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27 janvier 2024

Incendies, destructions... Pourquoi Darmanin laisse faire les agriculteurs

Reporterre

Action d'agriculteurs à Perpignan le 22 janvier 2024. Le ministre de l'Intérieur refuse de condamner les violences. - © AFP / Lionel Pedraza / Hans Lucas

Alors que les agriculteurs multiplient les actions destructrices, l’impunité totale dont jouit la FNSEA tranche avec la brutalité de la répression contre les écologistes, les quartiers populaires ou les Gilets jaunes.

On connaissait le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, martial et autoritaire, gonflant les muscles à chaque mouvement social. On l’a découvert jeudi 25 janvier sur TF1 empathique et laxiste devant la mobilisation des agriculteurs. « On ne répond pas à la souffrance en envoyant des CRS », a-t-il affirmé dans un élan de lucidité. Refusant de condamner les violences, le ministre a assumé de laisser faire « à la demande du président et du Premier ministre ». « Les agriculteurs travaillent (...), ce sont des patriotes », a-t-il ajouté. « S’ils respectent les règles de la République, il n’y a aucune raison de faire intervenir les policiers et les gendarmes. »

Cette stratégie du maintien de l’ordre et l’impunité dont jouissent la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles) et la Coordination rurale interroge. La tolérance soudaine du pouvoir tranche avec la brutalité avec laquelle le gouvernement a réprimé ces dernières années les Gilets jaunes, les syndicalistes opposés à la réforme des retraites ainsi que les quartiers populaires. Elle contraste aussi avec ses diatribes contre les « écoterroristes ».
Routes bloquées, arbres abattus

Depuis plus d’une semaine, des autoroutes et des nationales ont été bloquées dans tout le pays. Des péages ont été ouverts de force, des barrières démontées, des caméras et des radars ont été mis hors service. Des arbres ont été abattus et tronçonnés le long de l’autoroute A9 près de Nîmes pour stopper les véhicules. « Les blocages ont lieu et il n’est pas question de venir empêcher cette expression de revendication », a déclaré la nouvelle porte-parole du gouvernement Prisca Thevenot, à l’issue du Conseil des ministres, mercredi 24 janvier.


Six arbres tronçonnés : les agriculteurs de la FDSEA et des Jeunes agriculteurs s’en sont pris, à Saintes (Charente-Maritime) à la Fédération de pêche. Celle-ci dénonce les effets délétères de l’irrigation sur les cours d’eau. X / EPTB

Une réaction bien différente de celle adoptée par le gouvernement à l’égard de Dernière rénovation, qui avait, lui aussi, bloqué des routes. Bilan pour ce collectif qui a récemment tiré sa révérence : trente-deux procès passés ou à venir. On se rappelle aussi le sort réservé aux militants d’Extinction Rebellion qui avaient bloqué le pont de Sully à Paris en 2019 et qui avait été noyés dans les nuages de gaz lacrymogène.

Les blocages des grands axes ne sont pas la seule manifestation de la colère du monde agricole. Des camions qui importent des produits étrangers ont été dévalisés et vidés. Un acte symbolique pour dénoncer les traités de libre-échange vilipendés par la profession. L’accès à la centrale nucléaire de Golfech a été bloqué. Le dépôt pétrolier de Lorient aussi. Des enseignes de grande distribution ont été aspergées de lisier et ont dû fermer. Le parking d’un supermarché E.Leclerc a été retourné dans la nuit à Clermont-l’Hérault. À Toulouse, ce ne sont pas moins de cent remorques de fumier et de déchets qui ont été déversées. À Agen, des agriculteurs ont pendu un sanglier mort à un arbre juste devant les locaux de l’Inspection du travail. Ils ont épandu des tripes devant la préfecture et allumé un grand feu qui a léché les murs.
Destruction de bâtiments publics

Certains vont encore plus loin en détruisant des bâtiments publics. À Carcassonne, le bâtiment de la Dreal (Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement) a été soufflé par une explosion, revendiquée par le Comité d’action viticole. À Narbonne, un bâtiment de la Mutualité sociale agricole a été incendié.

Les responsables de ces actes vont-ils être poursuivis en justice comme d’autres paysans en colère, à l’instar de Daniel, membre de la Confédération paysanne du Tarn ? En mai 2023, il a été condamné à quatre mois de prison avec sursis pour avoir alimenté un simple feu de bois devant le portail de la préfecture d’Albi en mars 2023 à l’occasion d’une manifestation contre la loi sur les retraites. « J’ai été interpellé à 6 heures du matin à mon domicile, menotté devant les enfants et mis en garde à vue trente-neuf heures. C’est déjà une sanction alors que je n’avais pas encore été jugé. Pourquoi être ainsi humilié ? »

Daniel est loin d’être le seul paysan à subir les foudres de la justice à cause de son militantisme. Le 17 janvier dernier, de lourdes peines ont été prononcées à l’encontre d’activistes antibassines, incluant des syndicalistes de la Confédération paysanne. « Quand nous allons défendre un bien commun en marchant dans des champs avec des familles, on se retrouve réprimés dans la violence et on finit au tribunal », déplore Amandine Pacault, porte-parole de la Confédération paysanne des Deux-Sèvres.

