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16 novembre 2023

Importante, digne, mais sans les musulmans... ce qu'a vraiment été la marche contre l'antisémitisme

Natacha Polony

Il y a d’un côté ceux qui claironnent avec satisfaction que cette manifestation contre l’antisémitisme fut un grand moment d’unité nationale. Tout au plus ont-ils déploré que le président de la République ait « raté ce moment historique ». Puis il y a ceux qui, le soir même, ont commencé à forger le récit d’une manifestation haineuse dans laquelle on aurait « frappé des militants de la paix » et « insulté les musulmans de ce pays ». Bienvenue dans les mondes parallèles. Non seulement il est désormais permis de ne pas voir ce que l’on voit, mais on peut, avec la plus parfaite autosatisfaction, se mettre à croire ce que l’on invente.
 
Passons sur ceux qui ont traité de réac, voire de fasciste, quiconque alertait depuis trente ans sur l’abandon du processus d’intégration et continueront à le faire pour démontrer leur appartenance au camp du Bien médiatique mais sont venus défiler, ravis qu’on ne leur demande pas de préciser de quelle nature est cet antisémitisme qui gangrène la France. Passons également sur ceux qui, tel Ivan Rioufol, se sont empressés de voir dans cette marche un soutien à Israël, proclamé poste avancé de l’Occident dans la guerre de civilisation, histoire de donner raison à Jean-Luc Mélenchon et à ce tweet particulièrement vicieux expliquant qu’avec ladite marche les « soutiens inconditionnels du massacre » perpétré à Gaza avaient « leur rendez-vous ». Les uns et les autres ont gagné : cette marche ne fut pas un rassemblement de toute la nation.
 
La première condition pour ne pas ajouter au climat délétère qui empoisonne le pays est de décrire honnêtement le réel et de dire ce que tous les Français ont pu voir : une marche digne et importante, mais plutôt bourgeoise et dans laquelle on ne comptait quasi aucun de nos compatriotes d’origine maghrébine ou subsaharienne. Les Français de confession musulmane n’étaient pas là. C’était déjà en partie le cas le 11 janvier 2015 – mais dans une moindre mesure – et pour l’avoir dit de façon un peu brutale, Emmanuel Todd s’était fait à l’époque agonir d’injures. Et ce serait faire trop d’honneur à Jean-Luc Mélenchon que de lui en imputer la responsabilité. Il se contente de tenter une récupération grossière – et à terme criminelle – d’un phénomène de fracturation de la communauté nationale, quitte à l’amplifier en reprenant l’idée d’une « guerre aux musulmans » qui était, depuis le massacre de la rédaction de Charlie Hebdo et des Français juifs de l’Hyper Cacher, une antienne qu’Edwy Plenel diffusait lors de conférences aux côtés de Tariq Ramadan.
 
CRISE ÉCONOMIQUE ET CULTURELLE

L’enjeu des années à venir est d’éviter que la communauté nationale n’achève de se déchirer. Le président de la République le sait, puisqu’il a choisi de ne pas se rendre à une marche qui, pour essentielle qu’elle était, contribuait, hélas, à nourrir le ressentiment de Français (notamment de confession musulmane) qui ont l’impression que le sort des Palestiniens écrasés sous les bombes à Gaza ou tués par des colons fanatiques en Cisjordanie nous est indifférent. Le travail est immense puisqu’il passe par le retour d’une politique étrangère cohérente et indépendante autant que par une politique intérieure d’intégration et d’affirmation des lois et principes de la République. Le contraire de ce qui est fait depuis vingt ans, où l’on se range à un atlantisme qui favorise le sentiment d’un deux poids deux mesures occidental dans le monde, en particulier musulman, tout en laissant l’islamisme saper l’intégration des Français de confession musulmane à une République laïque dans laquelle chacun a sa place à condition de ne pas revendiquer au nom de sa supposée différence.
 
Les Français, dans leur immense majorité, ressentent le danger que constitue la communautarisation en cours. Un danger d’autant plus grand qu’il se joue sur fond d’appauvrissement du pays. Le ministre de l’Économie peut s’adresser des louanges et vanter les pseudo-performances françaises sur fond de fragilisation de l’Allemagne, là non plus, personne n’est dupe. Les fondamentaux économiques du pays ne sont pas bons et nous vivons sur les restes de la splendeur passée. Depuis le Covid, c’est à coups de dettes et de chèques catégoriels que le gouvernement gère l’inflation, au lieu de traiter le véritable problème structurel : notre déficit commercial abyssal. Pis, plutôt que de soutenir les PME qui tentent désespérément de produire en France, malgré l’inflation administrative et la concurrence déloyale, Bercy n’a qu’une obsession : augmenter les exportations plutôt que de diminuer les importations. Erreur de perspective tragique.
 
La conjonction entre une crise économique et une crise culturelle, favorisant toutes deux des forces centrifuges et une défiance croissante, est une bombe à retardement. Remobiliser la nation autour de la production industrielle et agricole, autour de l’indépendance diplomatique et stratégique, autour de l’excellence scolaire comme moyen de combattre l’obscurantisme et de contrer le déclin économique, défendre les intérêts de la France en tant que République laïque et sociale, et en faire la matrice de notre engagement européen, tel est le seul programme raisonnable et capable d’enrayer le processus que les uns font semblant de ne pas voir et que les autres tentent d’accélérer.