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20 octobre 2025

Pierre-Olivier Sur
Avocat pénaliste, ancien bâtonnier du barreau de Paris

Condamnation de Nicolas Sarkozy

« Jamais une décision de justice n’aura été aussi critiquée que celle rendue le 25 septembre 2025 dans l’affaire Sarkozy. À ce titre, un faux adage est tombé : « On ne commente pas une décision de justice. »

Au contraire, on peut commenter, et même critiquer, sauf l’interdit de l’article 434-25 du code pénal : « Jeter le discrédit sur un acte ou une décision juridictionnelle dans des conditions de nature à porter atteinte à l’autorité de la justice ou à son indépendance. » Autre limite, que l’actualité oblige malheureusement à rappeler : le respect qu’on doit aux magistrats et honte à ceux qui les menacent !

Un raisonnement conduit de façon brillante, impeccable et rigoureuse

Ceux qui auront le courage de lire les 380 pages du jugement Sarkozy conviendront que le raisonnement est conduit de façon brillante, impeccable et rigoureuse jusqu’à une terrible sortie de route au dernier virage, page 362.

Rigoureuse, l’appréciation du document Mediapart, à l’origine de l’affaire : « le plus probable est que ce document soit un faux » (page 329 du jugement). Mais si ce faux est le premier maillon de la chaîne de procédure, alors « par contagion », comme dit la jurisprudence pénale constante, ce sont l’ensemble des actes subséquents du dossier qui devraient s’écrouler. C’est-à-dire les 73 tomes. Mais ce moyen de nullité par contagion ne pouvait être plaidé en première instance – et pour cause : c’est le jugement qui établit la fausseté du document.

Quoi qu’il en soit, à défaut de nullité en la forme, des relaxes au fond suivent et s’enchaînent naturellement pour Nicolas Sarkozy. Relaxe sur le financement illégal de campagne électorale. Relaxe sur la corruption passive. Et relaxe sur le recel de détournement de fonds.

Association de malfaiteur, une qualification très controversée

Mais il y a tout de même une condamnation à la ramasse comme on dit, d’habitude réservée aux seconds couteaux qui ne sont ni auteurs ni complices. Une condamnation pour « association de malfaiteurs ». Convenons que le mot « malfaiteur » choque en tant que qualification juridique, dans le cadre politique et financier voire républicain de cette affaire, sauf à alimenter le populisme dont la justice est normalement aux antipodes.

Au-delà de l’appréciation de cet effet d’annonce pénal, qui brouille la vérité vraie pour le grand public, l’infraction d’association de malfaiteurs choque en elle-même tous les juristes, par l’imprécision de ses éléments constitutifs au point que le grand Badinter l’avait supprimée (loi du 10 juin 1983).

On sent qu’on arrive ici, dans le jugement Sarkozy à la terrible sortie de route ! En effet, après 360 pages d’un jugement dont nous avons dit qu’il avait été conduit de façon impeccable et rigoureuse jusqu’alors, voici le virage serré en épingle à cheveux, qui fait voler en éclat, en une fraction de seconde, l’ensemble de la construction juridique. Soudain, en quelques lignes, il est dit que Nicolas Sarkozy aurait « laissé ses plus proches collaborateurs (commettre les délits poursuivis) » (page 362 du jugement), puisqu’il aurait « avalisé »…

Désinvolture soudaine dans l’écriture

Mais le mot « avalisé » n’est pas un terme juridique. On ne le rencontre pas d’habitude dans une décision de justice, en tout cas pour qualifier intentionnellement un passage à l’acte ou même la préparation d’une infraction. Or, le mot « avalisé » est deux fois répété en page 376 du jugement.

Ici, le commentateur rompu de pénal se dit que les termes employés, la désinvolture soudaine dans l’écriture, en un mot le changement de ton, laissent comprendre une discontinuité dans le raisonnement collégial et peut-être même une rupture.

En effet, une incarcération avant le jugement définitif, ne peut être une « peine » à proprement parler, mais l’expression d’une « mesure de sûreté », pour mettre à l’ombre ceux qui risqueraient de menacer la sécurité publique ou qui seraient tentés de fuir la justice. Telle est la raison pour laquelle la plupart des jugements au pénal sont assortis de cette exécution provisoire.

