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29 décembre 2025

Le retour du dialogue franco-Russe ?

Jacques Sapir / Fréquence Populaire
28/12/2025

Schisme européen, guerre d’usure en Ukraine, diplomatie française en perte de crédibilité, russophobie : dans ce contexte, la reprise de contact entre Paris et Moscou pourrait être la première étape d’un nécessaire réajustement stratégique. Jusqu'à une conférence de sécurité internationale ?

Vladimir Poutine et Emmanuel Macron au Kremlin - 7 février 2022. © Reuters

Les présidents Macron et Poutine vont donc se parler. C’est ce que l’on peut déduire des récentes déclarations françaises et russes.

Ce faisant, Emmanuel Macron acte le schisme européen qui est apparu au Conseil européen de la semaine dernière. Le vote de la France, aux côtés de l’Italie, de la Belgique, de la Hongrie et d’autres pays contre l’utilisation des avoirs russes sous séquestre a mis en évidence la présence de deux lignes au sein de l’Union européenne. Mais, si se parler peut en effet être utile, parler alors pour quoi dire ?

Il est une évidence que les relations entre la Russie et les pays européens sont actuellement au plus bas. Le discours débridé de guerre qui est tenu sans bases réelles ni vraisemblance par certains en Europe n’améliore naturellement pas les choses. Jamais la russophobie, les distorsions de faits et les mensonges au sujet de la Russie, n’ont été aussi présents dans les discours officiels et les médias des pays européens et en particulier en France.

Ajoutons que le président Macron a un passif qui pèse sur toute reprise des relations : la divulgation des images de ce qui devait être une conversation privée avec Vladimir Poutine a été perçue en Russie comme une grave entorse aux règles de la diplomatie et tout simplement du savoir-vivre. Emmanuel Macron traîne, dans les sphères du pouvoir russe et en particulier au Ministère des Affaires Étrangères, la réputation de se comporter comme un petit garçon mal élevé. L’effondrement de la diplomatie française a d’ailleurs été notée par les responsables et les analystes russes, qui ne sont pas sans s’en inquiéter.

Ajoutons encore que l’activisme frénétique dont Emmanuel Macron a fait preuve autour de la « coalition des volontaires » a été remarqué par la Russie. Cette dernière n’est pas sans sourire devant l’effondrement, de fait, de cette coalition. Les dirigeants russes ne sont pas sans remarquer que les positions très en pointe prises par Paris sur le soutien à l’Ukraine cachent mal la faiblesse du soutien réel à ce dernier pays. Ils considèrent qu’en réalité cet activisme sert avant tout à signaler aux autres pays de l’UE qu’en cas d’aggravation soudaine et brutale des relations entre ces pays et la Russie, la France est la seule à disposer d’une dissuasion nucléaire en propre.

Bref, on pourrait craindre que cette reprise des discussions ne tourne au dialogue de sourds. On dira qu’il vaut toujours mieux se parler même si c’est sans s’entendre, échanger des noms d’oiseaux que des missiles. Pourtant, cette reprise de contact est nécessaire. Elle est même souhaitée par les autorités russes pour diverses raisons. En effet, et contrairement à ce que l’on peut imaginer, les pays européens et la Russie ont des intérêts communs en Ukraine. Ces intérêts pourraient être la base d’un réchauffement raisonné des relations.

Il est clair qu’un traité de paix sera signé entre la Russie et l’Ukraine, que ce soit dans trois ou six mois, ou plus. L’armée ukrainienne est épuisée et, privée de réserves et sans livraisons massives d’armements, ce que les États-Unis ne font plus par volonté et les pays européens par manque de moyens, sa capacité à lutter va décroître rapidement. Le nombre de désertions en son sein, plus de 160 000 pour 2025 selon une déclaration du Parquet National d’Ukraine faite début octobre, en témoigne. Le fait que la majorité des désertions aient lieu dans les centres d’entraînements confirme qu’une partie des Ukrainiens « votent avec leurs pieds » contre la poursuite des hostilités. Mais, quelles seront les conséquences de la paix ?

