Translate

Affichage des articles dont le libellé est [dollar]. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est [dollar]. Afficher tous les articles

10 avril 2023

Malgré les gesticulations franco-européennes, la dédollarisation se précise

H16

En ce lundi des fêtes de Pâques (que je vous souhaite bonnes), tout le monde n’a pas forcément le cœur joyeux, à commencer sans doute par l’actuel chef de l’Exécutif français qui est rentré de Chine où il est quasi-officiellement passé pour une carpette.

Certains (chafouins) pourraient y trouver un motif de réjouissance, tant le locataire de l’Élysée est trop souvent bouffi d’une importance qu’il est bien trop généreux à s’accorder lui-même ; ce rappel de la réalité pourrait être salutaire à mesure que la popularité du chef de l’État continue de rétrécir comme un pull mohair lavé à 90°.

Néanmoins, chacun appréciera comme il l’entend la façon dont il fut accueilli dans l’Empire du Milieu, mais aucun ne pourra dire, en toute bonne foi, que ce fut en grandes pompes chaleureuses. Ce fut froid, peu solennel, et de nombreuses images – sans surprise assez peu circulées par les médias français – ont assez clairement envoyé le message peu ambigu que le président français n’était pas le bienvenu en Chine, à tel point que même la presse de révérence est forcée d’admettre un échec diplomatique.

Ce fut un échec diplomatique pour la France doublé d’un échec diplomatique pour l’Europe, Macron ayant jugé bon d’être accompagné par la présidente de la Commission européenne. Tentant encore une fois d’avancer la thèse ridicule d’une unité européenne sur la scène internationale, Macron a donc paradé avec von der Leyen qui est apparue comme une poule avec un couteau au milieu des deux dirigeants (et qui a du reste subi un traitement diplomatique a minima).


Il faut se rendre à l’évidence : ces derniers mois, la Chine n’a plus du tout le même regard vis-à-vis de l’Europe et de la France que ce qu’elle pouvait avoir il y a encore un ou deux ans. Les gesticulations de Macron et de von der Leyen ne masquent plus du tout le divorce maintenant acté du bloc des BRICS du bloc “occidental” composé essentiellement des États-Unis, du Royaume-Uni et de son Commonwealth, de l’Europe et dans une certaine mesure du Japon, en notant que ce dernier semble d’ailleurs s’en éloigner progressivement, les sanctions contre la Russie devenant impossibles à maintenir pour l’archipel asiatique.

Ce divorce n’est évidemment pas sans lien avec le découplage de l’économie mondiale du dollar : comme un récent billet en faisait la remarque, un nombre croissant de pays montre des velléités de se passer complètement du dollar dans les transactions internationales.

Cette tendance va s’accélérant. Ce qui était encore peu sûr voire improbable il y a six mois devient maintenant une réalité, et les certitudes d’hier semblent s’éroder de plus en plus vite.

Ainsi, les membres de l’ASEAN (Association des nations de l’Asie du Sud-Est) envisagent ouvertement de laisser tomber la monnaie américaine, l’euro et le yen ainsi que se débarrasser progressivement de Visa et de Mastercard.

Ceci est tout sauf anodin : cette alliance politico-économique regroupe actuellement les Philippines, l’Indonésie, la Malaisie, Singapour, la Thaïlande, le Brunei, le Viêtnam, le Laos, Myanmar et le Cambodge, ce qui représente 677 millions d’habitants. Si l’on y ajoute les mêmes tendances affichées au sein des BRICS, c’est plus de deux milliards de personnes et des économies en plein développement qui expliquent vouloir se passer complètement du dollar sur un horizon de plus en plus court (on ne parle plus en décennies ni en années, mais en mois).

Ainsi, l’Arabie Saoudite rejoint l’Organisation de la Coopération de Shanghai (OCS) (qui regroupait déjà la Chine, la Russie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan, l’Ouzbékistan, l’Inde et le Pakistan) et qui permet une coopération non seulement sur le plan économique et politique, mais aussi culturel et surtout militaire.

En Asie, il a été difficile de passer à côté de cette transaction de Total-Energies, qui a livré à la Chine du gaz de pétrole liquéfié, le tout payé en yuans, au travers de la plateforme Shanghai Petroleum and Natural Gas Exchange (SHPGX) spécialement conçue pour cela. Pour rappel, traditionnellement, ce genre d’échanges avait lieu en dollars américains.

Pendant ce temps, l’Inde et la Russie ont très officiellement convenu de ne plus utiliser l’indice pétrolier européen Brent et de le remplacer par l’indice de Dubaï. Peut-être est-ce dû au fait que les ventes de pétrole russe à l’Inde ont augmenté de 22 fois l’année dernière, l’Inde en profitant d’ailleurs pour revendre une grosse partie de ces hydrocarbures aux pays occidentaux qui trouvent ici un moyen de contourner leurs propres sanctions contre la Russie (avec un coût reporté sur leurs consommateurs au passage).