Mais presque tous évidemment concernent la délinquance de droit commun et non pas les infractions financières et politiques pour lesquelles les mesures de sûreté ne sont pas nécessaires. Ce sera le débat sur la demande de mise en liberté et les critères de l’article 144 du code de procédure pénale. (…) ».

Vers une « droitisation » des pays européens ?

H16

-20/10/2025- Si la France s’enfonce de plus en plus dans la crise politique et dans le biscornu l’inconnu, cela n’empêche pas d’autres pays de faire récemment des choix électoraux beaucoup plus clairs.

Le 4 octobre dernier se tenaient des élections législatives en République tchèque et le résultat n’a guère plu aux élites bruxelloises.


En effet, le gagnant est le parti populiste ANO, dirigé par le milliardaire Andrej Babis. C’est un parti initialement issu du centre et qui, en République tchèque, avait récupéré l’électorat du centre gauche et qui s’était assez logiquement joint au groupe européen Renew Europe (qui correspond à l’actuel groupe de Macron). Cependant, ce parti a peu à peu basculé à droite alors que se sont accumulées les divergences sur les questions d’immigration et de réglementation européennes, voire sur la question ukrainienne.

Et lors des élections du 4 octobre, il a donc gagné face à une coalition de centre droit, issue de l’ODS Parti, coalition initialement fondée et dirigée par l’ex-président libertarien Vaclav Klaus. Toutefois, ce parti et cette coalition ont progressivement pris leurs distances par rapport à ces idées fondatrices à tel point que Vaclav Klaus avait même apporté son soutien à Babis lorsque ce dernier s’était présenté pour les élections présidentielles.

Malgré tout, Babis n’a pas la majorité absolue. Il va donc devoir gouverner avec d’autres partis. Au contraire de la France où ceci se traduit par un pataquès assez phénoménal, les observateurs de la politique tchèque estiment qu’il va devoir gouverner avec le SPD qui – contrairement au parti allemand du même nom – est le parti de la droite nationaliste, mais aussi avec le parti Auto qui rejette l’écologie poussée par l’Union européenne et semble prôner le marché libre.

De façon intéressante, ce tournant électoral en Tchéquie s’ajoute à la victoire en Pologne de Nawrocki, le candidat du PiS (droite conservatrice) lors de la présidentielle en mai dernier. Une élection qui avait aussi été marquée par les bons score de la Confédération, parti nationaliste combinant libertarianisme et conservatisme.

Dans ces deux cas – Pologne et République tchèque – la victoire des droites s’explique assez bien par les difficultés économiques que rencontrent actuellement ces peuples européens suite à la crise économique, engendrée par les restrictions pandémiques et par le bourbier ukrainien. S’y ajoute aussi une perte de confiance envers les dirigeants et particulièrement ceux d’Europe de l’Ouest. Du reste, on peut raisonnablement imaginer que les situations sécuritaires en France et au Royaume-Uni ont contribué à faire élire des dirigeants sensibles à la question de la sécurité et de l’immigration en Europe centrale.


Cette dernière question a d’ailleurs eu un rôle à l’autre bout du monde, au Japon, dont le chef de gouvernement doit être prochainement désigné. Or, potentiellement, il pourrait s’agir de la première femme à ce poste dans l’Empire du Levant, Sanae Takaichi. Celle-ci est l’une des personnalités actuellement les plus à droite au Japon, et est issue de l’aile droite du parti dominant du Japon qui a connu un revers avec la percée d’un parti nationaliste anti-immigration : Sanseitō.

Ces dernières années, le Japon avait en effet quelque peu ouvert les vannes de l’immigration, ce qui, pour ce pays extrêmement fermé, restait bien évidemment fort limité comparé à ce qui s’est récemment pratiqué en Occident. Néanmoins, cela a été suffisant pour que les Japonais constatent une augmentation des incivilités et de l’insécurité pour lesquels ils n’ont aucune tolérance.

