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22 août 2023

LES CRABES ET LES CHAROGNES DE L'APRÈS YALTA

Gabriel Nerciat

C'est peut-être à cause de la température qui monte, mais je ne supporte plus d'entendre, même pendant cinq minutes à l'heure du café ou de l'orgeat (oui, Madame, oui, j'adore le sirop d'orgeat, surtout en été, et alors ?), ces vieux diplomates, militaires et écrivassiers euro-atlantistes à moitié séniles, versions modernes des militaires de Courteline et de Monsieur de Norpois, qui bavassent toute la journée en mobilisant toutes les trois phrases le respect du droit international pour justifier leur furie guerrière contre la Russie de Poutine.
Surtout quand, de surcroît, à l'imitation du pingouin irano-helvète de LCI ou de feu le gros bouledogue soulographe Jean-François Revel, ils glissent toujours une pique qui se veut matoise à l'encontre des supposées sympathies pro-soviétiques ou pro-russes de Charles de Gaulle, telles qu'il les aurait manifestées entre 1944 et 1969, censées expliquer aujourd'hui le peu d'entrain de Sarkozy ou de Macron à valider leurs philippiques meurtrières.
Il est quand même consternant que personne n'ose leur répliquer que si De Gaulle, par exemple, n'a pas protesté contre l'entrée de l'Armée rouge à Prague en 1968, c'était justement pour ne pas heurter le droit international en vigueur à l'époque, qui était régi en vertu de l'ordre diplomatique mondial fixé à Yalta en 1945 par les trois futurs vainqueurs de Hitler (dont rien moins que deux dirigeants anglo-saxons, quand même).
De Gaulle lui-même, qui ne participait pas à la conférence de Crimée, a violemment critiqué cet ordre et sa capacité de règlement des conflits, comme l'explicite le dernier volume de ses Mémoires de guerre - à l'inverse de Churchill, l'idole des droitards atlantistes d'aujourd'hui, qui plus ou moins s'en félicitait publiquement.
Mais, une fois au pouvoir, il a tenu, faute de mieux, à le respecter. S'il a critiqué l'agression américaine au Vietnam, c'est précisément parce qu'elle outrepassait le cadre des accords fixés à la fin de la guerre mondiale - remportée par les armées de Staline, faut-il le rappeler - et donc l'équilibre des puissances qui devait en découler. Idem pour l'épisode des missiles nucléaires de Cuba, en 1962.
C'est pourquoi j'en ai vraiment ma claque, comme on dit, d'entendre des demi-habiles, des menteurs professionnels, des mercenaires intellectuels ou plus banalement des hypocrites, qui ont applaudi comme Pascal Bruckner ou l'inénarrable BHL aux guerres des pseudo-néo-conservateurs américains en Irak et en Libye, ou comme Alain Finkielkraut à ce qui demeure la plus grande épuration ethnique européenne de l'après-guerre froide (celle des Serbes de Krajina à l'été 1995), venir nous sermonner et nous soutenir à longueur de journée qu'il faut vertement punir la Russie sous prétexte qu'elle aurait violé le droit international depuis 2014.
Parce que le droit international - qui osera enfin l'asséner à ces pauvres charognes ? -, c'est exactement comme les Droits de l'Homme, dont personne n'avait jamais eu l'idée nulle part avant le mois d'août 1789 (tant pis pour les révérends pères Jacques Julliard et Jean-Yves Pranchère) : c'est tout sauf universel et intemporel, et cela se modifie constamment en fonction des rapports de force et des conflits qui dictent sa métamorphose.
Que ces crabes cessent donc, à la fin, de pérorer.
Avant même si possible que la Russie et leur cher oncle Sam, déjà prêt à liquider Zelensky comme jadis Karzaï ou le général Diêm, les contraignent à le faire.
Cela suffirait à remplacer le vent d'air frais qui nous fait si cruellement défaut en ce moment.