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7 février 2023

Témoignage : a-t-on encore consigne de soigner les vieux ?

Pierre Duriot
porte-parole du RPF

C’est l’histoire d’un très vieux monsieur, de 98 ans. Il se porte globalement plutôt bien pour son âge, mais un soir, une détresse respiratoire le prend. Son épouse, plus jeune et qui s’occupe et de lui au quotidien, appelle les pompiers et il est évacué par les pompiers, venus très rapidement, vers les urgences locales de Nice. On est le 3 janvier. Il est transféré, le lendemain, dans un très grand hôpital de la ville et elle se rend à son chevet, dès 10 heures. Son mari est là, branché de partout, avec un masque à oxygène et un goutte-à-goutte, en soins intensifs. Une faiblesse respiratoire et, peut-être, un « problème aux poumons », mais elle ne voit pas de médecin. Tout se passe à priori pas trop mal, mais l’épouse ne sent pas les choses très bien et décide d’y aller tous les jours.

Bien lui en prend, car l’affaire va rapidement tourner d’une drôle de manière. Le monsieur a demandé une tranche de pain beurré. Il n’a pas eu le pain beurré, il n’a rien eu du tout d’ailleurs. Mais il y a le goutte-à-goutte ? Sauf qu’il ne l’a pas tout le temps, pas souvent même. Du coup, son épouse, dans sa visite quotidienne, apporte à manger, comme si c’était un devoir, ou son travail. Voilà qu’un beau jour, elle le retrouve attaché et changé de chambre. Il n’est plus en soins intensifs. Officiellement, il gigote trop, arrache ses tuyaux. Mais il a une sale tête, est seul, en mauvais état. Il ne peut pas boire dans le verre qui est vide et posé sur la tablette. Il ne peut pas non plus appeler une infirmière pour qu’elle lui donne à boire. Les mains sont attachées et la sonnette est derrière lui. L’épouse commence à se poser très sérieusement des questions sur la volonté de l’établissement de tirer son mari d’affaire. À vrai dire, elle se demande même s’il n’y a pas consigne qu’il y reste.

C’est impensable et pourtant, les témoignages de ce genre se multiplient, partout en France. Les deux mains sont très serrées dans les liens, elles sont rouges. Le vieux monsieur a la bouche toute blanche, il se déshydrate. L’épouse persiste à venir tous les jours, elle le nourrit, elle le lave. En 14 jours, il a perdu près de dix kilos. Elle sent que la fin est proche et insiste pour qu’il revienne à la maison. On est le second vendredi. Il n’a pas encore vu de médecin. La fille appelle, depuis l’étranger, rouspète. Son intervention va tout de même générer la visite d’un médecin, enfin. Ca va mieux, il n’y a rien aux poumons, en fait, il n’est plus qu’âgé, avec tout ce que cela sous-entend, à 98 ans, mais qu’importe, il va rentrer à la maison : le mardi. L’épouse continue d’y aller chaque jour, elle sent désormais très mal cette affaire et doute de la probité de ce personnel là. Elle entend des murmures dans les couloirs : « on les aime pas »… « les vieux riches ». Ils ne sont pas riches, ils sont juste aisés, ils ont travaillé dur toute leur vie. Le mardi, elle attend et son homme arrive en ambulance. On est en janvier, il fait froid, il est quasi-nu, avec juste une petite biaude d’hôpital, alors qu’il avait tout le nécessaire pour être habillé correctement. L’hôpital a joint au paquetage, l’un de ces draps avec lesquels on recouvre les morts, au cas où.

Depuis, il a repris deux kilos et un peu du poil de la bête. Reste cette impression, qui n’en est pas une, que rien ne s’est vraiment passé pour le guérir. Un peu d’oxygène et basta. Ils ne l’ont pas fini au Rivotril, comme pendant l’épisode Covid, mais c’était tout comme. Sans son épouse, il serait tranquillement mort de faim. À partir d’un certain âge, il semble qu’il ne faille plus compter sur les structures que l’on a pourtant financées toute sa vie. Les morts, oubliés dans les couloirs des urgences, se multiplient, ce n’est plus un secret. La question qui se pose, est de savoir si c’est une attitude spontanée, ou s’il y a des consignes.