L’Ukraine sacrifiée sur l’autel du réalisme américain
-20/11/2025- Les États-Unis et la Russie discutent en secret du futur de l’Ukraine. Entre avancée militaire russe, scandales à Kiev et désengagement américain, un nouvel ordre stratégique se dessine, révélant le basculement stratégique des États-Unis et l’impuissance croissante de l’Union européenne.
Alors que Kiev vacille et que Moscou impose son tempo, Washington négocie directement avec le Kremlin, laissant les Européens sans prise sur la fin possible du conflit.
Depuis le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, les négociations entre Washington et Moscou au sujet de la guerre en Ukraine n’ont en réalité jamais cessé. Elles ont simplement avancé loin des regards, dans la continuité des premiers échanges menés en Arabie saoudite. Les brusques accès de colère du président américain, régulièrement mis en scène à propos de l’attitude jugée négative de Vladimir Poutine, ou des blocages institutionnels à Washington, relèvent davantage de la communication interne que de divergences réelles. Ils visent avant tout les opinions occidentales, les dirigeants européens et un Congrès largement va-t-en-guerre, afin de préserver la marge de manœuvre de la diplomatie américaine.
Car la réalité est tout autre : ces négociations illustrent le lent mais certain désengagement stratégique des États-Unis d’Ukraine. Washington transmet progressivement à une Union européenne dépassée – dirigée par des responsables sans vision stratégique, prisonniers de postures martiales – l’immense fardeau politique, militaire et financier du conflit. Alors que Macron, Starmer, Merz ou von der Leyen multiplient les déclarations belliqueuses, jusqu’aux propos délirants du chef d’état-major français, le général Fabien Mandon, appelant à se préparer à une guerre contre la Russie dans trois ou quatre ans et à « sacrifier nos enfants », les États-Unis, eux, se repositionnent dans un monde désormais multipolaire.
Un Zelensky fragilisé, un plan imposé
C’est dans ce contexte que s’inscrit la dernière initiative diplomatique américano-russe révélée par Axios. Le 19 novembre au soir, Kiev annonçait avoir reçu une nouvelle offre de négociation venue de Washington, mais élaborée sans même consulter les autorités ukrainiennes – déjà un classique et qui se répétera, on peut ajouter que les Européens non plus n'ont pas été « consultés ». L’émissaire américain Steve Witkoff et son homologue russe Kirill Dmitriev, patron du fonds souverain russe, auraient mis au point ce plan lors d’une visite de ce dernier aux États-Unis en octobre.
Cette démarche survient au pire moment pour Volodymyr Zelensky, affaibli par un vaste scandale de corruption dans le secteur énergétique, qui a entraîné la démission de deux ministres et d’un proche du président, juste avant des perquisitions menées par la justice. En réalité, Witkoff et le Kremlin cherchent à convaincre Donald Trump de faire pression sur Kiev pour qu’il accepte un accord favorable à Moscou, profitant du contexte politique et informationnel très défavorable à l’Ukraine. Dans le même temps, l’armée russe progresse dans l’est du pays et intensifie ses frappes contre les infrastructures énergétiques et les civils à l’approche de l’hiver.
La réalité stratégique pousse Washington à négocier
Les réalistes de Washington n’ont plus réellement le choix : la situation sur le terrain, l’essoufflement militaire ukrainien et la solidité résiliente de l’économie russe rendent toute stratégie d’usure illusoire.
Contrairement aux prédictions répétées en 2022 annonçant l’effondrement économique du Kremlin, la Russie a résisté aux sanctions, tout en développant des secteurs entiers de production souveraine. L'industrie aéronautique civile en est l’exemple le plus frappant : donnée moribonde il y a trois ans, elle signe aujourd’hui des contrats d’exportation avec l’Inde, démontrant l’ampleur des erreurs d’analyse en Europe et l’ineptie de la doctrine visant à « mettre la Russie à genoux ».
Sur le plan géopolitique, Washington mesure également les conséquences de son entêtement : la guerre en Ukraine a accéléré l’essor des BRICS et l’érosion progressive de l’hégémonie du dollar sur l'économie mondiale. Dans le grand affrontement stratégique avec la Chine, les États-Unis ne peuvent pas se permettre de pousser la Russie dans une dépendance totale vis-à-vis de Pékin. Henry Kissinger, George Kennan, John Mearsheimer et d’autres réalistes le martèlent depuis des décennies : une alliance russo-chinoise, à plus forte raison incluant l’Iran, serait rédhibitoire pour les intérêts américains. On peut à ce titre également relire le livre de Zbigniew Brzeziński, Le grand échiquier (1996) : « Pour les États-Unis, le pire des scénarios serait une grande coalition de la Chine, la Russie et peut-être l'Iran (...) unie par une détestation commune des États-Unis. Dans un tel cas, la Chine serait plus probablement le leader, et la Russie un suiveur. » – le « pire des scénarios » s'est en fait réalisé, ironiquement en raison de la volonté américaine d'étendre l'OTAN à l'Ukraine. On comprend la nécessité impérieuse pour Washington, sinon de le briser, au moins de l'atténuer.
