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12 mars 2024

Je sais ce qu’est la délation

Radu Portocala

12/3/2024 - Je sais ce qu’est la délation. J’ai été amplement dénoncé. On a rapporté à la police politique de Roumanie, la Securitate, des propos que je n’avais pas tenus. D’autres ont été amplifiés, afin qu’ils correspondent aux besoins du dossier et de l’enquête. On a raconté des choses que je n’avais pas faites. On a donné à d’autres une interprétation et une importance qu’elles n’avaient pas. Si le gouvernement grec d’alors n’avait pas entrepris une action très forte - à laquelle aucun autre gouvernement n’aurait consenti -, j’allais, partant de ses inventions et exagérations, être jugé pour « haute trahison ». Cela m’aurait assuré 20 ou 25 ans dans leurs geôles.
Dans les notes qui préparaient un livre jamais écrit j’écrivais que le délateur est l’avant-garde du bourreau. Certes, on peut donner au bourreau toutes sortes de visages et toutes sortes d’habits - il reste, en essence celui qui, d’une manière ou d’une autre, persécute.
Il m’est arrivé de rencontrer deux anciens bourreaux de la Securitate - nommés pudiquement dans le langage administratif enquêteurs. Je n’oublierai jamais leurs yeux, leur visage, leurs mains.
Et j’ai connu beaucoup de délateurs. Ça peut sembler curieux de pouvoir les identifier, mais ce n’est pas une impossibilité. Quelqu’un raconte à une connaissance un mensonge, puis, à l’interrogatoire, il découvre que le mensonge figure dans son dossier. D’autres étaient connus presque de tout le monde, cependant, ils trouvaient encore quoi rapporter.
Des femmes dénonçaient leurs maris ou des maris dénonçaient leurs femmes ; des adolescents dénonçaient leurs parents ou leurs camarades d’école ; des collègues de travail se dénonçaient entre eux ; des amis de toujours dénonçaient leurs amis.
La délation est probablement la forme la plus sale de traîtrise. Le délateur, lui, est un être misérable, sans conscience, qui cherche à nuire, en échange de quoi il aura, peut-être, quelques mesquins avantages. Pour atteindre ses buts, peu lui importe d’inventer ce qu’il n’a pas entendu ou vu. Son obscure mentalité vaudrait sans doute une étude psychologique.
Lorsque le phénomène de la délation prend de l’ampleur, la société tombe malade à la fois de la méfiance et de la peur. On ne sait plus à qui on peut parler sans danger, on vit dans la crainte d’avoir dit un mot de trop.
C’est cette société que veut construire le parti d’Emmanuel Macron, sans doute avec sa bénédiction. Pour notre bien - comme on vous explique toujours en régime totalitaire. Pour l’hygiène morale. Et sans même avoir le courage de le dire, les ordures sont invitées à dénoncer. Le bien s’appuie donc sur les ordures, c’est sur les ordures qu’Emmanuel Macron et les siens veulent construire la société pure et juste de leurs rêveries malsaines.