Quant au Brésil, il a lui aussi annoncé renoncer au dollar pour ses transactions avec la Chine.

Chacun de ces éléments, pris séparément, n’est qu’une occurrence probablement pas décisive sur le cours des choses mais qui ensemble, et par leur caractère relativement groupé dans le temps, brossent une tendance claire : l’économie mondiale cherche de plus en plus clairement à se “dédollariser”. Ce n’est du reste pas sans rapport non plus avec le gain manifeste de puissance des BRICS dont le PIB groupé dépasse maintenant celui du G7.


Il faut être quelque peu isolé dans sa tour d’ivoire, ou protégé dans un Élysée bien chauffé, pour ne pas voir qu’une véritable guerre économique est en cours entre les pays occidentaux d’un côté et le reste du monde de l’autre qui n’entend plus suivre aveuglément les propositions de l’Oncle Sam. C’est peut-être pour cela que, jouant sans doute de leur position privilégiée, plusieurs pays producteurs de pétrole ont décidé de baisser leur production (d’environ un million de barils par jour au total) ce qui a naturellement entraîné une hausse marquée du prix du baril.

Avec cette hausse du baril, la lutte contre l’inflation pourrait être encore plus compliquée que prévue, tant en Europe qu’aux États-Unis.

Outre une Fed en bien mauvaise posture (elle perd de l’argent pour la première fois dans son histoire), les signes s’accumulent donc qui montrent que le dollar américain n’est non seulement plus en position de force sur le marché des monnaies mais qu’il perd du crédit de jour en jour, à tel point que même le Financial Times commence à convenir de cette nouvelle situation.

Le Roi Dollar est-il nu ?

31 mars 2023

Tiephaine Soter

Une info passée inaperçue mais qui va secouer pas mal de choses derrière le rideau : Total Energies a passé sa première transaction commerciale en Yuan chinois, dans le cadre d'un échange de gaz naturel liquéfié (LNG) importé depuis les Emirats Arabes Unis, auprès d'une entreprise chinoise.
L'échange, qui s'est fait à la bourse de Shanghaï, est le premier de ce genre entre une entreprise européenne et une entreprise chinoise. Jusqu'ici, toutes les transactions de ce type se passaient en dollar.
Il ne se passe pas une journée en ce moment sans que l'emprise du dollar sur l'économie mondiale ne recule. Il y a quelques jours, c'est le Kenya, l'une des plus fortes puissances économiques du continent africain, qui annonçait l'abandon du dollar dans le cadre de ses échanges commerciaux pétroliers avec l'Arabie Saoudite et les EAU.


19 mars 2023

« Mon café russe »

Gilles Casanova

C’est entendu, Vladimir Poutine est le pire des hommes, il a tous les défauts de la Terre, et encore d’autres bien moins courants.

Il reste que la propagande médiocre que l’on nous sert tous les jours ne peut pas aider à comprendre ce qui se passe, ni en Ukraine ni dans le reste du monde.

Et il s’en passe des choses en ce moment, car nous vivons un instant clef de l’histoire des relations internationales au XXIe siècle. La planète se réorganise, mais de la même façon qu’à la chute de l’empire d’Orient, le débat public y portait sur le sexe des anges, ici le débat public porte sur des sottises : un mandat d’arrêt international contre Vladimir Poutine lancé par un Tribunal pénal international dont la réalité n’est que de complaire à quelques États occidentaux, dont ne sont pas les États-Unis qui exemptent naturellement tous les opérateurs de leurs interventions de tout jugement et de toute sanction.

Mais le fait important, ces derniers temps, c’est que c’est l’Occident – et plus spécialement les pays de l’OTAN – qui est en train de connaître un poison lent, comparable à celui qui a décomposé l’URSS.

Vladimir Poutine a vécu cette époque, il a vu ce qui se passait et il a compris comment ce poison lent et sûr a tué l’URSS, parce qu’elle voulait maintenir son rang et n’y parvenait plus, et il voit maintenant comment le même processus peut être mis en place pour tuer la domination de l’Occident et tout spécialement du chef de l'Empire, les USA.

Vladimir Poutine n’a absolument aucune intention de lancer ses troupes à l’assaut de l’Europe, vous ne pensez tout de même pas que si la Russie décidait de mettre toutes ses forces dans la balance, elle n’arriverait qu’à avancer d'une cinquantaine de kilomètres en territoire ukrainien. Vous ne croyez tout de même pas à cette fable de la résistance ukrainienne qui soudain crée, à partir de morceaux épars, une Nation qui se rassemble autour d’une sorte de fantaisiste de télévision, habitué jadis au justaucorps en latex, parce qu’il arborerait maintenant des T-shirts de couleur militarisée.