Économiquement, l’Ukraine est en ruine. Des experts internationaux estiment à 700 milliards d’euros les sommes nécessaires à la reconstruction. Socialement et démographiquement, l’Ukraine s’est vidée de ses habitants. On est passé d’un pays de 41,5 millions d’habitants en 2021 à 28,5 millions à l’été 2025, avec environ 9 millions de réfugiés dans l’UE selon Eurostat et 2,5 millions en Russie selon Rosstat. Or, sur cette masse, les sondages montrent que seuls 10% à 30% (au grand maximum) voudront rentrer au pays une fois la paix revenue.

La démobilisation de l’armée va renvoyer à la vie civile des centaines de milliers de personnes dans les pires conditions comme l’a signalé l’ambassadeur d’Ukraine à Londres, l’ancien général Zaluzhny. Enfin, politiquement, la situation est sombre. Le pouvoir de Volodymir Zelensky a perdu une grande part de sa légitimité dans des scandales de corruption. Une partie de l’armée vivra le traité de paix comme une « trahison » du pouvoir civil. Les conditions sont réunies pour que l’Ukraine connaisse la situation de l’Allemagne après le 11 novembre 1918, avec l’émergence de Corps Francs et d’organisations terroristes d’extrême droite comme celle qui tua le vice-Chancelier et Ministre des Affaires Étrangères, Walther Rathenau, en 1922.

Ceci pourrait conduire à une guerre civile, ou à tout le moins un gouvernement faible obligé de composer avec les Corps Francs d’extrême droite, avec une nouvelle vague d’émigration vers les pays de l’UE achevant de plonger l’Ukraine dans le chaos économique et politique.

Or, ni la Russie ni les pays européens n’ont intérêt à un tel scénario. La Russie a besoin d’un gouvernement stable et légitime en Ukraine si elle veut voir les clauses du Traité de Paix appliquées. Le chaos en Ukraine serait la certitude d’une reprise des hostilités dans les années à venir. Les pays européens voisins de l’Ukraine, quant à eux, n’ont nul intérêt à avoir un trou noir de chaos économique et politique à leur porte. Déjà, la Hongrie et la Pologne s’en inquiètent ouvertement. Et cette inquiétude gagnera rapidement la Roumanie, la Slovaquie, la République Tchèque mais aussi l’Allemagne.

Les pays européens et la Russie ont donc un intérêt commun à la stabilisation de l’Ukraine post-guerre, une stabilisation qui impliquera des actions coordonnées dans le domaine politique mais aussi économique. Bien sûr, il y aura une « conférence de reconstruction ». Certains voudront y mettre la Russie en accusation. Ce serait une attitude puérile, qui ajouterait le chaos au chaos, la souffrance à la souffrance.

La reconstruction de l’Ukraine ne pourra se faire qu’avec la volonté Russie et dans le cadre d’une conférence de sécurité internationale qui incorporera naturellement la Russie.

Si Emmanuel Macron veut que cette reprise de contact entre la France et la Russie soit utile, il doit mettre l’accent sur l’après-guerre et non chercher à la prolonger ou à peser, avec quels arguments d’ailleurs, sur le futur Traité de Paix. Il devrait tenter de définir avec Vladimir Poutine le cadre et le périmètre d’une coopération entre pays européens et la Russie pour la stabilisation et la reconstruction de l’Ukraine. La Russie est disposée à cela. Les contacts que j’ai pu avoir lors d’un voyage en Russie à la fin du mois de novembre me l’ont montré. La réaction positive de la diplomatie russe aux propos d’Emmanuel Macron le confirme.

Mais, il faut savoir que temps n’est plus aux jeux centrés sur la politique intérieure, comme en 2022, des jeux qui ont largement affaibli notre crédibilité envers la Russie. Les enjeux, et il n’en va rien de moins que de la stabilité et la paix en Europe pour au moins les vingt prochaines années, imposent que la question soit traitée hors de toute gesticulation à des fins de communication. Les enjeux imposent le sérieux, la responsabilité et le professionnalisme.