Mais la question nucléaire ajoute encore à l’urgence. Depuis la sortie américaine du traité ABM sous Bush fils (2002) puis du traité INF sous Trump (2019), la course aux armements a repris. La Russie domine désormais dans le domaine des missiles hypersoniques, dictant en partie les orientations stratégiques américaines. D’où l’intérêt croissant à Washington pour un nouvel accord de sécurité globale, incluant cette fois la Chine, l’Inde et les puissances nucléaires émergentes, afin d’éviter une spirale ruineuse.
Les points clés du plan russo-américain
Le nouveau projet de Washington et Moscou aborde quatre grands domaines :
1. la paix en Ukraine ;
2. les garanties de sécurité ;
3. la sécurité du continent européen ;
4. le rapprochement entre les États-Unis et la Russie.
Comme les précédents, ce plan reprend largement les exigences du Kremlin. Il prévoirait :
• une reconnaissance internationale de la souveraineté russe sur la Crimée et les régions du Donbass, de Donetsk, de Kherson et de Zaporijia ;
• une réduction de moitié de l’armée ukrainienne, limitée à 400 000 hommes ;
• l’interdiction pour Kiev de détenir des armes de longue portée ;
• une Ukraine neutralisée, exclue de l’OTAN et sans présence militaire occidentale ;
• la levée des sanctions internationales et la restitution des avoirs russes gelés, intérêts compris.
Autant dire une défaite stratégique nette pour l’OTAN et l’Union européenne, conséquence directe de leurs propres erreurs d’analyse et de posture.
L’Europe surprise, impuissante, paralysée
Les Européens ont été pris de court – comme à chaque fois. Merz, Macron et Starmer ont immédiatement tenté de réagir lors d’un dîner improvisé à Berlin le 18 novembre, rappelant leur refus catégorique de tout accord conclu sans l’Ukraine. Mais leur marge de manœuvre est inexistante : ils ne disposent ni du rapport de force militaire, ni du poids diplomatique, ni même du réalisme politique nécessaires pour peser sur le cours des négociations.
L’Europe continue de se payer de mots : elle parle sanctions, fermeté, pression accrue sur Moscou, alors même qu’elle est incapable d’augmenter réellement son soutien militaire à Kiev. Pire encore : ces postures conduisent à un affaiblissement économique massif du continent, aggravant la crise énergétique et la dette publique dans un contexte de récession sur le continent, particulièrement en Allemagne, au Royaume-Uni et en France.
Sur le terrain : l’effondrement ukrainien
Pendant que les chancelleries s’agitent, la Russie poursuit son offensive. Pokrovsk, Mirnograd et Koupiansk tombent ; Slaviansk pourrait suivre rapidement. L’armée russe frappe massivement les infrastructures énergétiques, ferroviaires et industrielles, y compris loin de la ligne de front. Trois ans de discours occidentaux annonçant la fin imminente des stocks de missiles russes se heurtent depuis à la réalité d'une Russie apte à produire trois fois plus de moyens militaires que l'ensemble des pays OTAN réunis, et dont pourtant le PIB est 10 fois supérieur.
Quant à l’Ukraine, les pertes humaines sont colossales – 1,5 million de morts selon certaines estimations, plus de 600 000 déserteurs – et 14 millions de citoyens ont fui vers l’Europe ou la Russie (recensement ukrainien récent). La société ukrainienne est brisée, l’économie exsangue et politiquement Zelensky ne tient que par une autorité martiale qui ne repose plus que sur une légitimité faible.
Un théâtre diplomatique pour masquer l’impuissance
Les réactions européennes sont prévisibles : condamnations verbales, indignation morale, dénonciation des « attaques brutales » de Moscou (elles le sont). Le Quai d’Orsay parle d’agression inacceptable ; le ministre français Jean-Noël Barrot affirme que « la paix ne peut pas être la capitulation de Kiev ».
On se paye de mots.
Mais derrière les grandes phrases se cache une vérité simple : l’Europe ne peut plus agir. La guerre a révélé l’absence de puissance militaire, diplomatique et stratégique du continent. Pour certains dirigeants, cette agitation pourrait même servir à détourner l’attention de leurs difficultés politiques internes – quitte à abandonner l’Ukraine à son sort.
Cette séquence historique tragique pour l'Europe annonce peut-être le nécessaire retour du réalisme en géopolitique. On l'espère au moins pour la France.