Une sorte de Jeanne d’Arc, qui serait une variété d’hybride entre Charles de Gaulle et Mistinguett.

Non, le jeu de la direction russe est bien plus subtil, il consiste à asphyxier l’Occident comme celui-ci, avec le fantasme de la Guerre des étoiles a asphyxié hier l’URSS.

Vous n’avez probablement pas noté que cette semaine le PIB des BRICS est passé devant le PIB du G7. Vous n’avez peut-être pas noté que la Chine a apporté suffisamment de garanties à l’Iran et à l’Arabie Saoudite pour que celles-ci interrompent leur guerre au Yémen, se réconciliant face à un Israël menaçant, et que les deux vont ainsi rejoindre les BRICS.

Les images fortes qui se déroulaient jadis à Camp David se passent aujourd'hui autour des dirigeants chinois.

L’objectif avoué de ces BRICS, c’est de monter une monnaie alternative au dollar. Et ils progressent à grande vitesse en ce sens, en s’assurant progressivement la maîtrise d’une majorité des ressources naturelles de la planète. L’objectif de cette monnaie c’est de dédollariser l’économie mondiale, et de faire perdre ainsi aux États-Unis leur atout majeur dans la compétition internationale, qui fait que ce sont les autres qui paient – à travers le dollar comme seule monnaie d’échange – leurs acquisitions, comme leurs difficultés.

Le projet est une monnaie qui soit plus rassurante que le dollar, pour pouvoir progressivement se substituer à lui dans la majorité des échanges internationaux. Pour cela, ils ont l’intention que celle-ci soit gagée sur l’or dont l’Afrique du Sud et la Russie sont les principaux producteurs, et dont un certain nombre des BRICS détiennent des stocks importants, contrairement à la banque d’Angleterre qui a tout vendu pour financer les folies de la politique de Margaret Thatcher il y a bien longtemps…

La dédollarisation de l’économie va apporter un coup décisif à la prééminence américaine. À partir du moment où l’Arabie Saoudite accepte de vendre son pétrole, à partir du moment où tous les BRICS acceptent tous de commercer dans une monnaie d’échange qui leur sera commune, gagée sur l’or, qui voudra encore se risquer avec des dollars qu’imprime dans des conditions tellement extrêmes la Banque centrale américaine.

Cette monnaie dévaluée, produira une inflation toujours plus forte, dans le même temps que la crise bancaire et financière que provoquent les centaines de milliards engloutis dans les interventions militaires américaines, notamment en Ukraine, conduisent à une fragilisation de ce système.

Le mécanisme est enclenché, le poison est là et il agit. Après la faillite de la Silicon Valley Bank, ce sont les banques régionales qui ont des difficultés. 125 milliards de dollars sont injectés par la banque centrale ces cinq derniers jours, mais encore faut-il qu’elle trouve quelque part la contrepartie, c’est-à-dire qu’on lui achète des dollars pour que ce ne soit pas simplement une baisse de valeur du dollar et une nouvelle étape d’inflation dans l’ensemble de l’Occident et de la zone OTAN.

Le voilà le danger, bien plus qu’une conquête militaire par les armées russes, c’est l’effondrement de l’intérieur. Plus la situation économique sera difficile, plus les dirigeants américains investiront dans l’armement dans une course en avant, et plus ils investiront dans l’armement et plus il leur sera difficile de trouver les moyens financiers d’empêcher les crises bancaires et financières qui risquent de se multiplier chez eux comme chez leurs amis occidentaux. Peut-être alors regretteront-ils l’offensive massive pour affaiblir leurs alliés européens à l’occasion de la guerre en Ukraine.

À petits pas, l’alternative au dollar se construit, l’alternative stratégique aux États-Unis se construit. Les Chinois se gardent bien d’apparaître comme les « forts » qui vont imposer leurs lois aux Russes, aux Indiens, aux Iraniens, aux Saoudiens, à l’Afrique du Sud ou aux Brésiliens. Ils ont au contraire l’intelligence de comprendre que c’est en faisant profil bas qu’ils seront au cœur d’un dispositif qui les mettra en position d’affronter à armes égales les États-Unis et un OTAN dans lequel progressivement les peuples verront plus un problème qu’une solution.

Plus que jamais l’Histoire n’est pas écrite, pas plus que la paix n’est assurée d’être la résultante de toutes ces opérations. Opérations concomitantes à la volonté d’installer en occident un contrôle total sur les populations pour mettre en place une « société liquide » mondiale qui va se heurter à cette alternative, engendrant des phénomènes inédits.

Ici, nos médias et une partie de nos élites ont une réponse toute prête, la haine du russe. La haine de tout ce qui est russe, de tout ce qui est art, musique, peinture, tout ce qui est russe. C’est médiocre, et ça ne peut pas durer très longtemps, on peut craindre que – dans la tourmente de la crise politique et institutionnelle que vit la France – cela ne convainque guère le peuple…