Gabriel Nerciat
-21/9/2025- Toujours sidérant d'entendre les clercs euro-atlantistes aux abois parler de la Russie et de l'Ukraine, comme d'ailleurs aussi bien de Trump et de Xi Jinping.
Au-delà de leur ridicule qu'on nommera faute de mieux spontané (comme par exemple s'indigner à longueur d'antenne que des drones non armés ou des avions de reconnaissance russes pénètrent pendant quelques minutes dans les cieux baltes ou polonais alors même que l'UE et les pays membres de l'OTAN dépensent des dizaines de milliards d'euros depuis trois ans pour aider Kiev à combattre la Russie et tuer des soldats russes), il est frappant de voir que la plupart de ces analystes qui prétendent au statut d'intellectuels sont complètement imperméables aux évolutions les plus évidentes du présent siècle.
Leur problème est simple mais assez complexe à diagnostiquer même en recourant au concept facile de dissonance cognitive : parfois, ils raisonnent comme si nous étions encore dans le cadre juridique multilatéral d'après 1945, et parfois comme si ce dernier n'avait plus aucune raison d'être.
Or il faut choisir : A et non-A ne peuvent pas être affirmés comme valides en même temps (c'est ce qu'Aristote appelait le principe de non-contradiction, pierre de touche de la rationalité occidentale dont la plupart de ces occidentalistes patentés sont si fiers).
Le cadre multilatéral est celui né de Yalta et de la défaite de l'Axe : il postule l'idée selon laquelle l'ensemble des États souverains doivent se soumettre à des règles communes (notamment le respect de l'intégrité des frontières étatiques) à partir du moment où ils ne remettent pas en cause les intérêts fondamentaux des cinq puissances impériales qui ont vaincu le Reich hitlérien et l'empire japonais.
Si ce cadre est toujours valide, alors il devrait aller de soi que toute extension des frontières de l'OTAN, après 1991 et la dissolution pacifique de l'URSS, ne peut ou n'aurait pu se faire sans des négociations officielles menées avec la Russie.
Lesquelles, comme chacun sait, n'ont pas eu lieu – ce qui a été interprété par Moscou et aussi par Pékin comme une remise en cause, non seulement de la part de Washington mais de l'ensemble des Occidentaux, de la légitimité même du cadre multilatéral hérité de Yalta (d'autant plus qu'à la même époque, l'Amérique et ses vassaux agressaient militairement la Serbie et l'Irak).
Si l'on estime que ce cadre juridique est mort avec le XXe siècle et la guerre froide, alors nous revenons plus ou moins automatiquement au cadre antérieur qui était celui des traités de Westphalie.
À savoir que les États souverains capables de puissance militaire ou stratégique, hors de tout cadre normatif trop contraignant, doivent parvenir à négocier perpétuellement entre eux un certain équilibre, tout en se gardant la possibilité de recourir à la guerre pour stabiliser ou défendre ce qu'ils estiment être leur zone d'influence légitime.
C'est ainsi que la France monarchique, au terme de plusieurs conflits, parvint à imposer sa loi et ses intérêts aux puissances espagnole, autrichienne, prussienne, hollandaise et britannique afin de stabiliser, autant que faire se peut, les zones de puissance étatiques respectives en Europe et au-delà.
Pour Poutine avec l'Ukraine comme sans doute bientôt pour Xi avec Taïwan, il est clair que c'est la logique westphalienne qui désormais s'impose.
Si elle s'impose aussi à l'Europe, alors l'Europe doit cesser de penser et de parler comme si nous étions encore à l'époque de la guerre de Corée ou du printemps de Prague.
D'autant plus impérieusement qu'aucune des nations européennes n'a les moyens, sans l'aide des États-Unis, de s'opposer militairement à Moscou (ou, même économiquement, à Pékin).
Il faudrait donc arrêter de parler, de menacer et de hurler, pour réfléchir un peu.
Car la seule chose sur laquelle Trump, Poutine, Xi, Erdogan et Modi semblent bien d'accord, c'est désormais de se passer de l'avis des Européens pour entreprendre quoi que ce soit.