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24 mars 2023

UNE ROYALE CONVERSATION

Gabriel Nerciat

- Allô, Sire ? Vous savez, je suis vraiment désolé, mais je crois qu'en la circonstance il vaut mieux ne prendre aucun risque.

- Mister President ? How do you do ? What a pity ; j'aurais tellement aimé parler de botanique et de chasse à courre avec vous et Madame votre épouse. Mais je vois, ou plutôt j'entends, qu'en dépit des circonstances vous n'avez pas peur.

- Je n'ai jamais peur, Votre Majesté. De rien ni de personne, je vous assure. C'est un sentiment qui m'est presque inconnu. La seule fois de ma vie où j'ai eu peur, devant la préfecture du Puy-en-Velay, j'ai eu tellement honte de moi que j'ai promis, sur la tombe de ma grand-mère, que je ne recommencerai plus.
 
- Vous savez, mon grand-oncle Lord Mountbatten me disait la même chose que vous. Il vous ressemblait un peu, d'ailleurs : n'en faisait qu'à sa tête, menait grand train, mouchait sans ménagement tous ceux qui essayaient de le contredire, même lorsque son obstination provoquait la mort de plusieurs millions d'Hindous et de musulmans indiens – sans qu'il s'en émeuve particulièrement, je dois dire. Mais les républicains d'Irlande du Nord, malgré tout, un jour ont eu sa peau ; cela m'a appris très tôt la vertu de la prudence. Vous ne gagneriez rien à l'imiter, indeed.
 
- Je vous assure, Sire, tout est sous contrôle ici. Vous connaissez les Français : ils gueulent, ils boivent, se croient menaçants, cassent des vitrines, brûlent quelques voitures, se grisent de mots creux, et puis ils finissent par rentrer chez eux quand ils en ont assez. Ils ne sont pas très malins, vous savez. Et puis, moi, je leur demande de m'élire, après tout, pas de m'aimer, et ils le font sans hésiter, bien qu'ils sachent parfaitement tout ce que je pense d'eux. De toute façon, j'ai plein de flics assez c.ns sous mes ordres pour leur servir à nouveau d'exécutoire ; je ne vais pas me gêner.

- Oui, peut-être, mais les officiers du MI6 qui ont discuté avec certains d'entre eux m'ont dit qu'ils n'en auraient vraiment assez que lorsque la machine de votre docteur Guillotin aura été remontée sur la place de la Concorde et que vous l'aurez en grande pompe inaugurée. Ce n'est pas vraiment plaisant comme perspective, n'est-ce pas ? Même Camilla hier soir me disait : "J'ai hâte de voir comment est fait son cou."

- I beg you pardon ?

- Ah mais c'est que vous êtes une star, ici, Mister President. On ne parle que de vous. Pas toujours en termes flatteurs, c'est sûr, mais ce qui compte, c'est la notoriété, n'est-il pas vrai ? Même Claude François aurait été jaloux de vous.

- J'ignore si je dois ou non être flatté, Votre Majesté. D'autant qu'à vrai dire je préfère Alain Chamfort à Claude François, et (mais ça reste entre nous) les drag-queens aux claudettes.
 
- Cela n'a pas grande importance. Même si votre cou n'est pas très flexible, ce serait fâcheux de le voir tomber comme celui du pauvre Charles Stuart, vous l'admettrez. En tout cas, sachez que le château de Claremont, dans le Surrey, que mon aïeule Victoria avait offert au roi Louis-Philippe dans son exil, est toujours à votre disposition. Je pourrai vous le faire visiter après mon couronnement si vous voulez. Ses tapisseries sont un peu défraîchies, mais le jardin au printemps est d'une remarquable beauté.

- Ne prenez pas cette peine, Sire. Même si ces imbéciles de bourgeois orléanistes votent pour moi, ce n'est vraiment pas un destin que j'envie. Ce roi qui ressemblait à une poire et respectait son parlement n'aimait pas faire couler le sang des ouvriers. Il avait tort. En aucun cas je ne voudrais lui ressembler.