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25 octobre 2025

Gilles Casanova
25/10/2025

Cinq ans plus tard c’est encore plus vrai car les choses se sont encore approfondies :
« Quand s'use un programme ou une organisation, s'use aussi la génération qui les a portés sur ses épaules. La rénovation du mouvement se fait par la jeunesse, libre de toute responsabilité pour le passé », écrivait Léon Trotsky dans son « Programme de transition » en 1938.
Que n’entend-on aujourd'hui comme condamnations contre les enfants du baby-boom, nés entre la fin de la seconde Guerre mondiale et le début des années 60. On leur devrait par leurs mouvements inconsidérés et égoïstes, en 1968, et dans les années 70 notamment, tous les malheurs que connaît notre société. Ce que nous vivons aujourd'hui serait le résultat du programme que cette génération s'était donné dans son ambition folle, collective et inacceptable de changer le monde ou de « Changer la vie ».
Il n’en est rien, les malheurs de notre société ont essentiellement deux sources :
– la fin de l'acceptation du partage de la richesse et de la connaissance par les puissants, dont ont effectivement bénéficié les baby-boomers, mais cette acceptation n'était liée qu’à la peur des possédants de voir se coaguler les catégories populaires des pays occidentaux avec l’ours soviétique, leur faisant tout perdre ;
– le ralliement massif mais progressif pour ce faire, à un modèle global, expérimenté à partir du 11 septembre 1973 par Augusto Pinochet au Chili, repris par Margaret Thatcher à la fin des années 70 au Royaume-Uni, élargi par Ronald Reagan à toute la sphère d'influence des États-Unis d'Amérique, et auquel les autorités politiques françaises se sont ralliées en 1983-1984, ce qui a été baptisé ici « tournant de la rigueur », et dont le caractère expérimental et partiel s'est transformé à partir de la chute du Mur de Berlin en caractère pleinement opérationnel.
Ce modèle, le néolibéralisme, basé sur l'idée que toute la société doit être guidée par la Main invisible du marché qui-sait-mieux-que-les-humains, a détruit un bon nombre des avancées sociales de l’après-guerre et se propose de les détruire totalement, mais détruit aussi les valeurs humanistes anciennes et profondes de notre société. Réussissant à la fois à saper l'autorité légitime, et à confiner les libertés cardinales, pour le plus grand profit d’un groupe, toujours plus restreint, de milliardaires, toujours plus riches.
Cependant, c’est bien cette génération de « Boomers » qui a apporté une série de transformations dans la vie réelle de notre pays, je n’en citerai que deux :
– le mouvement pour l'égalité entre les hommes et les femmes, c'est cette génération qui l’a porté, comme un mouvement pour l'égalité, tellement différent du mouvement pour le puritanisme, le voile ou la destruction des hommes que l’on le voit se manifester aujourd’hui ;
– le mouvement pour la liberté d'aimer qui l’on souhaite, c'est aussi elle qui l'a initié, et sans les fariboles « genrées », « intersectionnelles » ou « inclusives » du « LGBTQI++ » d’aujourd’hui.
Ce n'est pas si mal.
Pour la génération suivante, il n'était pas si facile de s'affirmer. Elle aurait pu prendre le relais de celle-ci en relevant le drapeau du « Changer la vie » abandonné dans les années 83-84 où il fut échangé pour l’illusion du « Construire l'Europe ». Elle aurait pu trouver sa propre voie, dans un monde qui n'était plus coupé en deux par la guerre froide, pour proposer un style de vie novateur.
On peut penser qu'elle a cédé sous la pression, celle de la diminution constante du partage de la richesse et de la connaissance qui l'a conduite à renoncer progressivement à l'action collective qui dominait le passé, en faveur de solutions individuelles, bien plus en cohérence avec la nouvelle époque.
Et il est bien difficile de l'identifier à un combat collectif, si ce n'est celui universellement pratiqué à titre individuel sur injonction télévisuelle de « l'humanitaire », l'engagement de chacun à poser les rustines nécessaires sur un système qui crée les problèmes qu’il vous somme de réparer. Et celui plus fort encore de la religion écologiste qui lui fait croire que les privations, individuelles ou collectives, vont sauver la planète de difficultés créées, chaque jour plus fortement, par la fameuse Main invisible, sans que personne ne s’en sente responsable.