Même quand l’action reste symbolique, la sanction est sévère. Le 6 novembre dernier, sept activistes de Greenpeace ont été interpellés, placés en garde à vue durant quarante-huit heures. Leur tort : avoir accroché une banderole sur la façade du ministère de l’Écologie pour dénoncer la « trahison écologique » du gouvernement.

« C’est quand même étonnant de voir que, dans notre pays, quand on défend l’intérêt général, on est immédiatement sanctionné et quand on défend des intérêts corporatistes – qui sont légitimes aujourd’hui – on n’a pas les mêmes réponses que la FNSEA », a déclaré Yannick Jadot, sénateur écologiste. « On aimerait bénéficier de la même indulgence et pouvoir exprimer notre colère sans se prendre des coups de matraque, sans être gazés et sans finir en procès », dit Youlie Yamamoto, porte-parole d’Attac.


Après leur action menée le 6 novembre devant le ministère pour dénoncer la « trahison écologique » du gouvernement, sept personnes ont été interpellées, placées en garde à vue durant quarante-huit heures et déférées au tribunal de Paris. © Mathieu Génon / Reporterre

Les convois de tracteurs ont pu se frayer un chemin jusqu’aux préfectures et aux bâtiments de l’administration au cœur des centres-villes sans rencontrer de difficulté, et sous le regard amorphe des forces de l’ordre. Parfois, elles escortaient même le cortège et les conduisaient droit sur leur cible, comme à Agen.

Dans ses consignes aux préfets, Gérald Darmanin appelait à « une grande modération des forces de l’ordre ». « C’est en dernier recours que les effectifs de maintien de l’ordre déployés aux abords de bâtiments publics seront autorisés à intervenir, et dans le seul cas où l’intégrité des personnes serait menacée ou les bâtiments exposés à de graves dégradations. »

Une consigne qui, là encore, contraste avec le sort réservé aux militants du mouvement écologique et social. En novembre 2022, le garde des sceaux Éric Dupond-Moretti appelait à « une réponse pénale systématique et rapide » contre les manifestants opposés aux mégabassines. En juin 2023, la circulaire diffusée après les révoltes consécutives à la mort de Nahel, demandait une réponse judiciaire « rapide, ferme et systématique ».
Une proximité entre responsables agricoles et autorités

Pour le sociologue Bertrand Hervieu, spécialiste des mondes agricoles, cette indulgence s’explique par « les grands rapports de proximité entre les responsables agricoles et les autorités, les maires et les préfets », dit-il à France info. « C’est l’inverse des Gilets jaunes, qui n’avaient pas de leaders. Il y a peu de professions qui ont une relation quasi quotidienne avec le gouvernement, d’abord avec le ministre de l’Agriculture, mais aussi avec le Premier ministre. Il y a donc une proximité avec l’État ». Une collusion dénoncée par Julien Le Guet, le porte-parole de Bassines non merci : « Il y a des représentants de la FNSEA qui vont à la préfecture pour organiser les actions. C’est comme cela qu’ils arrivent à être escortés sur certains lieux. Si ce n’était pas validé, il y aurait des interventions des forces de l’ordre ».

Le président de la FNSEA, Arnaud Rousseau, est à la tête d’une grosse exploitation de céréales et président du groupe agroalimentaire international Avril. © AFP / Arnaud Finistre

Les agriculteurs jouissent aussi d’un fort capital sympathie auprès de la population. Selon un récent sondage, neuf Français interrogés sur dix soutiennent leur mouvement. « Taper sur ceux qui nourrissent les Françaises et les Français, ce n’est pas possible. D’autant qu’ils ont les moyens de bloquer la chaîne alimentaire dans un contexte d’inflation », explique Youlie Yamamoto, porte-parole d’Attac.

Sans compter également la puissance de frappe des membres de la FNSEA. « Ils ont des moyens matériels bien plus important que les militants écologistes. Des tracteurs ou des tonnes de fumiers pour bloquer ou dégrader. Les écolos eux ont juste leurs bras levés et quelques jets de peinture », poursuit Youlie Yamamoto. Cela fait près de soixante ans que la FNSEA multiplie les destructions de biens publics, blocages, opérations coups de poing, menaces contre des militants écologistes et des élus comme l’ont rappelé les journalistes de Basta. Cela lui a permis d’imposer une agriculture qui supprime des paysans, détruit les sols et la biodiversité.