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28 juillet 2023

VOUS AVEZ DIT LIBERTÉ DE LA PRESSE ?

Gabriel Nerciat

Je suis toujours frappé, à chaque fois que je suis amené à fréquenter des jeunes gens de vingt-cinq ou trente ans mes cadets, de constater à quel point le monde de la presse écrite leur est devenu étranger.
La plupart des garçons et des filles de vingt ou trente ans, qu'ils soient ou non encore étudiants, ne lisent plus aucun journal, qu'il s'agisse de quotidiens ou de magazines. Tout juste parfois parcourent-ils nonchalamment un papier en ligne sur la Toile, quand un sujet vaguement les interpelle.
Cela est vrai de presque tous les milieux (à l'exception de certains fils de profs ou de cadres supérieurs, et encore est-ce parce qu'ils sont souvent dans des prépas sciences-po, ou aspirent à entrer dans une école de journalisme).
Seuls quelques militants chevronnés – mais il y en a de moins en moins – arborent encore en public un titre imprimé dans lequel est censé se condenser leur engagement idéologique, quel qu'il soit.
Ce qui n'empêche pas certains d'entre eux de prétendre de façon véhémente que la cause de la liberté de la presse est sacrée.
J'ai toujours envie de leur dire : « Mais qu'est-ce que vous en avez à foutre, de la liberté de la presse ? Si tous les journaux demain étaient censurés, vous ne vous en rendriez même pas compte. »
Quand j'avais leur âge, c'était l'inverse : je ne pouvais pas achever une seule journée sans aller passer une heure à la terrasse d'un café avec deux ou trois canards sous le bras, de France-Soir où je lisais les chroniques de Jean Dutourd jusqu'au Nouvel Obs où je terminais par celles de Bernard Frank, après avoir fait mon miel de Jean Cau dans Paris-Match, de Robert Escarpit dans Le Monde ou de Louis Pauwels dans Le Figaro Magazine.
Dans ma chambre de l'époque, les journaux s'amoncelaient comme autant de symboles dérisoires et branlants du temps qui passe, au grand désarroi des filles qui s'y hasardaient parfois.
En fait, c'est un peu comme la liberté religieuse : elle devient sans objet quand il y a de plus en plus d'athées ou d'agnostiques.
Si j'étais journaliste, c'est de cela que je me préoccuperais, et pas de savoir qui Vincent Bolloré ambitionne de placer à la tête des médias dont il est devenu le propriétaire.
Une liberté qui ne sert plus à rien n'affirme pas un droit mais ne fait que consolider une liberté d'indifférence.