Fait intéressant, la montée des nationalistes au Japon semble être notamment due à un franc soutien de la jeunesse, ce qui est un point commun avec la Confédération polonaise et le parti Auto en République tchèque : dans ces pays, la jeunesse vote plus à droite que la droite traditionnelle qui est déjà considérée comme populiste ou conservatrice.

Japon, Tchéquie, Pologne, le discours y est globalement le même, avec un rejet clair de toute gouvernance mondiale et des élites actuelles.

Si ces trois pays semble clairement se « droitiser », ce n’est pas le cas d’autres pays européens. La Moldavie a par exemple voté officiellement pour un gouvernement centriste.


Toutefois, on devra s’interroger sur la solidité du scrutin qui y a eu lieu, et des rumeurs très insistantes d’ingérence française sur place relayées notamment par Pavel Durov, le fondateur de Telegram qui a directement expliqué avoir eu des demandes d’influences provenant du gouvernement français.

S’il est évident que tous les pays d’Europe centrale subissent des influences étrangères, s’il est aussi évident que les Russes cherchent, comme les autres, à influencer les élections, il apparaît aussi clair que l’Europe de l’Ouest cherche activement à faire de même. Plus tôt cette année, les élections en Roumanie ont été un exemple assez illustratif de cette confrontation entre des influences étrangères opposées. L’hypocrisie des médias et des politiciens de l’Ouest qui continuent de nier leurs tentatives est amusante mais ne trompe que les plus naïfs.

Cette situation ne doit pas étonner : ces (tentatives d’)influences ne peuvent qu’augmenter à mesure que les pays basculent vers une droite populiste plutôt hostile à l’interventionnisme européen actuel. Dans ce jeu géopolitique, la France va avoir de plus en plus de mal à tirer son épingle du jeu, ses problèmes internes grandissant à vue d’œil, et rendant bien vaines ses velléités d’influence.

On pourra en outre se demander si cette droitisation peut un jour parvenir à pénétrer le terreau français. La prudence est de mise : dans les trois pays évoqués, la gauche est effectivement inexistante (République tchèque, le gouvernement centriste modéré a même rendu illégale la promotion du communisme). L’opposition politique se joue en pratique entre un centre droit et une droite conservatrice. Et dans ces trois pays, l’idée de réformes économiques libérales n’est pas un tabou. Elle est même mise en avant par les politiciens.

Au passage, les trois dirigeants nouvellement élus sont assez clairement favorables à Trump ; ceci pourrait au passage compromettre la volonté des pays d’Europe de l’Ouest de se détacher des États-Unis…

À bien des égards, la situation en Europe de l’Ouest est devenue un repoussoir pour un nombre croissant de pays. L’effondrement de moins en moins lent de la France pourrait motiver d’autres pays à rejoindre ceux de l’Europe de l’Est.


https://h16free.com/2025/10/20/82204-vers-une-droitisation-des-pays-europeens

19 octobre 2025

Natalia Routkevitch
16/10/2025
Tax-washing ?

