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26 novembre 2022

Le drame de la France : ce refus persistant de regarder la réalité dans sa complexité et d’accepter ses erreurs

Jean Mizrahi

L'Assemblée nationale a été agitée ces derniers jours par une proposition de loi visant à réintégrer ceux des personnels soignants qui n'ont pas voulu se faire vacciner contre le Covid. Deux fronts se sont opposés : d’un côté les partis les plus contestataires ont proposé la réintégration des soignants, de l'autre les partis plus traditionnels, dits « de gouvernement » s’y sont opposés avec vigueur. La France reste un des rares pays à refuser à ces soignants non vaccinés le retour à leurs fonctions au sein du système de santé. Cette crispation, au-delà de la discussion purement technique sur les vaccins contre le Covid, est très instructive sur la difficulté avec laquelle les Français ne parviennent pas à regarder leurs erreurs en face, ou, quand ce ne sont pas des erreurs, les contradictions que la réalité leur renvoie à la figure, face à des décisions qui ont déjà été prises, comme si le retour en arrière n’était jamais possible. Il ne fait pourtant plus aucun doute aujourd'hui que les différents vaccins anti Covid n'ont pas donné les résultats qu’on attendait d’eux au départ : ils ne permettent en rien de ralentir les épidémies puisque nous voyons les vagues se succéder en dépit d’un taux de vaccination très élevé de la population, et chacun peut se rendre compte qu'il est tout à fait possible d'être vacciné et néanmoins tomber malade, voire même très malade au point d'en décéder. À l'évidence les vaccins contre le Covid ne sont ni le BCG ni le TABDT qui, eux, ont une redoutable efficacité contre les maladies qu'ils visent. Les infectiologues l’expliquent aisément : comme c’est le cas avec la grippe, le virus du Covid mute fréquemment, si bien que les vaccins d’hier ne sont plus efficaces aujourd’hui, et donc on vaccine les gens pour des virus qui ne sont plus les bons, aucune surprise que les effets soient délétères.
Ce qui est fascinant dans les discussions sur le vaccin depuis plus d'un an, c'est la manière dont le mot Science (avec un grand S bien sûr) est manipulé pour imposer des vues qui sont manifestement anti scientifiques. Tous les censeurs se cachent derrière le mot science pour justifier les affirmations les plus invraisemblables, mais aussi les décisions les plus injustes et les plus aberrantes. Nous sommes dans une époque de la parole magique : on prononce le mot, et il devient vérité du seul fait d’avoir été prononcé, notre Président l’a bien compris, il en a fait son exercice quotidien… Et de la même façon, il suffit désormais de coller un mot sur le dos de quelqu'un pour dévaluer définitivement sa parole et le marginaliser. Le moindre acteur du métier qui met en doute la façon dont la politique de vaccination a été conduite s'est retrouvé affublé de l'épithète "antivax". De vagues officines qui se prétendent « fact checkers » diffusent des affirmations non démontrées, reprises presque systématiquement, et souvent même mot pour mot, par des agences de presse ou des médias généralistes qui sont devenus de simples répéteurs secondaires de messages primaires émis dans la plus grande confusion. Les journalistes ne travaillent plus, ils ne vérifient pas les chiffres, et ils ne font preuve d’aucun esprit critique. Les médias sont devenus de simples caisses de résonance qui permettent à différents lobbies ou plus souvent au pouvoir, d’imposer ce que qu’on appelle de nos jours un « narratif », c’est à dire une vision univoque et simpliste du monde. Une fois ce « narratif » diffusé, il est repris par les médias sans remise en cause, sans examen critique, et alors le phénomène de caisse de résonance joue à plein. Je rappelle ce que signifie le mot résonance : c’est un phénomène de physique qui veut que la répétition du même mouvement à certaines fréquences conduise à une amplification pouvant aller jusqu’à des phénomènes « catastrophiques », tel ce pont qui vibrant régulièrement sous l’effet du vent, se met à tanguer de plus en plus pour finir par rompre, nous avons tous vu cette image.
