, l’OTAN et l’Union doivent donc opérer trois choix clairs et urgents :
1. traiter conformément à la loi et à la déontologie toute preuve de connexions extrémistes néonazie chez des responsables publics ;
2. imposer une discipline rhétorique et institutionnelle – les ministres parlent au nom de leurs peuples, pas de leurs rancœurs personnelles ;
3. replacer la stratégie européenne dans le cadre le plus strict de prévention d’un conflit généralisé, en priorisant la diplomatie, le contrôle des armements et des mécanismes sérieux de désescalade.

Il ne s’agit pas d’un excès de prudence mais d’un impératif de survie. La planète ne peut pas être le champ d’expérimentation des frasques rhétoriques ou des vengeances idéologiques. Quand un ministre évoque la destruction d’une capitale, quand d’autres appellent à la dislocation d’États, la démocratie ne peut pas s’en remettre à la tempérance spontanée de l'Autre : elle doit agir, rappeler les limites, et rappeler que « valeurs européennes » n’est pas une formule vide mais un contrat – entre nations, entre générations – qui interdit l’inhumanité et la folie.

La politique sérieuse commence là où la bravade s’arrête. Si nous voulons encore parler de l’Europe comme d’un espace de civilisation, alors il faut être implacable envers ceux qui souhaitent sa dérive : néonazis, va-t-en-guerre et idéologues belligérants. Les mettre hors d’état de nuire n’est ni une censure ni un excès : c’est la condition minimale pour la paix.

Théo Francken, Ministre de la défense de Belgique - © BELGA