Ne faut-il pas voir dans la fixation contemporaine sur la taxation un faux-nez de l’impuissance politique, voire le signe d’un manque de volonté de transformer en profondeur nos modèles socio-économiques ? Ne serions-nous pas face à une forme d’« egalitarian-washing », une manière de se donner bonne conscience en agissant à la marge, sans jamais s’attaquer aux structures mêmes de la production et de la répartition des acquis ?
Un article récent de la revue "Jacobin", intitulé “The Left Needs to Rethink How It Understands Inequality”, propose une critique stimulante et iconoclaste, venue de la gauche, de l'assistance sociale. L’auteur s’appuie sur une étude publiée dans l’American Economic Journal qui a suscité la surprise il y a quelques années : les États-Unis redistribueraient, par les impôts et transferts, une part plus importante de leur PIB en faveur des plus modestes que la plupart des pays d’Europe occidentale.
Dès lors, l’écart d’inégalités entre les deux continents ne tiendrait pas tant à une générosité du modèle redistributif européen qu’à une répartition plus égalitaire des biens avant impôt. Cette conclusion renverse un lieu commun : l’opposition entre la supposée pingrerie sociale des États-Unis et la vertu redistributive de la social-démocratie européenne (qui est en train de rendre l'âme).
Ce constat met surtout en lumière deux logiques distinctes de la réduction des inégalités : 1) la redistribution, opérée a posteriori par l’État ; 2) la prédistribution, qui agit en amont sur les structures de la production et l’allocation initiale des ressources
C’est cette seconde approche, plus structurelle, que l’auteur valorise : le niveau d’inégalité dépend avant tout du rapport de force entre classes sociales et de la capacité des travailleurs à défendre leurs intérêts, bien plus que de la charité publique ou des politiques d’assistance. En ce sens, le texte rejoint une intuition d’Amartya Sen, le célèbre économiste indien, qui refusait de considérer les politiques de redistribution – allocations, impôts progressifs – comme l’instrument central de la justice sociale. Il s’opposait ainsi à une vision « comptable » de la justice, telle que celle de John Rawls, qui vise à créer une société équitable à travers la distribution mesurable et réglementée des biens primaires.
Selon Sen, même un État redistribuant massivement peut voir persister des inégalités si certains groupes sont marginalisés ou incapables de défendre leurs intérêts. L’évaluation de la justice ne peut donc se réduire à des indicateurs monétaires ou statistiques. Sen proposait de mettre l’accent sur le pouvoir et l’organisation sociale, plutôt que de se limiter à des transferts financiers ou à la charité, et d’évaluer les politiques au-delà des chiffres fiscaux et le volume des dépenses publiques.
Car, même sous les pères fondateurs du néolibéralisme, Thatcher et Reagan, les dépenses publiques ont continué de croître ; seules ont changé les priorités de leur affectation. Ce qui prouve que le cœur du problème n’est pas la quantité d’argent dépensé, mais la manière dont le pouvoir oriente et structure les dépenses publiques. Si la gauche veut être réellement transformatrice – et non simplement morale –, elle doit placer au centre de son projet le renforcement du pouvoir collectif et du pouvoir du travail plutôt que de se contenter d’un vernis compassionnel ou fiscal, telle est la conclusion de l’article de "Jacobin".
En France, où le débat politique, à gauche comme à droite, se réduit souvent à une querelle fiscale, on a l’impression que cette focalisation sur la fiscalité constitue une forme d’échappatoire : une manière de valoriser le seul levier encore disponible entre les mains d’États désormais impuissants, privés d’autonomie monétaire, commerciale ou stratégique.
Il ne leur reste souvent que l’autonomie fiscale ; dès lors, les forces politiques faisant partie du système concentrent toute leur attention sur ce terrain pour éviter de parler du reste.
Car la question de fond semble si immense qu’on ne sait même plus par quel bout la prendre : celle d’une économie mondiale dominée par des oligopoles planétaires et des États-prédateurs transformés en leurs relais.
Sur ce fond, les appels à « faire les poches aux riches » ou à « taxer davantage l’héritage, ce truc tombé du ciel » sont perçus par beaucoup comme une forme de duplicité et d’injustice. Dans les faits, les hausses fiscales touchent surtout les classes moyennes : ces "people from somewhere" dont les biens ne sont pas mobiles et qui ne peuvent transférer aisément leurs avoirs vers les paradis fiscaux, contrairement aux plus fortunés, qui disposent d’une armée d’avocats capables d’optimiser ou d’éluder l’impôt.
Dans un monde ouvert, ces mesures sont facilement contournables par ceux qui en ont les moyens. Même pas besoin d’aller bien loin : le dumping fiscal est déjà largement pratiqué au sein même de l’Union européenne.
Pour le simple observateur, il semble que ce débat acharné sur les taxes s’enracine dans un immobilisme collectif dont chaque acteur politique est complice, une sorte de paralysie générale…
Peut-être existe-t-il des acteurs porteurs d’un projet cohérent, ambitieux, qui dépasse les jeux du type « je prends à celui-ci pour donner à celui-là » ? Lesquels ?
Ou bien l’État est-il tel qu’il ne peut plus se permettre de tels projets ? Dans ce cas, autant le reconnaître comme une constante faisant partie intégrante de notre réalité.