Nous sommes entrés dans une période où le questionnement est de moins en moins souvent la règle. Douter est un exercice devenu malsain. Les médias et les politiques veulent des messages simples, tout comme le peuple veut des messages simples, car quand c'est simple, on n'a pas besoin de penser, de se creuser la tête, de déstabiliser ses certitudes. Tous répètent ces messages simples en boucle et jouent l’effet de résonance. Le message prend tout l’espace, et les esprits même les plus instruits absorbent le message comme une vérité définitive. Les humains du 21ème siècle ne sont plus confrontés à des points de vue contradictoires, ils acceptent les messages simples par simple paresse intellectuelle. Je suis frappé à quel point certaines personnes dont le niveau d’instruction est au plus haut ou bien même des esprits qui sont, sur le papier, parmi les plus pointus, sont ainsi devenus incapables de remettre en cause des idées dès lors qu’elles ont été instituées comme des « vérités communes ».
Dans le cas des soignants, le fait que les Français dans leur ensemble ne soient pas ébahis par la situation donne à réfléchir. Car la problématique est plutôt facile à comprendre : le vaccin ne protégeant pas contre l’infection, un soignant non vacciné ne fait pas courir plus de risque à ses patients qu’un soignant vacciné, il n’y a donc plus lieu de l’écarter alors que le système de santé manque cruellement de soignants. Le système est devenu à ce point absurde, kafkaïen, que l’État préfère voir travailler des soignants malades susceptibles de contaminer leurs patients plutôt que des soignants en parfaite santé, mais rétifs aux injonctions étatiques. Le reversement logique est tellement invraisemblable qu’on pourrait attendre des esprits les plus affutés une mise en cause instantanée, mais il n'en est rien. Il est devenu plus important de punir les insoumis que de faire fonctionner notre intelligence et… notre système de santé. Les politiciens les plus au « centre », à commencer par le Président de la République, nous parlent de bienveillance (Macron le 28 mars 2022 : « Il faut un peu de bienveillance. Il y a des dirigeants politiques, effectivement, qui sont dans la violence et l'invective et ce n'est pas bon », et pendant la campagne électorale de 2017 : « Je crois à la bienveillance en politique »). Mais ils sont incapables de la pratiquer, comme le montre le traitement réservé aux soignants rétifs : suspensions de revenus, pas d’allocations chômage, etc. Il faut punir pour punir, punir les récalcitrants avec vigueur, dans un esprit vengeur voire vindicatif, expression d’une pure haine à l’égard de ceux qui ne pensent pas droit. Et pourtant la réalité leur a donné raison : des vaccins préparés à la va-comme-je-te-pousse qui n’ont pas apporté les bénéfices espérés. Les non-vaccinés avaient tort a priori, ils ont raison a posteriori, et notre société refuse de le reconnaître et d’affronter sa méprise. Car les politiciens ne sont pas les seuls coupables de cet aveuglement. C’est la société dans son ensemble qui se satisfait de maltraiter une fraction de la population, comme elle s’est satisfaite d’ostraciser une fraction de la population avec le pass sanitaire. Désormais il est plus important de faire partie du troupeau qui accepte les vérités communes, et de laisser de côté ceux qui lèvent le doigt pour poser des questions ou même pour contester. Vae victis.
Acceptez-le, c’est une évolution calamiteuse que de voir le gros du troupeau se contenter de ce que les médias lui donnent à voir. Il n’y a plus de vrai débat, comme d’autres débats sont devenus aujourd’hui impossibles : contester la mécanique d’intégration européenne, contester le bien-fondé des prises de positions vis-à-vis de la Russie, contester tel ou tel aspect de notre société devenu "normal", c’est désormais prendre le risque de se voir accoler des qualificatifs marginalisants qui placeront à l'écart et dévalueront votre discours : antivax, poutinien, complotiste, raciste, transphobe, extrême-ceci ou cela, fasciste, et j’en passe. Remettre en cause la doxa dominante, c’est risquer la marginalisation voire le procès, tels ces médecins interdits de soigner par l’Ordre des Médecins pour avoir émis des avis divergents. Il est temps de se rebeller contre ces pratiques qui au fond deviennent les vraies pratiques fascisantes : il faut que le débat soit possible, il faut pouvoir ne pas être d'accord et le dire, il faut mettre les problèmes sur la table et les discuter ouvertement, calmement et sans invectives, en opposant des faits aux faits, des analyses aux analyses et non des slogans aux slogans. Sans quoi, je vous le prédis, le troupeau se réfugiera de plus en plus dans cette attitude d’exclusion des moutons noirs. Que vienne alors la crise économique, non pas la prétendue crise qu'auraient été ces dernières années, mais une véritable crise de la même nature que celle de 1929, et nos pays seront alors mûrs pour le véritable fascisme, et la violence du groupe contre les minorités, quelles que soient les minorités, pourra se déchaîner. Celui qui ne pensera pas droit devra être mis contre un mur.