Radu Portocala
-31/10/2025- Pour entrer à la Voix de l’Amérique, la plus grande radio du monde qui émettait en 44 langues je ne sais plus combien de milliers d’heures par semaine, la rédaction roumaine pour laquelle j’allais travailler comme correspondant en France, en Suisse et en Belgique m’a fait passer un certain nombre de tests. J’ai dû, pour commencer, rédiger un texte. Ensuite, on m’a fait passer une épreuve de micro. Enfin, un certain service s’employa à prendre des renseignements sur moi.
L’étape suivante m’a été présentée comme « bureaucratique ». J’ai dû compléter à la main des formulaires stupides comme tous les formulaires, puis d’autres à la machine en 12 exemplaires utilisant obligatoirement du papier carbone – cette chose autrefois pratique qui n’existe probablement plus. Après avoir reçu tout cela, ils m’annoncèrent qu’un dernier formulaire m’avait été envoyé par la poste. C’était, me disaient-ils, une démarche assez ennuyeuse à accomplir, ils s’en excusaient, mais il me fallait m’y plier sans prendre ombrage. Bien entendu, cette mise en garde n’a fait qu’éveiller ma curiosité et stimulé mon imagination. Mais il s’est avéré qu’elle n’était pas aussi fertile que celle de l’espion-bureaucrate américain.
Au bout d’une semaine ou un peu plus, je trouvai dans ma boîte aux lettres l’enveloppe venant de Washington. Elle contenait, à ma grande stupeur, deux cartons sur lesquels je devais imprimer mes empreintes digitales. Pourquoi diable voulaient-ils mes empreintes alors que j’allais travailler en Europe et que je n’avais nulle intention de me rendre aux États-Unis ? Je n’ai eu aucune explication cohérente. Seulement une indication « pratique » : je ne pouvais pas obtenir un résultat valable en barbouillant mes doigts dans un encrier. On me conseillait de m’adresser à la police.
Au commissariat de mon quartier, celui qui est sous l’esplanade des Invalides, on m’envoya promener assez grossièrement. Heureusement, un policier qui avait entendu la discussion m’apprit que je devais faire ma demande à la police judiciaire de l’arrondissement. Là, j’eus affaire à des flics-loubards qui se montrèrent très désagréables. En fin de compte, par un coup de fil à la Préfecture, j’appris que je devais aller chez eux, Île de la Cité. Il va de soi qu’à chaque fois je devais raconter la même histoire qui paraissait soit stupide, soit invraisemblable à tout le monde. Je crois qu’ils ont été assez nombreux à me prendre pour un déséquilibré.
Bien entendu, dans l’énorme bâtiment de la Préfecture, j’ai dû me promener d’une entrée à l’autre et d’un service à l’autre avant de trouver le bon endroit. Enfin, un personnage en blouse blanche et muni de tout l’attirail nécessaire fut appelé à l’une des entrées. Après avoir imprimé mes empreintes sur les formulaires envoyés de Washington, je l’entendis dire : « Maintenant, je les prends aussi pour moi ! » Fatigué par toute cette aventure absurde, je l’ai laissé faire, mais quelques jours plus tard, une amie avocate s’insurgea contre la démarche de l’individu et ma passivité, me disant que j’avais eu tort de me plier à sa demande. Depuis lors, comme ils ont mes empreintes, je dois être très prudent en commettant les méfaits qui occupent tout mon temps.
On était, donc, très prudent à Washington. Mais la chose s’est transformée en farce grotesque après 1990, lorsqu’il est devenu possible de consulter une partie des archives de la police politique roumaine, la Securitate. Il a été découvert alors que le rédacteur en chef du service roumain de la Voix de l’Amérique, celui qui, par téléphone, me priait d’accepter que les autorités américaines scrutent mon existence et examinent mes empreintes digitales, avait collaboré avec la Securitate, et l’avait même fait avec un tel empressement qu’il était possible d’imaginer que dans sa nouvelle position il n’avait pas vraiment rompu le lien.