Dessin de Remoortel

Papouilles
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Anna Rocca
19/10/2025

« Je sais que dépenser plus pour la défense signifie dépenser moins pour d'autres priorités. »
Les masques tombent : Mark Rutte, secrétaire général de l’OTAN, admet devant le think tank mondialiste Carnegie Endowment for International « Peace » que les budgets de défense seront pris… sur les retraites et la santé des Européens.
L’OTAN ne vous protège pas – elle se finance sur votre dos.

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Philippe Pernot / Reporterre
10/10/2025

Guerre à Gaza : la stratégie israélienne de la terre brûlée


Israël et le Hamas sont parvenus, le 9 octobre, à un accord de cessez-le-feu à Gaza. Reporterre revient sur la stratégie israélienne de la terre brûlée, qui a détruit plus de 3 000 km² au Proche-Orient depuis 1948.

 Beyrouth (Liban), correspondance 

Les armes vont-elles enfin se taire ? Le 9 octobre, Israël et le Hamas ont conclu un accord, qui prévoit notamment la libération des otages israéliens et des prisonniers palestiniens, ainsi que l’entrée d’aide humanitaire à Gaza — même s’il est trop tôt pour parler de paix. Ces deux années de conflit meurtrier ont semé la dévastation — 68 000 personnes ont été tuées par l’armée israélienne, selon le ministère de la Santé de Gaza. Mais l’armée israélienne a aussi détruit les moyens de subsistance et l’environnement des populations palestiniennes, suivant une stratégie connue depuis des millénaires : celle de la terre brûlée.

De la Grèce antique à Napoléon, au Vietnam comme pendant la colonisation des Amériques, l’environnement et l’agriculture ont souvent fait les frais de ce qui y est maintenant condamné comme un crime de guerre dans le droit international. Le principe est simple : détruire tout ce qui pourrait permettre à une force ennemie de survivre — l’anéantissement par la faim, la misère et la dévastation.

Une stratégie qu’Israël a appliquée méthodiquement depuis sa création en 1948, affectant les écosystèmes de toute la région du Bilad al-Sham (le Levant et Proche-Orient sont des termes coloniaux). Au total, selon les décomptes de Reporterre, en se basant sur des sources historiques et modernes, plus de 3 000 km² de terres arables auraient été incendiées, détruites, bulldozées : soit la moitié de la Palestine actuelle.

Surfaces brûlées et/ou détruites en fonction des années. © Philippe Pernot / Reporterre

Les destructions écocidaires infligées à Gaza en sont l’exemple récent le plus marquant. « À Gaza, Israël applique la stratégie de la terre brûlée pour y rendre la vie impossible : tout y est démoli, pour en faire une ville fantôme, sans aucun moyen de subsistance. Le but est de nous anéantir, même quand les bombardements cesseront », déclare le docteur Ahmed Hilles, directeur de l’Institut national pour l’environnement et le développement à Gaza et maître de conférences à l’université Al-Azhar, au département des sciences de l’eau et de l’environnement. Réfugié en Égypte depuis avril 2024, il dirige à distance de nombreux projets humanitaires liés à l’eau, l’environnement et la pollution.

Dans l’enclave palestinienne, les chiffres sont sans appel : 80 % des terres arables détruites, 97 % des vergers réduits en cendres, un demi-million de personnes au stade le plus avancé de famine — en plus du nombre vertigineux de morts (au moins 68 000 personnes), de blessés (plus de 167 000 personnes), de déplacés (plus de 1,9 million).

« Il s’agit d’un véritable “écogénocide” : il n’y a pas que les bombes, mais aussi la pollution, les maladies, tous ces facteurs environnementaux qui tuent des Gazaouis, dit-il. En deux ans, les Israéliens ont détruit ce que nous avons construit pendant des centaines d’années, voire des millénaires. »

Colonisation de la nature

Un siècle avant la création de l’État d’Israël, l’Empire britannique avait imaginé un plan axé sur l’agriculture et la terre pour coloniser la Palestine, indique Mazin Qumsiyeh, directeur du Musée d’histoire naturelle à Bethléem et de l’Institut palestinien de la biodiversité et de la durabilité.

