Gastel Etzwane
-10/12/2025- Cette caricature de Rodho est à la fois drôle et cruelle, parce qu’elle dit avec une brutalité comique ce que beaucoup de gens pensent tout bas depuis trente ans : l’Europe, et particulièrement la France, est en train de vivre une forme d’effacement culturel par capillarité américaine (et désormais globale), sans guerre, sans occupation militaire, juste par la force douce du marché, du divertissement et du mode de vie « cool ».
Le dessin est volontairement exagéré : un gamin blond en survêt’ Nike, Starbucks à la main, qui commande son Uber Eats devant un cinéma Marvel, un McDo, un KFC et un panneau Google.
C’est l’image d’une jeunesse européenne qui ne parle plus vraiment sa langue, ne mange plus vraiment sa cuisine, ne regarde plus vraiment ses films, n’habite plus vraiment son histoire. Et le pire, c’est que ce n’est pas totalement faux.
Quand Donald Trump évoque une influence extra-européenne qui ferait courir un risque civilisationnel à l’Europe, on comprend parfaitement ce qu’il désigne. Mais à mes yeux, la menace la plus visible est exactement celle que montre ce dessin : un effacement progressif de notre culture au profit d’une sous-culture mondialisée, essentiellement d’origine américaine.
Des intellectuels français le disent, toutes tendances confondues, depuis au moins les années 1950-60 :
- Georges Duhamel, déjà dans les années 1930, parlait de « Scènes de la vie future » et décrivait une Europe américanisée jusqu’à l’absurde.
- Après 1945, avec le plan Marshall, le Coca-Cola, le chewing-gum, Hollywood et le rock, une partie de la droite comme de la gauche (PCF compris !) s’est alarmée de « l’américanisation ».
- Dans les années 1980-90, Régis Debray, Alain Finkielkraut, Philippe Muray ou Jean Baudrillard ont décrit, chacun à sa manière, cette « disneylandisation » du monde et la victoire du soft power culturel américain.
- Même Jack Lang, ministre de la Culture socialiste, défendait farouchement « l’exception culturelle » française contre le rouleau compresseur hollywoodien à l’OMC en 1993.
Donc non, Trump n’a rien inventé. Il a juste remis un vieux constat sur la table, avec son style bulldozer.
Mais le fond du sujet est ailleurs : le danger principal est cette uniformisation culturelle mondiale qui écrase les particularismes européens.
Et le plus terrible, c’est que le phénomène qu’il pointe n’est même plus seulement américain.
Le jogging Nike + Starbucks + Marvel + rap américain en fond sonore, c’est devenu le kit de survie culturel des adolescents de Paris à Bucarest, de Lisbonne à Varsovie. L’uniformisation ne vient plus seulement des États-Unis : elle est relayée par les plateformes globales (Netflix, TikTok, Instagram, Uber Eats…) qui diffusent partout la même sous-culture jeune, déracinée, anglophone et consumériste.
Le drame français, c’est que nous avions pourtant les moyens de résister : une langue magnifique, une gastronomie exceptionnelle, un cinéma, un cinéma d’auteur, une mode, une littérature.
Mais nous avons laissé, décennie après décennie, les centres-villes se transformer en galeries marchandes identiques, les salles de cinéma indépendantes fermer, les librairies disparaître, les habits traditionnels ou simplement élégants être remplacés par le « streetwear mondialisé.
Alors oui, les cathédrales et les châteaux sont toujours là. Mais quand on voit un ado à Rouen, à Limoges ou à Avignon avec le même hoodie Supreme, les mêmes Air Force 1, le même vocabulaire de 300 mots mâtiné d’arabe de cité et d’anglais, en train de regarder le dernier Spider-Man en mangeant un tacos lyophilisé, on peut légitimement se poser la question :
Avons-nous déjà perdu l’essentiel de ce qui faisait une civilisation européenne distincte, et surtout française ? Pas totalement, non. Mais on est sacrément mal barrés si on continue à trouver ça « normal » ou inéluctable.