Cette obsession a alimenté le nettoyage ethnique de la Palestine lors de la Nakba de 1948 : entre 400 et 600 villes et villages palestiniens furent dépeuplés, 700 000 Palestiniens contraints à l’exil, leurs maisons et vergers détruits.

« Comme dans tout processus colonial, il fallait déraciner les habitants et les écosystèmes : alors, les Israéliens ont remplacé les figuiers et oliviers par des pins européens », explique Mazin Qumsiyeh, qui lutte pour préserver la faune et la flore locale : plusieurs espèces mythiques comme les léopards, les guépards et les hiboux-pêcheurs ont disparu après la Nakba.

Des vignes soufflées par un bombardement israélien dans la vallée de la Bekaa, au Liban, le 11 octobre 2024. © Philippe Pernot / Reporterre

Son musée bénévole, à Bethléem, est cerné de 250 checkpoints, d’innombrables colonies israéliennes qui s’étendent illégalement en Cisjordanie occupée, quitte à la réduire à un archipel de localités palestiniennes isolées les unes des autres.

« Même si la situation actuelle en Cisjordanie est très différente de Gaza, je suis convaincu que le même destin nous attend : l’anéantissement et l’enfermement dans des ghettos, des réserves, car c’est la logique de tout projet colonial, des Amériques à l’Australie », dit Mazin Qumsiyeh.

Au total, 78 % des terres palestiniennes ont été conquises en 1948, et du reste, les deux tiers de la Cisjordanie restante sont sous contrôle israélien. Démolitions administratives [2] menées par l’armée et attaques de colons ont détruit 9 600 hectares de terres agricoles et 10 000 oliviers depuis le 7 octobre 2023, en plus des terrains annexés ou abandonnés en Cisjordanie.

Deux bergers palestiniens contrôlés par des colons et des forces d’occupation israéliennes à Masafer Yatta, en Cisjordanie occupée, le 10 mars 2024. © Philippe Pernot / Reporterre

Ceinture de feu

La même stratégie se déploie partout au cours de l’histoire récente du Bilad al-Sham. « Au Liban-Sud, la terre a été convoitée depuis les origines du mouvement sioniste juif, déjà à l’époque ottomane », explique Zaynab Nemr, chercheuse environnementale travaillant entre l’Université américaine de Beyrouth et l’ONG Dalla, dirigée par des femmes au Liban-Sud. C’est ainsi que dès 1923, sept villages agricoles libanais ont été transférés au futur État hébreu, puis dépeuplés et démolis en 1948, leurs raisins, vergers, oliviers détruits.

Puis, lors de la guerre civile libanaise, Israël a envahi le Liban à plusieurs reprises et occupé le sud du pays de 1982 à 2000 – dans le but de lutter contre la résistance palestinienne de l’OLP, mais aussi d’accaparer des ressources longtemps convoitées. « L’occupation a laissé une marque profonde et durable sur l’environnement et la vie agricole de la région : l’État d’Israël s’est systématiquement approprié, a pollué et contrôlé les ressources naturelles — notamment l’eau et les terres agricoles fertiles », explique-t-elle.

Le centre-ville de Nabatieh (Sud-Liban), détruit après des bombardements israéliens, le 7 novembre 2024. © Philippe Pernot / Reporterre

Le tout selon un schéma déjà bien rodé. « Dans le Liban-Sud occupé, les Israéliens ont érigé un système similaire à celui en Cisjordanie : ils ont contrôlé les déplacements des agriculteurs, mais sont aussi devenus les maîtres du temps, en décidant de la durée des récoltes », soutient Zaynab Nemr. Entre 1982 et 2000, des dizaines de milliers d’hectares de terre arable et d’arbres fruitiers avaient été détruits.
Écocide

Les destructions environnementales ne se sont pas arrêtées là. Lors de la guerre de 2006, le bombardement de la centrale électrique de Jiyeh a mené à la plus grande marée noire de l’histoire de la région.

Après le 7 octobre 2023, alors que l’armée israélienne et le Hezbollah se sont affrontés dans une escalade qui a mené à une invasion terrestre israélienne, le 23 septembre 2024, la nature a de nouveau été prise pour cible. Bombardements, dynamitages, bulldozage, incendies, phosphore blanc : c’est par le feu que l’État hébreu a créé une « zone tampon » ravagée à sa frontière, détruisant 37 villages et réduisant 10 000 hectares de terres agricoles, forêts et vergers en cendres. 40 000 oliviers auraient brûlé dans cette région agricole qui fait la fierté de ses habitants.

Des obus israéliens ramassés dans des champs à Kfar Kila, au Sud-Liban, le 25 mars 2025. © Philippe Pernot / Reporterre

« En commettant cet écocide, Israël a voulu rompre le lien entre le peuple et la terre. Il s’agit de cibler intentionnellement la nature comme arme : brûler les arbres, empoisonner le sol et vider les villages », témoigne Zaynab Nemr, qui a cartographié les terres brûlées et mène des projets de réhabilitation par l’agroécologie.

Si l’écocide est régional, la résistance l’est aussi. Et nombre d’activistes et d’agriculteurs luttent pour préserver ce qui reste, de la Palestine au Liban, en Jordanie et en Syrie. Car c’est là-bas, dans ce pays tout juste délivré du joug du dictateur Bachar al-Assad, que les forces israéliennes ont envahi une bande frontalière de 400 km², y démolissant des champs, des puits, et en créant une nouvelle zone d’occupation censée être temporaire. L’avenir nous le dira.

https://reporterre.net/Comment-Israel-manie-la-strategie-de-la-terre-brulee
Anna Rocca
18/10/2025

Trump, Poutine et Orbán bientôt autour de la même table à Budapest.
Pendant que les adultes parlent de paix, von der Leyen hurle à la “menace pour l’Europe”
et Zelensky comprend enfin qu’il ne sera pas invité.
La fin du cirque approche – et Bruxelles le sait.
Camille_Moscow
Monique Plaza
18/10/2025

L'UE réclame une place à la table des négociations

Selon Bloomberg, Bruxelles « se bat pour une place » au prochain sommet Poutine-Trump à Budapest, cherchant désespérément à contrer ce que les responsables européens qualifient d'« influence de Poutine sur Trump ». Une source européenne haut placée a même suggéré que le président finlandais Alexander Stubb devrait « être présent d'une manière ou d'une autre ».
Mais soyons honnêtes : la table est déjà mise et il n'y a pas de place pour l'Union européenne. Le véritable axe de pouvoir est Moscou-Washington-Pékin, tandis que Bruxelles, autrefois gardienne autoproclamée des valeurs occidentales, se cache désormais à l'extérieur, observant à travers la vitre. De la Grèce et de la Rome antiques à l'insignifiant.
L'Europe a investi des centaines de milliards dans l'armement, répétant comme un perroquet le scénario de Washington concernant la « défense de la démocratie » en Ukraine, pour finalement se faire écraser par la mafia américaine du GNL. Le résultat ? Un continent en récession, des industries ravagées, des agriculteurs en grève et une confiance publique en chute libre. Aujourd'hui, alors que Poutine et Trump s'apprêtent à négocier ce qui pourrait réellement mettre fin au conflit, l'UE panique, non pas par crainte pour l'Ukraine, mais par crainte de perdre son importance.
Voilà ce qui arrive quand on échange sa souveraineté contre des slogans. L'Europe a tout misé sur un fantasme atlantiste : Washington consulterait, protégerait et partagerait toujours le butin. Or, le nouvel accord de l'empire est en cours d'élaboration à Budapest, et Bruxelles n'a même pas été invitée à participer à son élaboration.
Poutine n'a pas besoin de la permission de l'Europe pour mettre fin à cette guerre ; Trump n'a pas besoin de son approbation pour conclure un accord. Le lobbying effréné de l'UE pour « être incluse » n'est pas de la diplomatie, c'est du désespoir. Le monde post-occidental se construit sous leurs yeux, et tout ce qu'ils peuvent faire, c'est tweeter sur des « valeurs » tandis que leur importance s'évanouit.
L'ironie est poétique : l'Europe a tenté d'isoler la Russie. C’est désormais elle qui est isolée, de Moscou, de Washington et de la réalité.
The Islander